Procédure
Ă lâorigine de lâaffaire se trouve une requĂȘte (no 23199/17) dirigĂ©e contre la RĂ©publique de Turquie et dont dix ressortissants de cet Ătat, MM. Mehmet Murat Sabuncu, nĂ© en 1969, Akın Atalay, nĂ© en 1963, Ănder Ăelik, nĂ© en 1956, Turhan GĂŒnay, nĂ© en 1946, Mustafa Kemal GĂŒngör, nĂ© en 1959, Ahmet Kadri GĂŒrsel, nĂ© en 1961, Hakan Karasinir, nĂ© en 1963, Hacı Musa Kart, nĂ© en 1954, GĂŒray Tekin Ăz, nĂ© en 1949, et BĂŒlent Utku, nĂ© en 1955 (« les requĂ©rants »), ont saisi la Cour le 2 mars 2017 en vertu de lâarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de lâhomme et des libertĂ©s fondamentales (« la Convention »).
2. Les requérants ont été représentés par Me F. İlkiz, avocat à Istanbul. Le gouvernement turc (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent.
3. Le 8 juin 2017, la requĂȘte a Ă©tĂ© communiquĂ©e au Gouvernement.
4. Tant les requĂ©rants que le Gouvernement ont dĂ©posĂ© des observations Ă©crites sur la recevabilitĂ© et sur le fond de lâaffaire.
5. Le Commissaire aux droits de lâhomme du Conseil de lâEurope (« le Commissaire aux droits de lâhomme ») a exercĂ© son droit de prendre part Ă la procĂ©dure et a prĂ©sentĂ© des observations Ă©crites (article 36 § 3 de la Convention et article 44 § 2 du rĂšglement de la Cour).
6. Des observations Ă©crites ont Ă©galement Ă©tĂ© adressĂ©es Ă la Cour par le Rapporteur spĂ©cial sur la promotion et la protection du droit Ă la libertĂ© dâopinion et dâexpression des Nations unies (« le Rapporteur spĂ©cial ») ainsi que par les organisations non gouvernementales suivantes, lesquelles ont agi conjointement : ARTICLE 19, lâAssociation des journalistes europĂ©ens, le ComitĂ© pour la protection des journalistes, le Centre europĂ©en pour la libertĂ© de la presse et des mĂ©dias, la FĂ©dĂ©ration europĂ©enne des journalistes, Human Rights Watch, Index on Censorship, la FĂ©dĂ©ration internationale des journalistes, lâInternational Press Institute, lâInternational Senior Lawyers Project, PEN International, et Reporters Sans FrontiĂšres (« les organisations non gouvernementales intervenantes »). Le prĂ©sident de la Section avait autorisĂ© le Rapporteur spĂ©cial et les organisations en question Ă intervenir en vertu de lâarticle 36 § 2 de la Convention et de lâarticle 44 § 3 du rĂšglement de la Cour.
7. Le Gouvernement a répondu aux observations des parties intervenantes.
8. Par un courrier du 11 juillet 2019, le Gouvernement a informĂ© la Cour que la Cour constitutionnelle avait rendu son arrĂȘt relatif aux recours individuels des requĂ©rants. Ces derniers ont prĂ©sentĂ© leurs commentaires relativement Ă cet arrĂȘt.
Sommaire
1/ Sur la violation allĂ©guĂ©e de l’article 5 paragraphe 1 et 3 de la Convention (violation du paragraphe 1)
2/ Sur la violation allĂ©guĂ©e de l’article 5 paragraphe 4 de la Convention (non-violation)
3/ Sur la violation allĂ©guĂ©e de l’article 10 de la Convention (violation)
4/ Sur la violation allĂ©guĂ©e de l’article 18 de la Convention (non-violation)
1/ Sur la violation allĂ©guĂ©e de l’article 5 paragraphe 1 et 3 de la Convention
128. Les requĂ©rants (Ă lâexception de Turhan GĂŒnay et Ahmet Kadri GĂŒrsel) se plaignent que leur mise et leur maintien en dĂ©tention provisoire Ă©taient arbitraires. Ils allĂšguent notamment que les dĂ©cisions judiciaires concernant leur mise et leur maintien en dĂ©tention provisoire nâĂ©taient fondĂ©es sur aucun Ă©lĂ©ment de preuve concret indiquant lâexistence de raisons plausibles de les soupçonner dâavoir commis une infraction pĂ©nale. Ils soutiennent que les faits citĂ©s comme Ă©tant Ă lâorigine des soupçons Ă leur encontre ne sâapparentaient quâĂ des actes relevant de leurs travaux journalistiques et, donc, de leur libertĂ© dâexpression.
129. Ils se plaignent Ă ces Ă©gards dâune violation de lâarticle 5 §§ 1 et 3 de la Convention, ainsi libellĂ© en ses parties pertinentes en lâespĂšce :
« 1. Toute personne a droit Ă la libertĂ© et Ă la sĂ»retĂ©. Nul ne peut ĂȘtre privĂ© de sa libertĂ©, sauf dans les cas suivants et selon les voies lĂ©gales :
(…)
c) sâil a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et dĂ©tenu en vue dâĂȘtre conduit devant lâautoritĂ© judiciaire compĂ©tente, lorsquâil y a des raisons plausibles de soupçonner quâil a commis une infraction ou quâil y a des motifs raisonnables de croire Ă la nĂ©cessitĂ© de lâempĂȘcher de commettre une infraction ou de sâenfuir aprĂšs lâaccomplissement de celle-ci ;
(…)
3. Toute personne arrĂȘtĂ©e ou dĂ©tenue, dans les conditions prĂ©vues au paragraphe 1 c) du prĂ©sent article (…) a le droit dâĂȘtre jugĂ©e dans un dĂ©lai raisonnable, ou libĂ©rĂ©e pendant la procĂ©dure. La mise en libertĂ© peut ĂȘtre subordonnĂ©e Ă une garantie assurant la comparution de lâintĂ©ressĂ© Ă lâaudience. »
LâapprĂ©ciation de la Cour
—a) Principes pertinents
142. La Cour rappelle dâabord que lâarticle 5 de la Convention garantit un droit de trĂšs grande importance dans « une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique » au sens de la Convention, Ă savoir le droit fondamental Ă la libertĂ© et Ă la sĂ»retĂ© (AssanidzĂ© c. GĂ©orgie [GC], no 71503/01, § 169, CEDH 2004-II).
143. Tout individu a droit Ă la protection de ce droit, câest-Ă -dire Ă ne pas ĂȘtre ou rester privĂ© de libertĂ© (Weeks c. Royaume-Uni, 2 mars 1987, § 40, sĂ©rie A no 114), sauf dans le respect des exigences du paragraphe 1 de lâarticle 5 de la Convention. La liste des exceptions prĂ©vues Ă lâarticle 5 § 1 revĂȘt un caractĂšre exhaustif (Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 170, CEDH 2000-IV), et seule une interprĂ©tation Ă©troite cadre avec le but et lâobjet de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privĂ© de sa libertĂ© (AssanidzĂ©, prĂ©citĂ©, § 170, Al-Jedda c. Royaume-Uni [GC], no 27021/08, § 99, CEDH 2011, et Buzadji c. RĂ©publique de Moldova [GC], no 23755/07, § 84, CEDH 2016 (extraits)).
