đŸŸ„ [Droit de rĂ©ponse] La Cour de cassation confirme que l’action en justice afin de faire sanctionner le refus d’un droit de rĂ©ponse est soumise au dĂ©lai de prescription de 3 mois

Références

Publication : PUBLIÉ AU BULLETIN
Identifiant : ECLI:FR:CCASS:2023:C100295

DĂ©cision : Rejet
ArrĂȘt : ArrĂȘt n° 295 F-B
Mot clé : Presse

Source : Cass., 1Úre ch. civ., 29 mars 2023, n°22-10.875

Faits et procédure

1. Selon l’arrĂȘt attaquĂ© (Toulouse, 24 novembre 2021), l’association UFC-Que Choisir (l’association), Ă©ditrice du magazine « Que choisir argent », a publiĂ© dans le numĂ©ro de juillet 2020 un article intitulĂ© « Le (faux) monde enchantĂ© d’Emrys », Ă©voquant les programmes de fidĂ©litĂ© proposĂ©s par la sociĂ©tĂ© Emrys la carte (la sociĂ©tĂ©). Par lettre recommandĂ©e du 27 aoĂ»t 2020, la sociĂ©tĂ© a adressĂ© Ă  M. [K], directeur de publication du magazine, une rĂ©ponse qui n’a pas Ă©tĂ© publiĂ©e.

2. Le 23 septembre 2020, la sociĂ©tĂ© a assignĂ© en rĂ©fĂ©rĂ© l’association et M. [K] aux fins d’insertion forcĂ©e sous astreinte de cette rĂ©ponse. En appel, l’association et M. [K] ont opposĂ© la prescription de l’action.

1er moyen

3. La sociĂ©tĂ© fait grief Ă  l’arrĂȘt de dĂ©clarer son action en insertion forcĂ©e d’un droit de rĂ©ponse irrecevable comme prescrite, alors :

« 1°/ que ne peut ĂȘtre appliquĂ© au droit de rĂ©ponse le dĂ©lai de prescription trimestrielle prĂ©vue, non pour l’exercice d’un droit, mais pour l’exercice d’une action rĂ©sultant d’un crime, dĂ©lit ou contravention prĂ©vus par la loi du 29 juillet 1881 ; qu’ainsi, a mĂ©connu les articles 6, 10, § 2 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales, 12, 13 et 65 de la loi du 29 juillet 1881, 2231, 2241 et 2242 du code civil, la cour d’appel qui a jugĂ© irrecevable l’action en insertion forcĂ©e d’un droit de rĂ©ponse, pour cause de prescription, quand l’action exercĂ©e tendait, ainsi que son nom l’indique, Ă  l’insertion d’un droit de rĂ©ponse non soumis Ă  prescription trimestrielle exclusivement prĂ©vue par la loi pour « l’action publique et l’action civile rĂ©sultant des crimes, dĂ©lits et contraventions » de la loi de 1881 ;

2°/ que s’il devait ĂȘtre considĂ©rĂ© que le dĂ©lai de prescription trimestrielle Ă©tait applicable en matiĂšre d’insertion forcĂ©e d’un droit de rĂ©ponse, les dispositions des articles 12 et 13 de la loi du 29 juillet 1881, combinĂ©es avec celles de l’article 65 de la mĂȘme loi, contreviendraient aux droits et libertĂ©s constitutionnellement garantis et, en particulier, au droit d’accĂšs au juge et Ă  un recours effectif ainsi qu’Ă  l’Ă©quilibre des droits des parties, tels qu’ils sont garantis par les articles 4 et 16 de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen ; que la dĂ©claration d’inconstitutionnalitĂ© qui interviendra privera de fondement la dĂ©cision attaquĂ©e. »

RĂ©ponse de la Cour de cassation

4. En premier lieu, c’est Ă  bon droit que la cour d’appel a Ă©noncĂ© que l’action en justice afin de faire sanctionner le refus d’insertion d’un droit de rĂ©ponse est soumise au dĂ©lai de prescription de trois mois prĂ©vu Ă  l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse.

5. En second lieu, la Cour de cassation ayant par un arrĂȘt n° 702 F-D du 13 juillet 2022, dit n’y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalitĂ© relative aux articles 12, 13 alinĂ©a 1er et 65 alinĂ©a 1er de la loi du 29 juillet 1881, la seconde branche du moyen est sans portĂ©e.

