đŸŸ„ [Extrait] La prescription extinctive qui rĂ©sulte d’une application contradictoire des rĂšgles de compĂ©tence territoriale qui n’est pas le fait du requĂ©rant de bonne foi viole le droit d’accĂšs Ă  un tribunal

Faits :

2. Le requérant est né en 1939 et réside à Samara.

3. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a Ă©tĂ© reprĂ©sentĂ© par M. M. Galperine, reprĂ©sentant de la FĂ©dĂ©ration de Russie auprĂšs de la Cour europĂ©enne des droits de l’homme.

4. Le requĂ©rant affirme que depuis 2003 il travaillait en tant que gardien pour une sociĂ©tĂ© de droit privĂ©. Le 31 dĂ©cembre 2015, il demanda sa dĂ©mission en raison de nombreux retards dans le paiement du salaire. Il affirme qu’au moment de son licenciement, il apprit avoir travaillĂ© sans ĂȘtre dĂ©clarĂ©. Il affirme que la sociĂ©tĂ© refusait de lui payer le reliquat de son salaire pour quatorze mois. Il ajoute avoir eu connaissance de sa situation administrative – Ă  savoir sa non‑dĂ©claration par la direction au moment de son licenciement. Pour prouver la relation de travail, le requĂ©rant prĂ©senta un registre de la correspondance entrante et sortante de la sociĂ©tĂ© (registre comportant ses signatures), une liste d’employĂ©s de la sociĂ©tĂ© dressĂ©e en vue d’un contrĂŽle mĂ©dical rĂ©gulier (son nom y Ă©tait mentionnĂ©). En outre, il affirma que plusieurs tĂ©moins pouvaient confirmer la rĂ©alitĂ© de la relation de travail.

5. Le 30 mars 2016, le requĂ©rant introduisit une demande dirigĂ©e Ă  l’encontre de son employeur tendant au versement, en sa faveur, du reliquat du salaire, ainsi qu’à la confirmation de l’existence de la relation de travail.

6. Le 4 avril 2016, le juge du tribunal du district Promychlenny de Samara se dĂ©clara incompĂ©tent ratione loci, estimant que la demande devait ĂȘtre introduite au tribunal du district Oktiabrsky de Samara, le lieu du siĂšge de la sociĂ©tĂ© dĂ©fenderesse. Ainsi, le juge retourna la demande sans examen. Le requĂ©rant forma un appel en expliquant que le siĂšge de la sociĂ©tĂ© se trouvait dans le district Promychlenny. Le 31 mai 2016, la cour de la rĂ©gion de Samara confirma la dĂ©cision attaquĂ©e en appel.

7. Le requĂ©rant introduisit sa demande au tribunal du district Oktiabrsky de Samara. Le 3 octobre 2016, la juge de ce tribunal se dĂ©clara, Ă  son tour, incompĂ©tente ratione loci, constatant que le siĂšge de la sociĂ©tĂ© ne se trouvait pas dans le district Oktiabrsky. Il indiqua l’adresse du dĂ©fendeur qui, elle, se trouvait dans le district Promyshlenny. Le requĂ©rant ne contesta pas cette dĂ©cision mais rĂ©introduisit sa demande au tribunal du district Promychlenny, le mĂȘme que lors de la premiĂšre demande.

8. Le 24 octobre 2016, le mĂȘme juge du tribunal Promychlenny constatant que le tribunal Ă©tait compĂ©tent ratione loci et ratione materiae pour examiner la demande, se saisit de celle-ci.

9. Le 6 dĂ©cembre 2016, le tribunal tint une audience. Il constata, d’une part, le dĂ©saccord entre les parties quant au fond de la demande et, d’autre part, la demande du dĂ©fendeur d’appliquer la prescription. Le tribunal rejeta l’action pour les deux motifs suivants. Il Ă©tablit en premier lieu que le requĂ©rant et la sociĂ©tĂ© dĂ©fenderesse n’étaient pas liĂ©s par une relation de travail. Pour ce faire, le tribunal rejeta, en deux phrases, le commencement de preuve prĂ©sentĂ© par le requĂ©rant, tout en affirmant qu’il n’avait pas prĂ©sentĂ© d’autres preuves de la relation de travail allĂ©guĂ©e. En second lieu, le tribunal considĂ©ra que l’action Ă©tait de toute maniĂšre prescrite car le code du travail prĂ©voyait, pour les litiges ayant trait au travail, les dĂ©lais de prescription plus raccourcis que le code civil. Le tribunal s’adonna Ă  une longue analyse du droit pertinent et de son application au cas du requĂ©rant. Le tribunal se prononça de la maniĂšre suivante :