144. LâalinĂ©a c) de lâarticle 5 § 1 de la Convention ne prĂ©suppose pas que les autoritĂ©s dâenquĂȘte aient rassemblĂ© des preuves suffisantes pour porter des accusations au moment de lâarrestation ou pendant la garde Ă vue. Lâobjet dâun interrogatoire menĂ© pendant une dĂ©tention au titre de cet alinĂ©a est de complĂ©ter lâenquĂȘte pĂ©nale en confirmant ou en Ă©cartant les soupçons concrets ayant fondĂ© lâarrestation (Brogan et autres c. RoyaumeâUni, 29 novembre 1988, § 53, sĂ©rie A no 145âB). Ainsi, les faits donnant naissance Ă des soupçons ne doivent pas ĂȘtre du mĂȘme niveau que ceux qui sont nĂ©cessaires pour justifier une condamnation ou mĂȘme pour porter une accusation, ce qui intervient dans la phase suivante de la procĂ©dure de lâenquĂȘte pĂ©nale (Murray c. Royaume-Uni, 28 octobre 1994, sĂ©rie A no 300âA, § 55, Metin c. Turquie (dĂ©c.), no 77479/11, § 57, 3 mars 2015, et YĂŒksel et autres c. Turquie, nos 55835/09 et 2 autres, § 52, 31 mai 2016).
145. Ceci dit, la « plausibilitĂ© » des soupçons sur lesquels doit se fonder une arrestation constitue un Ă©lĂ©ment essentiel de la protection offerte par lâarticle 5 § 1 c) de la Convention contre les privations de libertĂ© arbitraires. Câest pourquoi la suspicion de bonne foi nâest pas suffisante Ă elle seule. En fait, lâexigence de lâexistence de « raisons plausibles » possĂšde deux aspects distincts mais qui se chevauchent : un aspect factuel et un aspect de qualification criminelle.
146. En premier lieu, en ce qui concerne lâaspect factuel, la notion de « raisons plausibles » prĂ©suppose lâexistence de faits ou renseignements propres Ă persuader un observateur objectif que lâindividu en cause peut avoir accompli lâinfraction. Ce qui est « plausible » dĂ©pend de lâensemble des circonstances (voir, entre autres, Fox, Campbell et Hartley c. RoyaumeâUni, 30 aoĂ»t 1990, § 32, sĂ©rie A no 182, et Merabishvili c. GĂ©orgie [GC], no 72508/13, § 184, 28 novembre 2017), mais la Cour doit pouvoir dĂ©terminer si la substance de la garantie offerte par lâarticle 5 § 1 c) est demeurĂ©e intacte. Elle doit donc se demander, dans son examen de lâaspect factuel, si lâarrestation et la dĂ©tention se fondaient sur des Ă©lĂ©ments objectifs suffisants pour justifier des « raisons plausibles » de soupçonner que les faits en cause sâĂ©taient rĂ©ellement produits et Ă©taient imputables aux personnes suspectĂ©es (Fox, Campbell et Hartley, prĂ©citĂ©, §§ 32-34, et Murray, prĂ©citĂ©, §§ 50-63). Câest pourquoi il incombe au gouvernement dĂ©fendeur de fournir Ă la Cour au moins certains renseignements factuels propres Ă la convaincre quâil existait des motifs plausibles de soupçonner la personne arrĂȘtĂ©e dâavoir commis lâinfraction allĂ©guĂ©e.
147. En deuxiĂšme lieu, lâautre aspect de lâexistence de « raisons plausibles de soupçonner » au sens de lâarticle 5 § 1 c) de la Convention, celui de qualification criminelle, exige que les faits qui se sont produits puissent raisonnablement relever de lâune des sections du CP traitant du comportement criminel. Ainsi, il ne peut Ă lâĂ©vidence pas y avoir de soupçons raisonnables si les actes ou faits retenus contre un dĂ©tenu ne constituaient pas un crime au moment oĂč ils se sont produits (Kandjov c. Bulgarie, no 68294/01, § 57, 6 novembre 2008).
148. En outre, il ne doit pas apparaĂźtre que les faits reprochĂ©s eux-mĂȘmes Ă©taient liĂ©s Ă lâexercice par le requĂ©rant de ses droits garantis par la Convention (voir, mutatis mutandis, Merabishvili, prĂ©citĂ©, § 187). Ă cet Ă©gard, la Cour souligne que, puisque la Convention a pour but de protĂ©ger des droits non pas thĂ©oriques et illusoires mais concrets et effectifs (voir, parmi beaucoup dâautres, N.D. et N.T. c. Espagne [GC], nos 8675/15 et 8697/15, § 171, 13 fĂ©vrier 2020), on ne saurait considĂ©rer comme plausibles les soupçons basĂ©s sur une dĂ©marche consistant à « qualifier de crime » lâexercice des droits et libertĂ©s reconnus par la Convention. Dans le cas contraire, en utilisant la notion de « soupçons plausibles » pour priver les intĂ©ressĂ©s de leur libertĂ© physique, on risque de rendre impossible lâexercice de leurs droits et libertĂ©s reconnus par la Convention.
149. Sur ce point, la Cour rappelle que toute privation de libertĂ© doit ĂȘtre conforme au but poursuivi par lâarticle 5 de la Convention : protĂ©ger lâindividu contre lâarbitraire. Il existe un principe fondamental selon lequel nulle dĂ©tention arbitraire ne peut ĂȘtre compatible avec lâarticle 5 § 1, et la notion dâ« arbitraire » que contient lâarticle 5 § 1 va au-delĂ du dĂ©faut de conformitĂ© avec le droit national, de sorte quâune privation de libertĂ© peut ĂȘtre rĂ©guliĂšre selon la lĂ©gislation interne tout en Ă©tant arbitraire et donc contraire Ă la Convention (voir, entre autres, A. et autres c. RoyaumeâUni [GC], no 3455/05, §§ 162-164, CEDH 2009 et CreangÄ c. Roumanie [GC], no 29226/03, § 84, 23 fĂ©vrier 2012).
150. La Cour rappelle aussi que câest au moment oĂč elle a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©e que les soupçons pesant sur une personne doivent ĂȘtre « plausibles » et que, en cas de prolongation de la dĂ©tention, ces soupçons doivent encore demeurer fondĂ©s sur des « raisons plausibles » (voir, parmi beaucoup dâautres, StögmĂŒller c. Autriche, 10 novembre 1969, p. 40, § 4, sĂ©rie A nÂș 9, McKay c. Royaume-Uni [GC], nÂș 543/03, § 44, CEDH 2006-X, et Ilgar Mammadov c. AzerbaĂŻdjan, no 15172/13, § 90, 22 mai 2014). Par ailleurs, lâobligation pour le magistrat dâavancer des motifs pertinents et suffisants Ă lâappui de la privation de libertĂ© â outre la persistance de raisons plausibles de soupçonner la personne arrĂȘtĂ©e dâavoir commis une infraction â sâapplique dĂšs la premiĂšre dĂ©cision ordonnant le placement en dĂ©tention provisoire, câest-Ă -dire « aussitĂŽt » aprĂšs lâarrestation (Buzadji, prĂ©citĂ©, § 102).
