đŸŸ„ [Crime contre l’humanitĂ©] La Cour de cassation annule la relaxe d’Eric Zemmour poursuivi pour contestation de crime contre l’humanitĂ© pour avoir dĂ©clarĂ© que PĂ©tain avait « sauvé » les juifs français

Références

Publication : PUBLIÉ AU BULLETIN
Identifiant : ECLI:FR:CCASS:2023:CR00916

DĂ©cision : Cassation
ArrĂȘt : ArrĂȘt n° Q 22-83.959 FS-B
Mot clé : Presse

Source : Cass., Crim., 5 septembre 2023, n° 22-83.959

Faits et procédure

1. Il rĂ©sulte de l’arrĂȘt attaquĂ© et des piĂšces de la procĂ©dure ce qui suit.

2. Les associations Union des Ă©tudiants juifs de France (UEJF) et J’accuse…! action internationale pour la justice (AIPJ) ont fait citer M. [N] [B], devant le tribunal correctionnel de Paris, du chef susvisĂ©, en qualitĂ© d’auteur, en raison des propos suivants tenus Ă  l’antenne de la chaĂźne de tĂ©lĂ©vision CNews lors de l’Ă©mission « Face Ă  l’info » diffusĂ©e en direct, le 21 octobre 2019, Ă  19 heures, rediffusĂ©e le mĂȘme jour Ă  23 heures 25 et mise en ligne sur le site internet de la chaĂźne :
« [J][I] : vous avez dit un jour une chose terrible, dans une autre émission, vous avez osé dire que Pétain avait sauvé les juifs ;
[N][B] : français, précisez, précisez français ;
BHL : ou avait sauvĂ© les juifs français, c’est une monstruositĂ©, c’est du rĂ©visionnisme ;
[N][B] : c’est encore une fois le rĂ©el ;
[J][I] : non, le réel ;
[N][B] : je suis dĂ©solĂ© … ».

3. Par jugement du 4 fĂ©vrier 2021, le tribunal correctionnel, devant lequel sont intervenues les associations SOS racisme – touche pas Ă  mon pote (SOS racisme), Mouvement contre le racisme et pour l’amitiĂ© entre les peuples (MRAP) et Ligue internationale contre le racisme et l’antisĂ©mitisme (LICRA), en qualitĂ© de parties civiles, a relaxĂ© le prĂ©venu et prononcĂ© sur les intĂ©rĂȘts civils.

4. Les parties civiles et le procureur de la République ont relevé appel de cette décision.

Moyen

Examen des moyens

Sur le moyen proposé par le procureur général
Sur le moyen proposĂ© pour SOS racisme, l’UEJF et l’AIJP
Sur les premier et second moyens proposés pour le MRAP
Sur le moyen proposé pour la LICRA

Enoncé des moyens

5. Le moyen proposĂ© par le procureur gĂ©nĂ©ral critique l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’il a relaxĂ© M. [B], par des motifs insuffisants ou erronĂ©s, manque de base lĂ©gale, en violation de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse, alors :

1°/ que la contestation de crimes contre l’humanitĂ© est punissable mĂȘme si elle est prĂ©sentĂ©e sous forme dĂ©guisĂ©e, dubitative ou par voie d’insinuation ou lorsque les propos poursuivis reflĂštent une minoration outranciĂšre du nombre des victimes de la dĂ©portation et de la politique d’extermination des populations d’origine et de confession juive conduite au cours de la Seconde Guerre mondiale ou, y compris sous couvert de la recherche d’une supposĂ©e vĂ©ritĂ© historique, une banalisation ou relativisation de crimes commis Ă  ce titre et des causes de la mort des victimes ou encore une minoration des souffrances des rescapĂ©s de la Shoah ;

2°/ que les dispositions de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse n’exigent pas que les crimes contre l’humanitĂ© contestĂ©s aient Ă©tĂ© exclusivement et directement perpĂ©trĂ©s soit par les membres d’une organisation dĂ©clarĂ©e criminelle en application de l’article 9 du statut du tribunal militaire international dit tribunal de Nuremberg, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, mais qu’il suffit que les personnes dĂ©signĂ©es les aient dĂ©cidĂ©s ou organisĂ©s, peu important que leur exĂ©cution matĂ©rielle ait Ă©tĂ©, partiellement ou entiĂšrement, le fait de tiers.

