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Références
Publication : PUBLIĂ AU BULLETIN
Identifiant : ECLI:FR:CCASS:2023:CR00862
DĂ©cision : Cassation
ArrĂȘt : ArrĂȘt n° P 22-84.763 F-B
Mot clĂ© : Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales (article 10, § 2), libertĂ© d’expression, presse.
Source : Cass., crim., 5 septembre 2023, n°22-84.763
Faits et procédure
1. Il rĂ©sulte de l’arrĂȘt attaquĂ© et des piĂšces de la procĂ©dure ce qui suit.
2. Le 21 fĂ©vrier 2020, M. [L] [J] a portĂ© plainte et s’est constituĂ© partie civile du chef de diffamation publique envers un particulier Ă la suite d’un article publiĂ© le 20 dĂ©cembre 2019 par son associĂ©, M. [R] [V], sur sa page [2], intitulĂ© « ma dĂ©cennie Ă transformer [1], dĂ©couverte de la fraude, faire face aux reprĂ©sailles et Ă la fin : l’espoir ». Cet article imputait Ă M. [J] plusieurs comportements dĂ©lictueux et manquements aux rĂ©glementations applicables, dans le cadre de la gestion de la sociĂ©tĂ© de fabrication et de commercialisation de produits cosmĂ©tiques au sein de laquelle ils travaillaient ensemble.
3. Le tribunal correctionnel a notamment rejetĂ© l’exception de nullitĂ© de l’acte initial de poursuites, dĂ©clarĂ© M. [V] coupable du chef susvisĂ©, l’a condamnĂ© Ă 10 000 euros d’amende avec sursis et a prononcĂ© sur les intĂ©rĂȘts civils.
4. Le prévenu et le ministÚre public, puis la partie civile, ont relevé appel de cette décision.
Moyen
6. Le moyen critique l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’il a dĂ©clarĂ© M. [V] coupable des faits de diffamation envers particulier par parole, Ă©crit, image ou moyen de communication au public par voie Ă©lectronique qui lui Ă©taient reprochĂ©s, alors :
« 2°/ en toute hypothĂšse, que sont justifiĂ©s les propos diffamatoires portant sur un sujet d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et reposant sur une base factuelle suffisante ; que l’existence d’un sujet d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et d’une base factuelle suffisante suffisent Ă justifier des propos diffamatoires indiffĂ©remment des critĂšres traditionnels de la bonne foi ; qu’en se bornant Ă analyser la justification des
propos poursuivis au regard des critĂšres de la bonne foi sans rechercher, ainsi qu’elle y Ă©tait pourtant invitĂ©e (derniĂšres Ă©critures d’appel de l’exposant, p.11, in fine) si les propos en question portaient sur un sujet d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral liĂ© Ă la santĂ© publique et reposaient sur une base factuelle suffisante, critĂšres distincts des quatre critĂšres de la bonne foi, traditionnellement retenus au bĂ©nĂ©fice de l’auteur de propos diffamatoires, la cour d’appel n’a pas lĂ©galement justifiĂ© sa dĂ©cision au regard de l’article 10 de la Convention europĂ©enne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales, ensemble l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 appliquĂ© Ă la lumiĂšre dudit article ;
3°/ en toute hypothĂšse, que, en matiĂšre de diffamation, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il Ă©tait de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent Ă cette fin si celui-ci s’exprimait dans un but lĂ©gitime, Ă©tait dĂ©nuĂ© d’animositĂ© personnelle, s’est appuyĂ© sur une enquĂȘte sĂ©rieuse et a conservĂ© prudence et mesure dans l’expression, de rechercher d’abord, en application de ce mĂȘme texte, tel qu’interprĂ©tĂ© par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s’ils constatent que ces deux conditions sont rĂ©unies, d’apprĂ©cier moins strictement ces quatre critĂšres, notamment s’agissant de l’absence d’animositĂ© personnelle et de la prudence dans l’expression ; qu’en se bornant Ă examiner si M. [V] s’exprimait dans un but lĂ©gitime, Ă©tait dĂ©nuĂ© d’animositĂ© personnelle et s’Ă©tait appuyĂ© sur une enquĂȘte sĂ©rieuse sans rechercher si les propos qui lui Ă©taient reprochĂ©s s’inscrivaient dans un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et reposaient sur une base factuelle suffisante, la cour d’appel n’a pas lĂ©galement justifiĂ© sa dĂ©cision au regard de l’article 10 de la Convention europĂ©enne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales, ensemble l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 appliquĂ© Ă la lumiĂšre dudit article. »
RĂ©ponse de la Cour de cassation
Vu l’article 593 du code de procĂ©dure pĂ©nale :
7. Tout jugement ou arrĂȘt doit comporter les motifs propres Ă justifier la dĂ©cision et rĂ©pondre aux chefs pĂ©remptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs Ă©quivaut Ă leur absence.