2e moyen

6. La sociĂ©tĂ© fait le mĂȘme grief Ă  l’arrĂȘt, alors « qu’a portĂ© une atteinte excessive au droit d’accĂšs Ă  un juge ainsi qu’au droit Ă  un recours effectif pour permettre la rĂ©paration d’une atteinte Ă  sa rĂ©putation et a ainsi mĂ©connu les articles 6, 10, § 2 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales, 12, 13 alinĂ©a 1er et 65 alinĂ©a 1er de la loi du 29 juillet 1881, la cour d’appel qui a jugĂ© irrecevable pour cause de prescription l’action exercĂ©e par la sociĂ©tĂ© tendant Ă  l’insertion forcĂ©e d’un droit de rĂ©ponse en se bornant, par formalisme excessif, Ă  considĂ©rer que cette action Ă©tait soumise Ă  la prescription trimestrielle sans se prononcer sur l’existence d’un calendrier de procĂ©dure et la volontĂ© persistante du demandeur de maintenir son action. »

RĂ©ponse de la Cour de cassation

7. L’existence d’un court dĂ©lai de prescription Ă©dictĂ© par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881 a pour objet de garantir la libertĂ© d’expression et ne prive pas le demandeur Ă  l’action en insertion forcĂ©e de tout recours effectif, dĂšs lors qu’il a la facultĂ© d’interrompre la prescription par tout acte rĂ©gulier de procĂ©dure manifestant son intention de continuer l’action. Ces rĂšgles sont
suffisamment claires et accessibles pour permettre aux parties d’agir en consĂ©quence (CEDH, ordonnance du 29 avril 2008, n° 24562/03 ; CEDH, ordonnance du 17 juin 2008, n° 39141/04).

8. DĂšs lors que l’existence d’un calendrier de procĂ©dure ne dispense pas le demandeur Ă  l’action en insertion forcĂ©e d’un droit de rĂ©ponse de s’assurer de l’accomplissement dans les dĂ©lais requis des actes nĂ©cessaires Ă  l’interruption de la prescription trimestrielle, le moyen est inopĂ©rant.

3e moyen

9. La sociĂ©tĂ© fait le mĂȘme grief Ă  l’arrĂȘt, alors :

« 1°/ que, n’a pas rempli son office et a mĂ©connu les articles 6, 10, § 2 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales, 12, 13 alinĂ©a 1er et 65 alinĂ©a 1er de la loi du 29 juillet 1881, 2231, 2234, 2241 et 2242 du code civil, la cour d’appel qui a jugĂ© l’action irrecevable en se bornant Ă  constater l’absence d’acte interruptif sans jamais examiner si la fixation du calendrier de la procĂ©dure ne constituait pas un empĂȘchement d’agir prĂ©vu par la loi ou la convention et, partant, un motif valable de suspension de la prescription ;

2°/ que la cour d’appel n’a pas lĂ©galement justifiĂ© sa dĂ©cision au regard des articles 6, 10, § 2 et 13 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales, 12, 13 alinĂ©a 1er et 65 alinĂ©a 1er de la loi du 29 juillet 1881, 2231, 2234, 2241 et 2242 du code civil, en jugeant irrecevable l’action exercĂ©e en insertion forcĂ©e du demandeur sans se prononcer sur l’attitude dĂ©loyale du dĂ©fendeur, seul Ă  l’origine de la prescription opportunĂ©ment soulevĂ©e par lui. »

RĂ©ponse de la Cour de cassation

10. La cour d’appel a, d’abord, Ă©noncĂ© Ă  bon droit qu’un message RPVA adressĂ© par l’avocat des dĂ©fendeurs Ă  l’action dans lequel ceux-ci sollicitent le renvoi de l’affaire pour permettre de rĂ©pliquer aux conclusions du demandeur n’est pas de nature Ă  interrompre la prescription trimestrielle.

11. Ayant constatĂ©, ensuite, qu’aucun acte rĂ©gulier de procĂ©dure manifestant son intention de poursuivre l’action n’avait Ă©tĂ© effectuĂ© entre le 10 juin et le 25 septembre 2021 par la sociĂ©tĂ© demanderesse Ă  l’action en insertion forcĂ©e, elle en exactement dĂ©duit, sans ĂȘtre tenue de suivre les parties dans le dĂ©tail de leur argumentation, que la prescription Ă©tait acquise.

12. Le moyen n’est donc pas fondĂ©.

Dispositif 

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Emrys la carte aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procĂ©dure civile, rejette la demande formĂ©e par la sociĂ©tĂ© Emrys la carte et la condamne Ă  payer Ă  l’association UFC-Que Choisir et Ă  M. [K] la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, premiÚre chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mars deux mille vingt-trois.