6. Le moyen proposĂ© pour SOS racisme, l’UEJF et l’AIJP critique l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’il a relaxĂ© M. [B] du chef de contestation de crimes contre l’humanitĂ© par parole, Ă©crit, image ou moyen de communication audiovisuel et a rejetĂ© les demandes des parties civiles, alors :

« 1°/ que l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 rĂ©prime la contestation, par un des moyens Ă©noncĂ©s Ă  l’article 23, de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanitĂ© tels qu’ils sont dĂ©finis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexĂ© Ă  l’accord de Londres du 8 aoĂ»t 1945 et qui ont Ă©tĂ© commis soit par les membres d’une organisation dĂ©clarĂ©e criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ; que par ailleurs, la contestation de l’existence des crimes contre l’humanitĂ© entre dans les prĂ©visions de ce texte mĂȘme si elle est prĂ©sentĂ©e sous forme dĂ©guisĂ©e ou dubitative ou encore par voie d’insinuation ; qu’en l’espĂšce, en affirmant, pour relaxer [N] [B] du chef de contestation de crimes contre l’humanitĂ©, pour avoir confirmĂ©, lors de l’Ă©mission Face Ă  l’Info, diffusĂ©e par la chaĂźne CNews et mise en ligne sur le service Replay de la chaĂźne, que PĂ©tain avait sauvĂ© les juifs français, que ces propos, s’ils peuvent heurter les familles de dĂ©portĂ©s, n’ont pas pour objet de contester fĂ»t-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la dĂ©portation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration, bien qu’ils remettaient en cause les crimes contre l’humanitĂ© subis par les juifs français, dont 24.000 personnes ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©es, dĂ©portĂ©es et exterminĂ©es par les nazis, avec la complicitĂ© du gouvernement de Vichy, la cour d’appel a violĂ© le texte susvisĂ©, ensemble les articles 591 Ă  593 du code de procĂ©dure pĂ©nale ;

2°/ que l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 rĂ©prime la contestation, par un des moyens Ă©noncĂ©s Ă  l’article 23, de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanitĂ© tels qu’ils sont dĂ©finis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexĂ© Ă  l’accord de Londres du 8 aoĂ»t 1945 et qui ont Ă©tĂ© commis soit par les membres d’une organisation dĂ©clarĂ©e criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ; que par ailleurs, la contestation de l’existence des crimes contre l’humanitĂ© entre dans les prĂ©visions de ce texte mĂȘme s’ils n’ont pas fait eux-mĂȘmes l’objet d’une condamnation ; qu’en l’espĂšce, en relaxant [N] [B] du chef de contestation de crimes contre l’humanitĂ©, au motif que si par arrĂȘt du 23 avril 1945, la Haute Cour de justice a reconnu le marĂ©chal (sic) PĂ©tain coupable d’attentat contre la sĂ»retĂ© intĂ©rieure de l’Etat et d’avoir entretenu des intelligences avec l’ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrĂ©lation avec les siennes, celui-ci n’a pas Ă©tĂ© poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanitĂ© tels qu’ils sont dĂ©finis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexĂ© Ă  l’accord de Londres du 8 aoĂ»t 1945, la cour d’appel a violĂ© le texte susvisĂ©, ensemble les articles 591 Ă  593 du code de procĂ©dure pĂ©nale ;

3°/ qu’en affirmant, pour entrer en voie de relaxe, que l’expression litigieuse fait rĂ©fĂ©rence Ă  une thĂšse dĂ©fendue par M. [B] – tant dans son livre Le Suicide Français qu’Ă  l’occasion d’Ă©mission tĂ©lĂ©visĂ©es – selon laquelle si la dĂ©portation a moins touchĂ© les juifs de nationalitĂ© française que les juifs de nationalitĂ© Ă©trangĂšre rĂ©sidant en France, c’est le fait d’une action du marĂ©chal (sic) [Z] en leur faveur, bien que l’expression « PĂ©tain a sauvĂ© les juifs français », signifie au contraire qu’aucun juif français, de nationalitĂ© française ou qui a Ă©tĂ© dĂ©chu de sa nationalitĂ© française par le gouvernement de Vichy, n’a Ă©tĂ© dĂ©portĂ© ou exterminĂ©, la cour d’appel a privĂ© sa dĂ©cision de base lĂ©gale au regard de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et violĂ© les articles 591 Ă  593 du code de procĂ©dure pĂ©nale ;

4°/ qu’en affirmant, pour entrer en voie de relaxe, que l’expression litigieuse faisait rĂ©fĂ©rence Ă  une thĂšse dĂ©fendue par M. [B] – tant dans son livre Le Suicide Français qu’Ă  l’occasion d’Ă©mission tĂ©lĂ©visĂ©es – selon laquelle si la dĂ©portation a moins touchĂ© les juifs de nationalitĂ© française que les juifs de nationalitĂ© Ă©trangĂšre rĂ©sidant en France, c’est le fait d’une action du marĂ©chal (sic) PĂ©tain en leur faveur, mais sans rechercher si le tĂ©lĂ©spectateur moyen, qui n’a pas forcĂ©ment lu tous les livres d'[N] [B] ou entendu toutes les Ă©missions auxquelles il a participĂ©, avait eu connaissance de cette thĂšse au moment de la diffusion de l’Ă©mission, la cour d’appel a privĂ© sa dĂ©cision de base lĂ©gale au regard de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et violĂ© les articles 591 Ă  593 du code de procĂ©dure pĂ©nale ».