—b) Application de ces principes au cas dâespĂšce
(…)
- Conclusion pour lâarticle 5 § 1 de la Convention
180. Ă la lumiĂšre de ces constats, la Cour considĂšre que, mĂȘme Ă supposer que tous les articles du journal citĂ©s par les autoritĂ©s nationales leur Ă©taient attribuables, les requĂ©rants ne pouvaient pas ĂȘtre raisonnablement soupçonnĂ©s, au moment de leur mise en dĂ©tention, dâavoir commis les infractions de propagande au nom des organisations terroristes ou dâassistance Ă celles-ci. Autrement dit, les faits de lâaffaire ne permettent pas de conclure Ă lâexistence de soupçons plausibles Ă lâĂ©gard des requĂ©rants. Il en rĂ©sulte que les soupçons pesant sur les intĂ©ressĂ©s nâont pas atteint le niveau minimum de plausibilitĂ© exigĂ©. Bien quâimposĂ©es sous le contrĂŽle du systĂšme judiciaire, les mesures litigieuses reposaient donc sur de simples soupçons.
181. De surcroĂźt, il nâa pas non plus Ă©tĂ© dĂ©montrĂ© que les Ă©lĂ©ments de preuve versĂ©s au dossier ultĂ©rieurement Ă lâarrestation des requĂ©rants, notamment par lâacte dâaccusation et pendant la pĂ©riode durant laquelle les intĂ©ressĂ©s ont Ă©tĂ© maintenus en dĂ©tention, sâanalysaient en des faits ou informations de nature Ă faire naĂźtre dâautres soupçons justifiant le maintien en dĂ©tention. Le fait que les juridictions de premiĂšre instance et dâappel aient acceptĂ© comme Ă©lĂ©ments de culpabilitĂ© les faits invoquĂ©s par le parquet pour conclure Ă la culpabilitĂ© des requĂ©rants ne change rien Ă ce constat.
182. En particulier, la Cour note que les interventions dont les requĂ©rants ont Ă©tĂ© tenus pĂ©nalement responsables relevaient de dĂ©bats publics sur des faits et Ă©vĂ©nements dĂ©jĂ connus, quâelles sâanalysaient en lâutilisation des libertĂ©s conventionnelles, quâelles ne contenaient aucun soutien ni promotion de lâusage de la violence dans le domaine politique, quâelles ne comportaient pas non plus dâindice au sujet dâune Ă©ventuelle volontĂ© des requĂ©rants de contribuer aux objectifs illĂ©gaux dâorganisations terroristes, Ă savoir recourir Ă la violence et Ă la terreur Ă des fins politiques.
183. Quant Ă lâarticle 15 de la Convention et Ă la dĂ©rogation de la Turquie, la Cour note que le Conseil des ministres de la Turquie rĂ©uni sous la prĂ©sidence du prĂ©sident de la RĂ©publique et agissant conformĂ©ment Ă lâarticle 121 de la Constitution a adoptĂ© pendant lâĂ©tat dâurgence plusieurs dĂ©cretsâlois par lesquels il a apportĂ© dâimportantes limitations aux garanties procĂ©durales reconnues en droit interne aux personnes placĂ©es en garde Ă vue ou en dĂ©tention provisoire. Cependant, dans la prĂ©sente affaire, câest en application de lâarticle 100 du CPP que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© placĂ©s en dĂ©tention provisoire pour des chefs dâaccusation relatifs Ă lâinfraction relevant de lâarticle 220 du CP. Il convient notamment dâobserver que lâarticle 100 du CPP, qui exige la prĂ©sence dâĂ©lĂ©ments factuels dĂ©montrant lâexistence de forts soupçons quant Ă la commission de lâinfraction, nâa pas subi de modification pendant la pĂ©riode dâĂ©tat dâurgence. En effet, les mesures dĂ©noncĂ©es dans la prĂ©sente affaire ont Ă©tĂ© prises sur le fondement de la lĂ©gislation qui Ă©tait applicable avant et aprĂšs la dĂ©claration de lâĂ©tat dâurgence. Par consĂ©quent, les mesures dĂ©noncĂ©es en lâespĂšce ne sauraient ĂȘtre considĂ©rĂ©es comme ayant respectĂ© les conditions requises par lâarticle 15 de la Convention, puisque, finalement, aucune mesure dĂ©rogatoire ne pourrait sâappliquer Ă la situation. Conclure autrement rĂ©duirait Ă nĂ©ant les conditions minimales de lâarticle 5 § 1 c) de la Convention.
184. Partant, la Cour conclut quâil y a eu en lâespĂšce violation de lâarticle 5 § 1 de la Convention Ă raison de lâabsence de raisons plausibles de soupçonner les requĂ©rants (Ă lâexception de Turhan GĂŒnay et Ahmet Kadri GĂŒrsel) dâavoir commis une infraction pĂ©nale.
185. Compte tenu de cette conclusion, la Cour considĂšre quâil nây a pas lieu dâexaminer sĂ©parĂ©ment la question de savoir si les raisons donnĂ©es par les juridictions internes pour justifier le maintien en dĂ©tention des requĂ©rants Ă©taient fondĂ©es sur des motifs pertinents et suffisants comme lâexige lâarticle 5 §§ 1 c) et 3 de la Convention (voir, dans le mĂȘme sens, Ćahin Alpay c. Turquie, no 16538/17, § 122, 20 mars 2018.
2/ Sur la violation allĂ©guĂ©e de l’article 5 paragraphe 4 de la Convention
Les requĂ©rants (y inclus Turhan GĂŒnay et Ahmet Kadri GĂŒrsel) dĂ©noncent une violation de lâarticle 5 § 4 de la Convention en ce que la Cour constitutionnelle nâaurait pas respectĂ© lâexigence de « bref dĂ©lai » dans le cadre des recours quâils avaient introduits devant elle et par lesquels ils avaient cherchĂ© Ă contester la lĂ©galitĂ© de leur dĂ©tention provisoire.