« … selon l’article 14 du code de travail le dies a quo est le lendemain de la fin de la relation de travail. Par consĂ©quent, compte tenu des articles 14 et 392 du code de travail, le dĂ©lai de trois mois prĂ©vus pour dĂ©fendre sa relation de travail, Ă  supposer mĂȘme que cette derniĂšre ait eu lieu, a expirĂ© le 1er avril 2016. »

10. RĂ©pondant Ă  l’objection du requĂ©rant relative Ă  l’introduction de la premiĂšre demande le 30 mars 2016, le tribunal rĂ©pondit que le dĂ©lai de prescription serait interrompu par une demande conforme Ă  la loi, notamment au critĂšre ratione loci, ce qui n’était pas respectĂ© par le requĂ©rant. Le tribunal nota en outre que le requĂ©rant avait omis de former un recours contre la dĂ©cision du 3 octobre 2016 rendue par le tribunal du district Oktiabrsky. L’absence de ce recours reprĂ©sentait aux yeux du tribunal un abus par le requĂ©rant de ses droits processuels. Le tribunal qualifia d’abus le fait de ne pas joindre au dossier une copie des dĂ©cisions avant dire droit du tribunal du district Promychlenny du 4 avril 2016 et de la cour rĂ©gionale de Samara du 31 mai 2016.

11. S’agissant de l’argument tirĂ© d’un nouveau dĂ©lai d’un an, tel que prĂ©vu par une nouvelle rĂ©daction de l’article 392 du code du travail (paragraphe 16 ci-dessous), pour introduire des demandes relatives au versement d’un salaire et d’autres indemnitĂ©s affĂ©rentes aux salariĂ©s, le tribunal objecta que cet amendement au code avait eu lieu le 3 juillet 2016, c’est-Ă -dire aprĂšs l’expiration du dĂ©lai de prescription, tel qu’il Ă©tait prĂ©vu par l’ancienne version de l’article 392. Donc, le requĂ©rant ne pouvait pas en bĂ©nĂ©ficier.

12. Dans le dispositif du jugement le tribunal rejeta la demande au visa du seul article 392 du code du travail relatif Ă  la prescription.

13. Le requérant interjeta appel de cette décision.

14. Le 21 fĂ©vrier 2017, la cour rĂ©gionale de Samara confirma la dĂ©cision attaquĂ©e sans motivation propre. S’agissant de l’argument du requĂ©rant affirmant devant elle qu’il avait introduit sa demande le 30 mars 2016, la cour statua que l’introduction de la demande n’était pas valable, car non conforme aux normes rĂ©gissant la compĂ©tence ratione loci.

15. Le requĂ©rant forma deux pourvois en cassation devant la cour rĂ©gionale de Samara et de la Cour suprĂȘme de Russie. Les 11 avril et 17 aoĂ»t 2017 respectivement, ces deux juridictions, siĂ©geant en formation de juge unique, rejetĂšrent les deux pourvois pour les mĂȘmes motifs.

Textes appliqués :

16. Selon l’article 392 du code du travail (loi du 30 dĂ©cembre 2001 no 197-ЀЗ), l’employĂ© dispose d’un dĂ©lai d’un mois pour introduire un recours judiciaire visant Ă  contester le licenciement Ă  compter du jour oĂč il s’est vu notifier le licenciement ou du jour oĂč il s’est vu remettre le livret de travail. Il dispose d’un dĂ©lai de trois mois pour introduire toute autre demande dĂ©coulant de son contrat de travail. Le 3 juillet 2016, cet article du code du travail a Ă©tĂ© amendĂ©. Le dĂ©lai pour introduire une demande visant au versement d’un salaire et d’autres indemnitĂ©s a Ă©tĂ© portĂ© Ă  un an.