7. Le premier moyen proposĂ© pour le MRAP critique l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’il a relaxĂ© M. [B] du chef de contestation de crime contre l’humanitĂ©, alors :

« 1°/ que les dispositions de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse qui incriminent la contestation de crimes contre l’humanitĂ© n’exigent pas que ces crimes aient Ă©tĂ© exclusivement et directement perpĂ©tuĂ©s par les membres d’une organisation dĂ©clarĂ©e criminelle en application de l’article 9 du Statut du tribunal militaire international ou par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale ; que dĂšs lors, a mĂ©connu ses textes ainsi que les articles 6 et 10 § 2 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, prĂ©liminaire, 591 et 593 du code de procĂ©dure pĂ©nale, la cour d’appel qui a relaxĂ© le prĂ©venu pour des propos valorisant l’action de PĂ©tain aux motifs, radicalement inopĂ©rants, qu’il « n’a pas Ă©tĂ© poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanitĂ© tels qu’ils sont dĂ©finis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexĂ© Ă  l’accord de Londres du 8 aoĂ»t 1945 », quand il suffit que les personnes susmentionnĂ©es aient dĂ©cidĂ© ou organisĂ© les crimes contre l’humanitĂ©, nonobstant le fait que leur exĂ©cution matĂ©rielle ait Ă©tĂ©, partiellement ou totalement, le fait d’un tiers.

2°/ qu’en tout Ă©tat de cause, n’a pas tirĂ© les consĂ©quences lĂ©gales de ses propres constatations au regard des articles 6 et 10 § 2 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, prĂ©liminaire, 591 et 593 du code de procĂ©dure pĂ©nale, la cour d’appel qui relevait que Philippe PĂ©tain avait Ă©tĂ© condamnĂ© pour « intelligences avec l’ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrĂ©lation avec les siennes », ces entreprises renvoyant Ă  la dĂ©portation et l’extermination des populations juives Ă©laborĂ©es, planifiĂ©es par le rĂ©gime nazi et ses dirigeants, caractĂ©risant une organisation dĂ©clarĂ©e criminelle, certains ayant Ă©tĂ© prĂ©cisĂ©ment condamnĂ©s par le tribunal de Nuremberg en qualitĂ© d’instigateurs, de donneurs d’ordres ou d’exĂ©cutant pour crimes contre l’humanitĂ© ».

8. Le second moyen proposĂ© pour le MRAP critique l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’il a relaxĂ© M. [B] du chef de contestation de crime contre l’humanitĂ© par voie de presse, alors :

« 1°/ que la contestation de crime contre l’humanitĂ© est rĂ©primĂ©e mĂȘme si elle est prĂ©sentĂ©e sous forme dĂ©guisĂ©e, dubitative ou par voie d’insinuation ; qu’en relaxant M. [B] pour des propos relatifs Ă  la Shoah commis par le rĂ©gime nazi par l’entremise des services français en prĂ©sentant PĂ©tain, chef d’État du gouvernement de Vichy ayant collaborĂ© activement avec le IIIĂšme Reich durant l’occupation allemande, comme le sauveur des juifs français, propos contestant par une voie dĂ©guisĂ©e, les crimes contre l’humanitĂ©, la cour d’appel a mĂ©connu le sens et la portĂ©e de l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 et violĂ© les article 6 et 10 §2 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, prĂ©liminaire, 591 et 593 du Code de procĂ©dure pĂ©nale ;

2°/ que la cour d’appel ne pouvait, sans priver sa dĂ©cision de base lĂ©gale au regard des articles 6 et 10 §2 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, prĂ©liminaire, 591 et 593 du Code de procĂ©dure pĂ©nale, relaxer M. [B], homme politique et chroniqueur aguerri, aux motifs que ses propos ont Ă©tĂ© tenus Ă  la suite d’une « brusque interpellation », cette circonstance Ă©tant radicalement inopĂ©rante Ă  l’exonĂ©rer de sa responsabilitĂ©, peu importe au demeurant que ses propos rejoignent l’opinion dĂ©fendue dans d’autres mĂ©dias selon laquelle « si la dĂ©portation a moins touchĂ© les juifs de nationalitĂ© française que les juifs de nationalitĂ© Ă©trangĂšre situĂ© en France, c’est le fait d’une action du marĂ©chal PĂ©tain en leur faveur » ;