Lâarticle 5 § 4 de la Convention est ainsi libellĂ© :
« Toute personne privĂ©e de sa libertĂ© par arrestation ou dĂ©tention a le droit dâintroduire un recours devant un tribunal, afin quâil statue Ă bref dĂ©lai sur la lĂ©galitĂ© de sa dĂ©tention et ordonne sa libĂ©ration si la dĂ©tention est illĂ©gale. »
LâapprĂ©ciation de la Cour
197. La Cour rappelle les principes dĂ©coulant de sa jurisprudence en matiĂšre de lâexigence de « bref dĂ©lai » au sens de lâarticle 5 § 4 de la Convention, lesquels sont rĂ©sumĂ©s notamment dans les arrĂȘts Mehmet Hasan Altan (prĂ©citĂ©, §§ 161-63), Ćahin Alpay (prĂ©citĂ©, §§ 133â35) et dans la dĂ©cision AkgĂŒn c. Turquie ((dĂ©c.), no 19699/18, §§ 35-44, 2 avril 2019). Dans ces arrĂȘts et dĂ©cision, elle avait notĂ© que, dans le systĂšme juridique turc, les personnes mises en dĂ©tention provisoire avaient la possibilitĂ© de demander leur remise en libertĂ© Ă tout moment de la procĂ©dure et que, en cas de rejet de leur demande, elles pouvaient former une opposition. Elle avait relevĂ© en outre que la question du maintien en dĂ©tention des dĂ©tenus Ă©tait examinĂ©e dâoffice Ă intervalles rĂ©guliers qui ne pouvaient excĂ©der trente jours. Par consĂ©quent, elle avait estimĂ© quâelle pouvait tolĂ©rer que le contrĂŽle devant la Cour constitutionnelle prenne plus de temps. Cependant, dans lâaffaire Mehmet Hasan Altan prĂ©citĂ©e, la pĂ©riode Ă prendre en considĂ©ration devant la Cour constitutionnelle avait durĂ© quatorze mois et trois jours, dans lâaffaire Ćahin Alpay prĂ©citĂ©e, seize mois et trois jours, et dans lâaffaire AkgĂŒn prĂ©citĂ©e, douze mois et seize jours. La Cour, tenant compte de la complexitĂ© des requĂȘtes et de la charge de travail de la Cour constitutionnelle aprĂšs la dĂ©claration de lâĂ©tat dâurgence, avait estimĂ© quâil sâagissait dâune situation exceptionnelle. Par consĂ©quent, bien que les dĂ©lais de douze mois et seize jours, quatorze mois et trois jours et de seize mois et trois jours passĂ©s devant la Cour constitutionnelle ne puissent pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme « brefs » dans une situation ordinaire, dans les circonstances spĂ©cifique de ces affaires, la Cour avait jugĂ© quâil nây avait pas eu violation de lâarticle 5 § 4 de la Convention.
198. En lâespĂšce, la Cour note que les pĂ©riodes Ă prendre en considĂ©ration ont durĂ© seize mois pour le requĂ©rant Akın Atalay, quatorze mois et onze jours pour le requĂ©rant Mehmet Murat Sabuncu, huit mois et vingt-neuf jours pour le requĂ©rant Ahmet Kadri GĂŒrsel et sept mois et deux jours pour les autres requĂ©rants, et quâelles se trouvaient toutes dans la pĂ©riode dâĂ©tat dâurgence, lequel nâa Ă©tĂ© levĂ© que le 18 juillet 2018. Elle estime que le fait que la Cour constitutionnelle nâa rendu son arrĂȘt rejetant les recours des requĂ©rants que le 2 mai 2019, soit environ deux ans et quatre mois plus tard, nâentre pas en ligne de compte pour le calcul de dĂ©lai Ă prendre en considĂ©ration sous lâangle de lâarticle 5 § 4 de la Convention, puisque tous les requĂ©rants avaient dĂ©jĂ Ă©tĂ© libĂ©rĂ©s avant cette date.
199. La Cour considĂšre donc que ses conclusions dans les affaires AkgĂŒn, Mehmet Hasan Altan et Ćahin Alpay prĂ©citĂ©es valent aussi dans le cadre de la prĂ©sente requĂȘte, bien que le cas du requĂ©rant Akın Atalay semble ĂȘtre un cas limite par rapport aux cas examinĂ©s dans les affaires prĂ©citĂ©es. Elle souligne Ă cet Ă©gard que les recours introduits par les requĂ©rants devant la Cour constitutionnelle Ă©taient complexes puisquâil sâagissait de lâune des premiĂšres affaires soulevant des questions compliquĂ©es concernant la mise en dĂ©tention provisoire des journalistes en raison de la ligne Ă©ditoriale de leur journal, et parce que les requĂ©rants ont amplement plaidĂ© leur affaire devant la Cour constitutionnelle, soutenant non seulement que leurs dĂ©tentions ne se basaient sur aucun motif valable mais Ă©galement que les accusations dirigĂ©es contre eux Ă©taient inconstitutionnelles. De plus, la Cour estime quâil est Ă©galement nĂ©cessaire de tenir compte de la charge de travail exceptionnelle de la Cour constitutionnelle pendant lâĂ©tat dâurgence en vigueur du juillet 2016 au juillet 2018 ainsi que des mesures prises par les autoritĂ©s nationales afin de sâattaquer au problĂšme de lâengorgement du rĂŽle de cette haute juridiction (Mehmet Hasan Altan, prĂ©citĂ©, § 165, et Ćahin Alpay, prĂ©citĂ©, § 137 et AkgĂŒn (dĂ©c) prĂ©citĂ©, § 41). La Cour tient Ă souligner sur ce point la distinction entre la prĂ©sente affaire et Kavala c. Turquie dans laquelle le requĂ©rant se trouvait toujours en dĂ©tention provisoire pendant onze mois qui se sont Ă©coulĂ©s entre le 18 juillet 2018, date de la levĂ©e de lâĂ©tat dâurgence, et le 28 juin 2019, date de la publication de lâarrĂȘt de la Cour constitutionnelle (Kavala c. Turquie, no 28749/18, § 195, 10 dĂ©cembre 2019).
200. Ă la lumiĂšre de ce qui prĂ©cĂšde, bien que les dĂ©lais mis par la Cour constitutionnelle en lâespĂšce ne puissent pas ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme « brefs » dans une situation ordinaire, la Cour considĂšre, dans les circonstances spĂ©cifiques de lâaffaire, quâil nây a pas eu violation de lâarticle 5 § 4 de la Convention.
3/ Sur la violation allĂ©guĂ©e de l’article 10 de la Convention
201. Les requĂ©rants (Ă lâexception de Turhan GĂŒnay et Ahmet Kadri GĂŒrsel) se plaignent principalement dâune atteinte Ă leur libertĂ© dâexpression en raison de leur mise et de leur maintien en dĂ©tention provisoire. Ils dĂ©noncent en particulier le fait que la ligne Ă©ditoriale dâun journal critiquant certaines politiques gouvernementales puisse ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une preuve Ă lâappui dâaccusations dâassistance Ă des organisations terroristes ou de propagande en faveur de celles-ci. Ils invoquent Ă cet Ă©gard lâarticle 10 de la Convention, qui se lit comme suit :
« 1. Toute personne a droit Ă la libertĂ© dâexpression. Ce droit comprend la libertĂ© dâopinion et la libertĂ© de recevoir ou de communiquer des informations ou des idĂ©es sans quâil puisse y avoir ingĂ©rence dâautoritĂ©s publiques et sans considĂ©ration de frontiĂšre. Le prĂ©sent article nâempĂȘche pas les Ătats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinĂ©ma ou de tĂ©lĂ©vision Ă un rĂ©gime dâautorisations.