17. Aux termes de l’article 195 du code civil (loi du 30 novembre 1994 no 51-ЀЗ), la prescription extinctive est un dĂ©lai imparti pour introduire une action judiciaire visant Ă  dĂ©fendre le droit mĂ©connu de son titulaire. Selon l’article 199 dudit code, le tribunal examine la demande indĂ©pendamment de l’expiration de la prescription extinctive. Le moyen tirĂ© de la prescription n’est pas d’ordre public ; par consĂ©quent le juge dĂ©clare l’action prescrite uniquement si une partie au litige formule une demande dans ce sens avant le prononcĂ© de la dĂ©cision. Dans ce cas de figure et si le juge constate l’expiration du dĂ©lai de prescription, il rend une dĂ©cision rejetant la demande.

18. Selon l’article 204 du code civil, tel qu’en vigueur au moment des faits (loi fĂ©dĂ©rale no100-ЀЗ du 7 mai 2013), le dĂ©lai de prescription ne court pas, en particulier, par l’introduction de l’action selon les modalitĂ©s prĂ©vues par la loi (ĐČ ŃƒŃŃ‚Đ°ĐœĐŸĐČĐ»Đ”ĐœĐœĐŸĐŒ ĐżĐŸŃ€ŃĐŽĐșĐ”), c’est-Ă -dire, en conformitĂ© avec les dispositions relatives Ă  la forme et au contenu de la dĂ©claration, au paiement de la taxe judiciaire (interprĂ©tation faite par la directive de l’assemblĂ©e plĂ©niĂšre de la Cour suprĂȘme de Russie no 43 du 29 septembre 2015 relative Ă  l’application des dispositions du code civil de la FĂ©dĂ©ration de Russie relative Ă  la prescription (le paragraphe 17 de ladite directive)).

Arguments des parties :

19. Le requĂ©rant allĂšgue une violation de son droit d’accĂšs Ă  un tribunal car les deux juridictions se sont dĂ©clarĂ©es, Ă  tour de rĂŽle, incompĂ©tentes ratione loci pour examiner sa demande ; lorsqu’il a rĂ©introduit la mĂȘme demande auprĂšs de la premiĂšre juridiction, le juge ayant changĂ© son avis, s’est saisi mais a rejetĂ© la demande au motif de la prescription extinctive. Le requĂ©rant invoque l’article 6 § 1 de la Convention qui, dans sa partie pertinente, est ainsi libellĂ© :

« Toute personne a droit Ă  ce que sa cause soit entendue Ă©quitablement (…) par un tribunal (…), qui dĂ©cidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractĂšre civil (…) »

20. Faisant son analyse des normes pertinentes du code du travail, du code civil et du code de procédure civile, le Gouvernement estime que le requérant a introduit sa demande tardivement. Le délai pour faire valoir ses droits de travail a expiré, selon le Gouvernement, le 1er avril 2016.

21. Le Gouvernement est d’avis que l’introduction de la premiĂšre demande, le 30 mars 2016, auprĂšs du tribunal Promychlenny n’était pas une saisine valable car le requĂ©rant n’avait pas respectĂ© les normes du code de procĂ©dure civile relatives Ă  la compĂ©tence ratione loci. Il affirme que la saisine ultĂ©rieure du tribunal Oktiabrsky n’était pas valable non plus au mĂȘme motif d’incompĂ©tence ratione loci. Par ailleurs, le Gouvernement reproche au requĂ©rant de ne pas avoir interjetĂ© appel de cette derniĂšre dĂ©cision du 3 octobre 2016 par laquelle le tribunal Oktiabrsky s’est dĂ©clarĂ© incompĂ©tent. Le Gouvernement relĂšve que, lorsque le requĂ©rant est revenu au tribunal Promychlenny, sa demande Ă©tait enrĂŽlĂ©e mais dĂ©clarĂ©e prescrite en raison de l’objection faite dans ce sens par le dĂ©fendeur.