3°/ que n’a pas lĂ©galement justifiĂ© sa dĂ©cision au regard des articles 6 et 10 §2 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, 24 bis de la loi du 29 juillet 1881, prĂ©liminaire, 591 et 593 du Code de procĂ©dure pĂ©nale et a affirmĂ© un fait en contradiction avec les piĂšces de la procĂ©dure, la cour d’appel qui a relaxĂ© le prĂ©venu en considĂ©rant qu’il n’avait pas usĂ© du dĂ©terminant « les » quand il rĂ©sulte des piĂšces de la procĂ©dure et, en particulier, du livre Ă©crit par le prĂ©venu, Le suicide français, des indications selon lesquelles PĂ©tain avait fait face aux demandes allemandes : « sacrifier les juifs Ă©trangers pour sauver les juifs français ».

9. Le moyen proposĂ© pour la LICRA critique l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’il l’a dĂ©boutĂ©e de sa demande indemnitaire aprĂšs avoir renvoyĂ© M. [B] des fins de la poursuite, alors :

« 1°/ qu’il ressort de l’Ă©change durant lequel ont Ă©tĂ© tenus les propos poursuivis que, rĂ©pondant Ă  son interlocuteur qui lui reprochait d’avoir prĂ©cĂ©demment dit que PĂ©tain « avait sauvĂ© les juifs français », M. [B] a affirmĂ© « c’est encore une fois le rĂ©el », de sorte qu’en retenant, pour relaxer le prĂ©venu, que ces propos n’avaient pas pour objet de contester ou minorer le nombre de victimes de la dĂ©portation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration, la cour d’appel a mĂ©connu l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ;

2°/ que l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 n’exige pas que les crimes contre l’humanitĂ© contestĂ©s aient Ă©tĂ© exclusivement commis soit par les membres d’une organisation dĂ©clarĂ©e criminelle en application de l’article 9 du statut dudit tribunal, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, mais qu’il suffit que les personnes ainsi dĂ©signĂ©es les aient dĂ©cidĂ©s ou organisĂ©s, peu important que leur exĂ©cution matĂ©rielle ait Ă©tĂ©, partiellement ou complĂštement, le fait de tiers ; qu’en retenant, pour Ă©carter la culpabilitĂ© de M. [B], que Philippe PĂ©tain n’avait pas Ă©tĂ© lui-mĂȘme poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanitĂ©, ce qui, sauf Ă  constater qu’il n’avait pas Ă©tĂ© l’exĂ©cutant de ces crimes, Ă©tait sans incidence sur la culpabilitĂ© du prĂ©venu, la cour d’appel a mĂ©connu le texte prĂ©citĂ© ».

RĂ©ponse de la Cour de cassation

10. Les moyens sont réunis.

Vu les articles 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et 593 du code de procédure pénale :

11. Le premier de ces textes rĂ©prime la contestation de l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanitĂ© tels qu’ils sont dĂ©finis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexĂ© Ă  l’accord de Londres du 8 aoĂ»t 1945 et qui ont Ă©tĂ© commis soit par les membres d’une organisation dĂ©clarĂ©e criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale.

12. Aux termes du second, tout jugement ou arrĂȘt doit comporter les motifs propres Ă  justifier la dĂ©cision. L’insuffisance ou la contradiction des motifs Ă©quivaut Ă  leur absence.

13. Il appartient aux juges du fond, saisis d’une infraction prĂ©vue Ă 
l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse, d’apprĂ©cier le sens et la portĂ©e des propos litigieux, au besoin, au vu des Ă©lĂ©ments extrinsĂšques Ă  ceux-ci invoquĂ©s par les parties.

14. Il revient Ă  la Cour de cassation de contrĂŽler cette apprĂ©ciation du sens et de la portĂ©e desdits propos et de vĂ©rifier que l’analyse des Ă©lĂ©ments extrinsĂšques, que les juges du fond apprĂ©cient souverainement, est exempte d’insuffisance comme de contradiction.

15. Pour confirmer le jugement, relaxer M. [B] et dĂ©bouter les parties civiles de leurs demandes, l’arrĂȘt attaquĂ© Ă©nonce que les propos reprochĂ©s au prĂ©venu ont Ă©tĂ© tenus Ă  la suite d’une brusque interpellation, au cours de laquelle M. [I] lui a reprochĂ© d’avoir affirmĂ©, dans une autre Ă©mission, que « PĂ©tain avait sauvĂ© les juifs», les juges relevant que, dans cet Ă©change, seul M. [I] a fait usage du dĂ©terminant «les», le prĂ©venu ayant uniquement prĂ©cisĂ© « français ».