2. Lâexercice de ces libertĂ©s comportant des devoirs et des responsabilitĂ©s peut ĂȘtre soumis Ă certaines formalitĂ©s, conditions, restrictions ou sanctions prĂ©vues par la loi, qui constituent des mesures nĂ©cessaires, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, Ă la sĂ©curitĂ© nationale, Ă lâintĂ©gritĂ© territoriale ou Ă la sĂ»retĂ© publique, Ă la dĂ©fense de lâordre et Ă la prĂ©vention du crime, Ă la protection de la santĂ© ou de la morale, Ă la protection de la rĂ©putation ou des droits dâautrui, pour empĂȘcher la divulgation dâinformations confidentielles ou pour garantir lâautoritĂ© et lâimpartialitĂ© du pouvoir judiciaire. »
LâapprĂ©ciation de la Cour
—a) Principes fondamentaux
218. La Cour rappelle que la libertĂ© dâexpression constitue lâun des fondements essentiels dâune sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique. Sous rĂ©serve du paragraphe 2 de lâarticle 10 de la Convention, la libertĂ© dâexpression vaut non seulement pour les « informations » ou les « idĂ©es » accueillies avec faveur ou considĂ©rĂ©es comme inoffensives ou indiffĂ©rentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiĂštent lâĂtat ou une fraction quelconque de la population : ainsi le veulent le pluralisme, la tolĂ©rance et lâesprit dâouverture sans lesquels il nâest pas de « sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique » (Prager et Oberschlick c. Autriche, 26 avril 1995, § 38, sĂ©rie A no 313, Castells c. Espagne, 23 avril 1992, § 42, sĂ©rie A no 236, Handyside c. RoyaumeâUni, 7 dĂ©cembre 1976, § 49, sĂ©rie A no 24, et Jersild c. Danemark, prĂ©citĂ©, § 37).
219. En particulier, la libertĂ© de la presse fournit aux citoyens lâun des meilleurs moyens de connaĂźtre et de juger les idĂ©es et attitudes de leurs dirigeants. Elle donne en particulier aux hommes politiques lâoccasion de reflĂ©ter et de commenter les soucis de lâopinion publique. Elle permet Ă chacun de participer au libre jeu du dĂ©bat politique qui se trouve au cĆur mĂȘme de la notion de sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique (Lingens c. Autriche, 8 juillet 1986, § 42, sĂ©rie A no 103, et Castells, prĂ©citĂ©, § 43).
220. Si la presse ne doit pas franchir certaines limites, tenant notamment Ă la dĂ©fense de lâordre et Ă la protection de la rĂ©putation dâautrui, il lui incombe nĂ©anmoins de communiquer, dans le respect de ses devoirs et de ses responsabilitĂ©s, des informations et des idĂ©es sur toutes les questions dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral, y compris celles qui se rapportent Ă lâadministration de la justice (De Haes et Gijsels c. Belgique, 24 fĂ©vrier 1997, § 37, Recueil des arrĂȘts et dĂ©cisions 1997-I, Sunday Times c. Royaume-Uni (no 1), 26 avril 1979, § 65, sĂ©rie A no 30, et Observer et Guardian c. RoyaumeâUni, 26 novembre 1991, § 59, sĂ©rie A no 216). Outre la substance des idĂ©es et informations exprimĂ©es, lâarticle 10 de la Convention protĂšge leur mode de diffusion (Oberschlick c. Autriche (no 1), 23 mai 1991, § 57, sĂ©rie A no 204). Ă la fonction de la presse qui consiste aÌ diffuser des informations et des idĂ©es sur de telles questions sâajoute le droit, pour le public, dâen recevoir. Sâil en allait autrement, la presse ne pourrait jouer son rĂŽle indispensable de « chien de garde » (Thorgeir Thorgeirson c. Islande, 25 juin 1992, § 63, sĂ©rie A no 239, et Bladet TromsĂž et Stensaas c. NorvĂšge [GC], no 21980/93, § 62, CEDH 1999-III). La libertĂ© journalistique comprend aussi le recours possible Ă une certaine dose dâexagĂ©ration, voire de provocation (Prager et Oberschlick, prĂ©citĂ©, § 38, Thoma c. Luxembourg, no 38432/97, §§ 45â46, CEDH 2001-III, et Perna c. Italie [GC], no 48898/99, § 39, CEDH 2003-V).
221. De plus, lâarticle 10 de la Convention ne laisse guĂšre de place pour des restrictions Ă la libertĂ© dâexpression dans le domaine du discours politique ou de questions dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral (SĂŒrek et Ăzdemir c. Turquie [GC], nos 23927/94 et 24277/94, § 60, 8 juillet 1999, et Wingrove c. RoyaumeâUni, 25 novembre 1996, § 58, Recueil 1996-V). En outre, les limites de la critique admissible sont plus larges Ă lâĂ©gard du gouvernement que dâun simple particulier, ou mĂȘme dâun homme politique. Dans un systĂšme dĂ©mocratique, ses actions ou omissions doivent se trouver placĂ©es sous le contrĂŽle attentif non seulement des pouvoirs lĂ©gislatif et judiciaire, mais aussi de la presse et de lâopinion publique. En outre, la position dominante quâil occupe lui commande de faire preuve de retenue dans lâusage de la voie pĂ©nale, surtout sâil a dâautres moyens de rĂ©pondre aux attaques et critiques injustifiĂ©es de ses adversaires ou des mĂ©dias (Castells, prĂ©citĂ©, § 46).
222. Le libre jeu du dĂ©bat politique, qui se trouve au cĆur mĂȘme de la notion de sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, inclut Ă©galement la libre expression par des organisations interdites de leurs opinions, pourvu que celles-ci ne contiennent pas dâincitation publique Ă la commission dâinfractions terroristes ou dâapologie du recours Ă la violence : le public a le droit dâĂȘtre informĂ© des maniĂšres diffĂ©rentes de considĂ©rer une situation de conflit ou de tension ; Ă cet Ă©gard, les autoritĂ©s doivent, quelles que soient leurs rĂ©ticences, laisser sâexprimer le point de vue de toutes les parties. Pour Ă©valuer si la publication dâĂ©crits Ă©manant dâorganisations interdites comporte un risque dâincitation au recours Ă la violence, il faut principalement prendre en considĂ©ration la teneur de lâĂ©crit en question et le contexte dans lequel il est publiĂ©, au sens de la jurisprudence de la Cour (voir, dans le mĂȘme sens, Gözel et Ăzer, prĂ©citĂ©, § 56).