22. Fort de ce raisonnement, le Gouvernement estime que, en l’espĂšce, le droit du requĂ©rant d’avoir accĂšs Ă  un tribunal n’a pas Ă©tĂ© mĂ©connu. Il invite la Cour Ă  dĂ©clarer la requĂȘte irrecevable pour dĂ©faut manifeste de fondement en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

Raisonnement de la Cour EDH :

30. La Cour rappelle que sa jurisprudence selon laquelle l’article 6 § 1 de la Convention consacre le « droit Ă  un tribunal », dont le droit d’accĂšs, Ă  savoir le droit de saisir le tribunal en matiĂšre civile, ne constitue qu’un aspect. Chaque justiciable a droit Ă  ce qu’un tribunal connaisse de toute contestation relative Ă  ses droits et obligations de caractĂšre civil (Howald Moor et autres c. Suisse, nos 52067/10 et 41072/11, § 70, 11 mars 2014, et Golder c. Royaume-Uni, 21 fĂ©vrier 1975, §§ 18 et 36, sĂ©rie A no 18). Ce droit d’accĂšs Ă  un tribunal comprend non seulement le droit d’engager une action, mais aussi le droit Ă  une « solution » juridictionnelle du litige (Kutić c. Croatie, no 48778/99, § 25, CEDH 2002‑II, et Multiplex c. Croatie, no 58112/00, § 45, 10 juillet 2003).

31. Toutefois, le droit d’accĂšs Ă  un tribunal n’est pas absolu : il se prĂȘte Ă  des limitations implicitement admises, qui ne doivent pas restreindre l’accĂšs ouvert Ă  un justiciable d’une maniĂšre ou Ă  un point tels que son droit Ă  un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance mĂȘme. En outre, les limitations appliquĂ©es ne se concilient avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elles poursuivent un but lĂ©gitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalitĂ© entre les moyens employĂ©s et le but visĂ© (Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse [GC], no 5809/08, § 129, 21 juin 2016, et Stubbings et autres c. Royaume-Uni, 22 octobre 1996, § 50, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1996‑IV).

32. Parmi ces restrictions lĂ©gitimes figurent les dĂ©lais lĂ©gaux de prescription qui, la Cour le rappelle, ont plusieurs finalitĂ©s importantes, Ă  savoir garantir la sĂ©curitĂ© juridique en fixant un terme aux actions, mettre les dĂ©fendeurs potentiels Ă  l’abri de plaintes tardives peut-ĂȘtre difficiles Ă  contrer, et empĂȘcher l’injustice qui pourrait se produire si les tribunaux Ă©taient appelĂ©s Ă  se prononcer sur des Ă©vĂ©nements survenus loin dans le passĂ© Ă  partir d’élĂ©ments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps Ă©coulĂ© (Stagno c. Belgique, no 1062/07, § 26, 7 juillet 2009, Stubbings et autres, prĂ©citĂ©, § 51, Howald Moor et autres, prĂ©citĂ©, § 72, et Sanofi Pasteur c. France, no 25137/16, § 50, 13 fĂ©vrier 2020).

33. La Cour rappelle que c’est au premier chef aux autoritĂ©s nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interprĂ©ter la lĂ©gislation interne. Son rĂŽle se limite Ă  vĂ©rifier la compatibilitĂ© avec la Convention des effets de pareille interprĂ©tation. DĂšs lors, sauf si l’interprĂ©tation retenue est arbitraire ou manifestement dĂ©raisonnable, la Cour s’en remet Ă  l’interprĂ©tation de la lĂ©gislation interne livrĂ©e par ces juridictions et sa tĂąche se limite Ă  dĂ©terminer si ses effets sont compatibles avec la Convention (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 149, 20 mars 2018, S., V. et A. c. Danemark [GC], nos 35553/12 et 2 autres, § 148, 22 octobre 2018, Molla Sali c. GrĂšce [GC], no 20452/14, § 149, 19 dĂ©cembre 2018, et GuĂ°mundur Andri ÁstrĂĄĂ°sson c. Islande [GC], no 26374/18, § 244, 1er dĂ©cembre 2020).

34. La Cour rappelle enfin sa jurisprudence selon laquelle le refus successif de plusieurs juridictions de trancher un litige sur le fond s’analyse en un dĂ©ni de justice qui porte atteinte Ă  la substance mĂȘme du droit Ă  un tribunal garanti par l’article 6 § 1 de la Convention (Beneficio Cappella Paolini c. Saint-Marin, no 40786/98, § 29, CEDH 2004‑VIII (extraits), Tserkva Sela Sossoulivka c. Ukraine, no 37878/02, §§ 51-53, 28 fĂ©vrier 2008, et Bezymyannaya, prĂ©citĂ©, §§ 30-34).