16. Les juges ajoutent qu’il Ă©tait fait rĂ©fĂ©rence Ă  une opinion dĂ©fendue par M. [B], tant dans son livre « Le Suicide français » qu’Ă  l’occasion d’Ă©missions tĂ©lĂ©visĂ©es, selon laquelle, si la dĂ©portation a moins touchĂ© les juifs de nationalitĂ© française que les juifs Ă©trangers rĂ©sidant en France, c’Ă©tait le fait d’une action de Philippe PĂ©tain en leur faveur.

17. Ils en dĂ©duisent que, si ces propos peuvent heurter les familles de dĂ©portĂ©s, ils n’ont pas pour objet de contester ou minorer, fĂ»t-ce de façon marginale, le nombre des victimes de la dĂ©portation ou la politique d’extermination dans les camps de concentration.

18. Ils retiennent encore que, si la Haute Cour de justice a reconnu Philippe PĂ©tain coupable « d’attentat contre la sĂ»retĂ© intĂ©rieure de l’Etat et d’avoir entretenu des intelligences avec l’ennemi en vue de favoriser ses entreprises en corrĂ©lation avec les siennes », l’intĂ©ressĂ© n’a pas Ă©tĂ© poursuivi pour un ou plusieurs crimes contre l’humanitĂ© tels qu’ils sont dĂ©finis Ă  l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexĂ© Ă  l’accord de Londres du 8 aoĂ»t 1945.

19. En se dĂ©terminant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifiĂ© sa dĂ©cision pour les motifs qui suivent.

20. En premier lieu, il est indiffĂ©rent que Philippe PĂ©tain n’ait pas Ă©tĂ© condamnĂ© pour un ou plusieurs crimes tels qu’ils sont dĂ©finis Ă  l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexĂ© Ă  l’accord de Londres du 8 aoĂ»t 1945.

21. En effet, la Cour de cassation juge que l’article 24 bis prĂ©citĂ© n’exige pas que les crimes contre l’humanitĂ© contestĂ©s aient Ă©tĂ© exclusivement commis soit par les membres d’une organisation dĂ©clarĂ©e criminelle en application de l’article 9 du statut dudit tribunal, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale, mais qu’il suffit que les personnes ainsi dĂ©signĂ©es les aient dĂ©cidĂ©s ou organisĂ©s, peu important que leur exĂ©cution matĂ©rielle ait Ă©tĂ©, partiellement ou complĂštement, le fait de tiers (Crim., 24 mars 2020, pourvoi
n° 19-80.783).

22. En deuxiĂšme lieu, les juges n’ont pas procĂ©dĂ© Ă  l’analyse exhaustive des propos poursuivis. En effet, alors qu’Ă  la fin de l’Ă©change, son interlocuteur affirmait « ou avait sauvĂ© les juifs français, c’est une monstruositĂ©, c’est du rĂ©visionnisme », le prĂ©venu a rĂ©pliquĂ© « c’est encore une fois le rĂ©el », reprenant ainsi Ă  son compte les propos qui venaient de lui ĂȘtre prĂȘtĂ©s selon lesquels Philippe PĂ©tain avait « sauvĂ© les juifs français ».

23. Enfin, procĂ©dant Ă  l’analyse du contexte dans lequel les propos ont Ă©tĂ© tenus, ils ne pouvaient, sans mieux s’expliquer, retenir, au terme de leur examen des Ă©lĂ©ments extrinsĂšques invoquĂ©s en dĂ©fense, en quoi cette affirmation devait ĂȘtre comprise comme se rĂ©fĂ©rant Ă  des propos plus mesurĂ©s que M. [B] aurait exprimĂ©s antĂ©rieurement.

24. La cassation est par conséquent encourue.

Dispositif 

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrĂȘt susvisĂ© de la cour d’appel de Paris, en date du 12 mai 2022, et pour qu’il soit Ă  nouveau jugĂ©, conformĂ©ment Ă  la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composĂ©e, Ă  ce dĂ©signĂ©e par dĂ©libĂ©ration spĂ©ciale prise en chambre du conseil ;

DIT n’y avoir lieu Ă  application de l’article 618-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale ;

ORDONNE l’impression du prĂ©sent arrĂȘt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou Ă  la suite de l’arrĂȘt annulĂ© ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du cinq septembre deux mille vingt-trois.