Ă cet Ă©gard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsque des opinions nâincitent pas Ă la violence â autrement dit lorsquâelles ne prĂ©conisent pas le recours Ă des procĂ©dĂ©s violents ou Ă une vengeance sanglante, quâelles ne justifient pas la commission dâactes terroristes en vue de la rĂ©alisation des objectifs de leurs partisans, et quâelles ne peuvent ĂȘtre interprĂ©tĂ©es comme susceptibles dâinciter Ă la violence par la haine profonde et irrationnelle quâelles manifesteraient envers des personnes identifiĂ©es â, les Ătats contractants ne peuvent restreindre le droit du public Ă en ĂȘtre informĂ©, mĂȘme en se prĂ©valant des buts Ă©noncĂ©s au paragraphe 2 de lâarticle 10, Ă savoir la protection de lâintĂ©gritĂ© territoriale, de la sĂ©curitĂ© nationale, de la dĂ©fense de lâordre ou de la prĂ©vention du crime (SĂŒrek c. Turquie (no 4) [GC], no 24762/94, § 60, 8 juillet 1999, Gözel et Ăzer, prĂ©citĂ©, § 56, Nedim Ćener, prĂ©citĂ©, § 116, et Ćık, prĂ©citĂ©, § 105).
—b) Existence dâune ingĂ©rence
223. La Cour rappelle avoir dĂ©jĂ estimĂ© que certaines circonstances ayant un effet dissuasif sur la libertĂ© dâexpression procurent aux intĂ©ressĂ©s â non frappĂ©s dâune condamnation dĂ©finitive â la qualitĂ© de victime dâune ingĂ©rence dans lâexercice de leur droit Ă ladite libertĂ© (voir, entre autres rĂ©fĂ©rences, Dilipak c. Turquie, no 29680/05, §§ 44-47, 15 septembre 2015). Il en allait de mĂȘme pour la mise en dĂ©tention imposĂ©e aux journalistes dâinvestigation pendant prĂšs dâun an dans le cadre dâune procĂ©dure pĂ©nale engagĂ©e pour des crimes sĂ©vĂšrement rĂ©primĂ©s (Nedim Ćener, prĂ©citĂ©, §§ 94â96, Ćık c. Turquie, no 53413/11, §§ 83-85, 8 juillet 2014).
224. La Cour observe en lâespĂšce que des poursuites pĂ©nales ont Ă©tĂ© engagĂ©es contre les requĂ©rants pour des faits qualifiĂ©s dâassistance Ă des organisations terroristes, et ce sur le fondement de faits se rĂ©sumant Ă la ligne Ă©ditoriale que le quotidien pour lequel ils travaillaient suivait dans ses prĂ©sentations et apprĂ©ciations de lâactualitĂ© politique. Cette qualification des faits figurait aussi dans lâacte dâaccusation dĂ©posĂ© lors de la dĂ©tention provisoire des requĂ©rants et dans lequel le parquet reprochait Ă ces derniers dâavoir apportĂ© aide et assistance Ă une organisation terroriste, crime sĂ©vĂšrement rĂ©primĂ© par le CP.
225. Par ailleurs, la Cour note que les requĂ©rants ont Ă©tĂ© maintenus en dĂ©tention provisoire pendant des pĂ©riodes allant de huit Ă dix-sept mois dans le cadre de cette procĂ©dure pĂ©nale. Elle observe que les instances judiciaires qui se sont prononcĂ©es en faveur de la mise et du maintien en dĂ©tention des requĂ©rants ont considĂ©rĂ© quâil existait des indices sĂ©rieux et plausibles allant dans le sens de leur culpabilitĂ© pour des actes relevant du terrorisme.
226. La Cour estime que la dĂ©tention provisoire qui a Ă©tĂ© imposĂ©e aux requĂ©rants dans le cadre de la procĂ©dure pĂ©nale engagĂ©e contre eux pour des crimes sĂ©vĂšrement rĂ©primĂ©s et directement liĂ©e Ă leur travail journalistique consiste en une contrainte rĂ©elle et effective, et quâelle constitue donc une « ingĂ©rence » dans lâexercice par les requĂ©rants de leur droit Ă la libertĂ© dâexpression garanti par lâarticle 10 de la Convention (Nedim Ćener, prĂ©citĂ©, § 96, et Ćık, prĂ©citĂ©, § 85). Ce constat amĂšne la Cour Ă rejeter lâexception du Gouvernement quant Ă lâabsence de qualitĂ© de victime des requĂ©rants autres que Turhan GĂŒnay et Ahmet Kadri GĂŒrsel.
227. Pour les mĂȘmes motifs, la Cour rejette aussi lâexception de non-Ă©puisement des voies de recours internes soulevĂ©e par le Gouvernement quant Ă aux griefs tirĂ©s de lâarticle 10 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Yılmaz et Kılıç c. Turquie, no 68514/01, § 37-44, 17 juillet 2008).
—c) Sur le caractĂšre justifiĂ© de lâingĂ©rence
228. Pareille ingĂ©rence emporte violation de lâarticle 10 de la Convention, sauf si elle remplit les exigences du paragraphe 2 de cette disposition. Il reste donc Ă dĂ©terminer si lâingĂ©rence Ă©tait « prĂ©vue par la loi », inspirĂ©e par un ou des buts lĂ©gitimes au regard de ce paragraphe et « nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique » pour les atteindre.
229. La Cour rappelle que les mots « prĂ©vue par la loi », au sens de lâarticle 10 § 2 de la Convention, impliquent dâabord que lâingĂ©rence ait une base en droit interne, mais quâils ont trait aussi Ă la qualitĂ© de la loi en cause : ils exigent lâaccessibilitĂ© de celle-ci Ă la personne concernĂ©e, qui de surcroĂźt doit pouvoir en prĂ©voir les consĂ©quences pour elle, et sa compatibilitĂ© avec la prĂ©Ă©minence du droit. Une loi qui confĂšre un pouvoir dâapprĂ©ciation ne se heurte pas en soi Ă cette exigence, Ă condition que lâĂ©tendue et les modalitĂ©s dâexercice dâun tel pouvoir se trouvent dĂ©finies avec une nettetĂ© suffisante, eu Ă©gard au but lĂ©gitime en jeu, pour fournir Ă lâindividu une protection adĂ©quate contre lâarbitraire (voir, parmi beaucoup dâautres, MĂŒller et autres c. Suisse, 24 mai 1988, § 29, sĂ©rie A no 133, Ezelin c. France, 26 avril 1991, § 45, sĂ©rie A no 202, et Margareta et Roger Andersson c. SuĂšde, 25 fĂ©vrier 1992, § 75, sĂ©rie A no 226-A).