35. La Cour observe qu’en l’espĂšce, contrairement aux arrĂȘts prĂ©citĂ©s, le tribunal du district Promyshlenny s’est saisi de la demande sans pour autant la trancher au fond, en la dĂ©clarant prescrite. La lecture de la dĂ©cision fait apparaĂźtre que la prescription Ă©tait le vĂ©ritable motif du rejet, faisant l’objet d’une motivation circonstanciĂ©e, alors que le passage consacrĂ© Ă  l’inexistence d’un contrat de travail ne faisait l’objet que d’un raisonnement subsidiaire exposĂ© en quelques lignes qui, pour le surplus, Ă©tait formulĂ© de maniĂšre hypothĂ©tique (paragraphe 9 ci-dessus : « … Ă  supposer mĂȘme que [la relation de travail] ait eu lieu… ») , non suivies d’une conclusion juridique. Enfin, la dĂ©cision qui figure au dispositif du jugement est rendue au visa du seul article 392 du code du travail rĂ©gissant le dĂ©lai de prescription (paragraphe 16 ci-dessus). Confirmant la dĂ©cision en appel, la cour rĂ©gionale a manquĂ© Ă  remĂ©dier Ă  la situation. Ainsi, la Cour estime que le seul motif qui sous-tend le jugement est celui de la prescription.

36. La Cour estime que la dĂ©claration que l’action Ă©tait prescrite n’a pas tranchĂ© le litige au fond car le tribunal n’a pas dĂ©clarĂ© la demande du requĂ©rant justifiĂ©e ou non justifiĂ©e. La dĂ©cision de justice ne prĂ©sente qu’une sanction au demandeur pour s’ĂȘtre abstenu d’agir dans le dĂ©lai imparti. Le Gouvernement n’affirme pas l’inverse (paragraphe 21 ci‑dessus). La dĂ©cision de justice attaquĂ©e s’analyse donc en une restriction du droit d’accĂšs Ă  un tribunal du requĂ©rant.

37. Si la Cour a admis que les dĂ©lais lĂ©gaux de prescription poursuivaient plusieurs finalitĂ©s importantes, Ă  savoir garantir la sĂ©curitĂ© juridique ou une bonne administration de la justice (paragraphe 32 ci‑dessus), elle n’est pas convaincue que, dans le cas d’espĂšce, la restriction contestĂ©e ait poursuivi l’un de ces buts lĂ©gitimes. MĂȘme en admettant que la restriction eĂ»t poursuivi un de ces buts, la Cour est d’avis qu’elle n’était pas proportionnĂ©e Ă  ceux-ci. En effet, agissant de bonne foi, l’intĂ©ressĂ© a initialement introduit sa demande dans le dĂ©lai imparti par la loi devant le tribunal de district Promychlenny, une juridiction qui s’est dĂ©clarĂ©e finalement compĂ©tente. En raison des refus successifs des juridictions de se saisir, le requĂ©rant a manquĂ© le dĂ©lai imparti par le code du travail pour l’introduction de sa demande, dĂ©lai par ailleurs trĂšs court (paragraphe 16 ci‑dessus). Si la Cour s’abstient de porter un jugement sur la conformitĂ© Ă  la loi nationale de ces refus successifs, elle constate cependant qu’au moins l’une de ces juridictions avait fait erreur dans l’application des rĂšgles de compĂ©tence territoriale. La combinaison des dĂ©cisions d’incompĂ©tence et la prescription a atteint le droit d’accĂšs Ă  un tribunal dans sa substance mĂȘme.

Solution de la Cour EDH :

38. De l’avis de la Cour, l’impossibilitĂ© pour le requĂ©rant de faire valoir ses droits en raison de la prescription extinctive rĂ©sultait d’une application contradictoire des rĂšgles de compĂ©tence ratione loci, application dont il n’était nullement responsable, qui a rĂ©sultĂ© en une mĂ©connaissance du droit d’accĂšs Ă  un tribunal de l’intĂ©ressĂ©. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.


CEDH du 2 mars 2021, aff. Voronkov c/ Russie, n°10698/18