8. Pour refuser au prĂ©venu le bĂ©nĂ©fice de la bonne foi et confirmer le jugement, l’arrĂȘt attaquĂ©, aprĂšs avoir Ă©noncĂ© que les propos poursuivis portent atteinte Ă l’honneur ou Ă la considĂ©ration de la partie civile, retient en substance que les piĂšces produites par M. [V], prĂ©cisĂ©ment Ă©numĂ©rĂ©es et analysĂ©es, ne permettent pas de corroborer les faits dĂ©noncĂ©s dans la publication litigieuse ni de considĂ©rer que ce dernier ait agi de bonne foi en tant que lanceur d’alerte.
9. Les juges ajoutent que le terme de « reprĂ©sailles », dans un contexte de mĂ©sentente entre M. [V] et M. [J], est exclusif de bonne foi en ce qu’il est excessif.
10. Ils concluent que le prĂ©venu ne peut arguer de sa bonne foi dĂšs lors que les faits dĂ©noncĂ©s reposent sur une enquĂȘte partiale qui ne peut ĂȘtre qualifiĂ©e de sĂ©rieuse, qu’ils n’ont pas Ă©tĂ© divulguĂ©s dans un but lĂ©gitime d’information et en l’absence d’animositĂ© personnelle, puisque la sociĂ©tĂ© de M. [V] est directement concurrente de celle de M. [J], que les deux hommes ne s’entendent plus et que le premier a par ailleurs essayĂ© de faire nommer un administrateur provisoire pour exclure le second de sa sociĂ©tĂ©, demande dont il a Ă©tĂ© dĂ©finitivement dĂ©boutĂ©.
11. En se dĂ©terminant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifiĂ© sa dĂ©cision.
12. En effet, lorsque l’auteur des propos soutient qu’il Ă©tait de bonne foi, il appartient au juge de rechercher, en premier lieu, en application de l’article 10 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, tel qu’interprĂ©tĂ© par la Cour europĂ©enne des droits de l’homme, si lesdits propos s’inscrivent dans un dĂ©bat d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et reposent sur une base factuelle suffisante, notions qui recouvrent celles de lĂ©gitimitĂ© du but de l’information et d’enquĂȘte sĂ©rieuse, afin, en second lieu, si ces deux conditions sont rĂ©unies, d’apprĂ©cier moins strictement les critĂšres de l’absence d’animositĂ© personnelle et de la prudence et mesure dans l’expression.
13. La cassation est par consĂ©quent encourue, sans qu’il y ait lieu d’examiner les autres griefs.
DispositifÂ
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu d’examiner les troisiĂšme et quatriĂšme moyens de cassation proposĂ©s, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrĂȘt susvisĂ© de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, en date du 28 juin 2022, et pour qu’il soit Ă nouveau jugĂ©, conformĂ©ment Ă la loi ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composĂ©e, Ă ce dĂ©signĂ©e par dĂ©libĂ©ration spĂ©ciale prise en chambre du conseil ;
DIT n’y avoir lieu Ă application de l’article 618-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale ;
ORDONNE l’impression du prĂ©sent arrĂȘt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel d’Aix-en-Provence et sa mention en marge ou Ă la suite de l’arrĂȘt annulĂ© ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-trois.