230. Dans la prĂ©sente affaire, lâarrestation et la dĂ©tention des requĂ©rants ont constituĂ© une ingĂ©rence dans leurs droits au titre de lâarticle 10 de la Convention (paragraphe 225 ci-dessus). La Cour a dĂ©jĂ conclu que la dĂ©tention des requĂ©rants nâĂ©tait pas fondĂ©e sur des raisons plausibles de les soupçonner dâavoir commis une infraction au sens de lâarticle 5 § 1 c) de la Convention et quâil y avait donc eu violation de leur droit Ă la libertĂ© et Ă la sĂ»retĂ© prĂ©vu Ă lâarticle 5 § 1 (paragraphe 184 ci-dessus). Elle note aussi que dâaprĂšs lâarticle 100 du code de procĂ©dure pĂ©nale turc, une personne ne peut ĂȘtre placĂ©e en dĂ©tention provisoire que lorsquâil existe des Ă©lĂ©ments factuels permettant de la soupçonner fortement dâavoir commis une infraction et estime, Ă cet Ă©gard, que lâabsence de raisons plausibles aurait dĂ» impliquer, a fortiori, lâabsence de forts soupçons, lorsque les autoritĂ©s nationales Ă©taient invitĂ©es Ă Ă©valuer la rĂ©gularitĂ© de la dĂ©tention. La Cour rappelle sur ces points que les alinĂ©as a) Ă f) de lâarticle 5 § 1 contiennent une liste exhaustive des motifs pour lesquels une personne peut ĂȘtre privĂ©e de sa libertĂ© ; pareille mesure nâest pas rĂ©guliĂšre si elle ne relĂšve pas de lâun de ces motifs (Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 88, 15 dĂ©cembre 2016).
La Cour rappelle dâailleurs que les exigences de lĂ©galitĂ© prĂ©vues aux articles 5 et 10 de la Convention visent toutes les deux Ă protĂ©ger lâindividu contre lâarbitraire (voir ci-dessus les paragraphes 143, 145 et 149 pour lâarticle 5 et le paragraphe 228 pour lâarticle 10). Il en ressort quâune mesure de dĂ©tention qui nâest pas rĂ©guliĂšre, pourvu quâelle constitue une ingĂ©rence dans lâune des libertĂ©s garanties par la Convention, ne saurait ĂȘtre considĂ©rĂ©e en principe comme une restriction prĂ©vue par la loi nationale Ă cette libertĂ©.
Il en rĂ©sulte que lâingĂ©rence dans les droits et libertĂ©s des requĂ©rants au titre de lâarticle 10 § 1 de la Convention ne peut ĂȘtre justifiĂ©e au titre de lâarticle 10 § 2 puisquâelle nâĂ©tait pas prĂ©vue par la loi (voir Steel et autres c. RoyaumeâUni, 23 septembre 1998, §§ 94 et 110, Recueil 1998âVII et, mutatis mutandis, Huseynli et autres c. AzerbaĂŻdjan, nos 67360/11 et 2 autres, §§ 98-101, 11 fĂ©vrier 2016). La Cour nâest donc pas appelĂ©e Ă examiner si lâingĂ©rence en cause avait un but lĂ©gitime et Ă©tait nĂ©cessaire dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique.
231. DĂšs lors, il y a eu violation de lâarticle 10 de la Convention.
4/ Sur la violation allĂ©guĂ©e de l’article 18 de la Convention
Les requĂ©rants (Ă lâexception de Turhan GĂŒnay et Ahmet Kadri GĂŒrsel) voient enfin dans leur dĂ©tention une sanction pour les critiques quâils avaient formulĂ©es Ă lâencontre du gouvernement. Selon eux, leur mise et leur maintien en dĂ©tention avaient pour but de les harceler judiciairement en raison de leurs activitĂ©s journalistiques. Ils invoquent Ă cet Ă©gard lâarticle 18 de la Convention combinĂ© avec ses articles 5 et 10.
Lâarticle 18 de la Convention se lit comme suit :
« Les restrictions qui, aux termes de la prĂ©sente Convention, sont apportĂ©es auxdits droits et libertĂ©s ne peuvent ĂȘtre appliquĂ©es que dans le but pour lequel elles ont Ă©tĂ© prĂ©vues. »
LâapprĂ©ciation de la Cour
248. La Cour renvoie aux principes gĂ©nĂ©raux concernant lâinterprĂ©tation et lâapplication de lâarticle 18 de la Convention tels quâils se trouvent Ă©noncĂ©s notamment dans ses arrĂȘts Merabishvili (prĂ©citĂ©, §§ 287-317), et Navalnyy c. Russie ([GC], nos 29580/12 et 4 autres, §§ 164â165, 15 novembre 2018).
249. La Cour observe dâemblĂ©e que les requĂ©rants se plaignent principalement dâavoir Ă©tĂ© spĂ©cifiquement ciblĂ©s en raison de la ligne Ă©ditoriale de leur journal considĂ©rĂ©e comme opposĂ©e au Gouvernement. Elle note que les intĂ©ressĂ©s soutiennent aussi que leur mise et leur maintien en dĂ©tention provisoire poursuivaient une intention cachĂ©e, Ă savoir rĂ©duire au silence les critiques contre le Gouvernement et ses sympathisants publiĂ©es dans leur journal.
250. La Cour relĂšve que les mesures en question, ainsi que celles prises dans le cadre des procĂ©dures pĂ©nales engagĂ©es contre dâautres journalistes dâopposition en Turquie, ont fait lâobjet de vives critiques de la part des tiers intervenants. Toutefois, le processus politique et le processus juridictionnel Ă©tant fondamentalement diffĂ©rents, elle doit fonder sa dĂ©cision sur des Ă©lĂ©ments de preuves, selon les critĂšres Ă©tablis dans son arrĂȘt Merabishvili (prĂ©citĂ©, §§ 310-317), et sur sa propre apprĂ©ciation des faits spĂ©cifiques Ă lâaffaire (Khodorkovskiy c. Russie, no 5829/04, § 259, 31 mai 2011, Ilgar Mammadov, prĂ©citĂ©, § 140, et Rasul Jafarov c. AzerbaĂŻdjan, no 69981/14, § 155, 17 mars 2016).
251. En lâespĂšce, la Cour a conclu ci-dessus que les accusations portĂ©es contre les requĂ©rants nâĂ©taient pas fondĂ©es sur des raisons plausibles de les soupçonner, au sens de lâarticle 5 § 1 c) de la Convention. Elle a considĂ©rĂ© en particulier que les mesures prises contre les requĂ©rants nâĂ©taient pas justifiĂ©es par des soupçons raisonnables fondĂ©s sur une Ă©valuation objective des actes qui lui Ă©taient reprochĂ©s, mais quâelles Ă©taient essentiellement fondĂ©es sur des Ă©crits ne pouvant raisonnablement ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme des actes pĂ©nalement rĂ©prĂ©hensibles en droit interne, mais liĂ©s Ă lâexercice de droits conventionnels, notamment de la libertĂ© dâexpression.
252. NĂ©anmoins, mĂȘme si le Gouvernement nâest pas parvenu Ă Ă©tayer sa thĂšse selon laquelle les mesures prises contre les requĂ©rants Ă©taient justifiĂ©es par des soupçons raisonnables, ce qui a amenĂ© la Cour Ă conclure Ă la violation de lâarticle 5 § 1 et de lâarticle 10 de la Convention, cela ne suffit pas en soi pour quâelle conclue Ă©galement Ă la violation de lâarticle 18 (Navalnyy, prĂ©citĂ©, § 166). En effet, comme la Cour lâa indiquĂ© dans lâaffaire Merabishvili (prĂ©citĂ©, § 291), le simple fait quâune restriction apportĂ©e Ă une libertĂ© ou Ă un droit protĂ©gĂ© par la Convention ne remplit pas toutes les conditions de la clause qui la permet ne soulĂšve pas nĂ©cessairement une question sous lâangle de lâarticle 18. Lâexamen sĂ©parĂ© dâun grief tirĂ© de cette disposition ne se justifie que si lâallĂ©gation selon laquelle une restriction a Ă©tĂ© imposĂ©e dans un but non conventionnel se rĂ©vĂšle ĂȘtre un aspect fondamental de lâaffaire. Il lui faut encore rechercher si, en lâabsence de but lĂ©gitime, un but inavouĂ© ou non conventionnel (câest-Ă -dire un but non prĂ©vu par la Convention au sens de lâarticle 18) peut ĂȘtre dĂ©celĂ© (Navalnyy, prĂ©citĂ©, § 166).
253. La Cour observe en lâespĂšce que le but apparent des mesures prises contre les requĂ©rants Ă©tait dâenquĂȘter sur la campagne ayant abouti Ă la tentative de coup dâĂtat en 2016 ainsi que sur les campagnes de violence menĂ©es par des membres de mouvements sĂ©paratistes ou gauchistes et dâĂ©tablir si les requĂ©rants avaient rĂ©ellement commis les infractions qui leur Ă©taient reprochĂ©es. Compte tenu des troubles graves et des nombreuses pertes humaines que ces Ă©vĂ©nements ont occasionnĂ©es, elle estime quâil est sĂ»rement lĂ©gitime dâinstruire ces incidents. En outre, elle rappelle quâil ne faut pas perdre de vue que la tentative de coup dâĂtat a entraĂźnĂ© la proclamation de lâĂ©tat dâurgence dans tout le pays.
254. La Cour observe que la chronologie des faits reprochĂ©s aux requĂ©rants et le moment du dĂ©clenchement de lâenquĂȘte Ă leur encontre ne rĂ©vĂšlent aucune anormalitĂ© (voir, a contrario, Kavala, prĂ©citĂ©, §§ 225â228). Les faits reprochĂ©s aux requĂ©rants lors de lâenquĂȘte engagĂ©e fin 2016 avaient eu lieu, pour la plupart, avant et aprĂšs la tentative de coup dâĂtat du 15 juillet 2016. Ces faits, qui sâĂ©taient majoritairement dĂ©roulĂ©s pendant les annĂ©es 2015 et 2016, auraient fait partie de la prĂ©paration du coup dâĂtat ou de la contestation des mesures prises Ă lâencontre des responsables prĂ©sumĂ©s de la tentative de coup dâĂtat. Les Ă©crits relatant les points de vue de membres dâorganisations sĂ©paratistes ou gauchistes ont Ă©tĂ© publiĂ©s en 2015 et ne font pas exception Ă ce constat. On ne peut donc pas constater quâun dĂ©lai excessif sâest Ă©coulĂ© entre les faits incriminĂ©s et le dĂ©clenchement de lâenquĂȘte pĂ©nale dans le cadre de laquelle les requĂ©rants ont Ă©tĂ© mis en dĂ©tention provisoire.
255. La Cour pourrait accepter que les dĂ©clarations faites publiquement par des membres du gouvernement ou le prĂ©sident au sujet des poursuites pĂ©nales dirigĂ©es contre les requĂ©rants peuvent dĂ©montrer, dans certaines circonstances, quâune dĂ©cision de justice viserait un but non conventionnel (Kavala, prĂ©citĂ©, § 229, Merabishvili, prĂ©citĂ©, § 324, et Tchankotadze c. GĂ©orgie, no 15256/05, § 114, 21 juin 2016). Cependant, la Cour note en lâespĂšce que les dĂ©clarations susmentionnĂ©es du prĂ©sident de la RĂ©publique portaient sur une affaire prĂ©cise, celle concernant la destination des camions appartenant aux services de renseignements et transportant des armes, et quâelles nâĂ©taient pas dirigĂ©es directement contre les requĂ©rants eux-mĂȘmes, mais contre le journal Cumhuriyet, alors sous la direction de C.D., exâdirecteur des publications, dans son ensemble. De plus, il convient de noter que la Cour constitutionnelle a statuĂ© en faveur de C.D. et dâun autre responsable de Cumhuriyet Ă cette Ă©poque, en qualifiant dâinconstitutionnels les soupçons dirigĂ©s contre eux. Il est vrai que la dĂ©claration du prĂ©sident de la RĂ©publique selon laquelle il ne respecterait pas la dĂ©cision de la Cour constitutionnelle, quâil ne serait pas liĂ© par celle-ci et quâil ne lui obĂ©irait pas est clairement en contradiction avec les Ă©lĂ©ments fondamentaux dâun Ătat de droit. Mais une telle expression de mĂ©contentement ne constitue pas en soi une preuve que la dĂ©tention des requĂ©rants a Ă©tĂ© dictĂ©e par des raisons ultimes incompatibles avec la Convention.
256. Quant Ă la participation dâun membre du parquet, lui-mĂȘme accusĂ© dâĂȘtre membre de lâorganisation FETĂ, Ă lâinformation judiciaire dirigĂ©e contre les requĂ©rants, dont la rĂ©daction de lâacte dâaccusation, la Cour estime que ce fait ne constitue pas Ă lui seul un Ă©lĂ©ment de preuve dĂ©terminant en faveur dâune violation de lâarticle 18 de la Convention, du fait que la mise et le maintien en dĂ©tention provisoire des requĂ©rants ont fait lâobjet dâordonnances rendues par un juge de paix ou par un ou plusieurs membres de la cour dâassises, et non dâune dĂ©cision du parquet. Elle constate de plus que, lorsque cette situation a Ă©tĂ© rĂ©vĂ©lĂ©e, ce membre du parquet a Ă©tĂ© rĂ©voquĂ© de lâenquĂȘte avant le dĂ©pĂŽt de lâacte dâaccusation.
Cela dit, la Cour accepte que la dĂ©tention basĂ©e sur une accusation aussi grave a exercĂ© un effet dissuasif sur la volontĂ© des requĂ©rants de sâexprimer dans le domaine public et Ă©tait susceptible de crĂ©er un climat dâautocensure pour eux comme pour tous les journalistes relatant et commentant le fonctionnement du Gouvernement et diverses questions dâactualitĂ© politique. Cependant, ce dernier constat ne suffit pas en soi pour conclure quâil y a eu manquement Ă lâarticle 18.
La Cour observe en outre que la Cour constitutionnelle a procĂ©dĂ© Ă un examen dĂ©taillĂ© des griefs des requĂ©rants tirĂ©s des articles 5 et 10 de la Convention et a rendu ses arrĂȘts relatifs Ă lâaffaire aprĂšs des discussions approfondies, comme atteste un nombre important dâopinions dissidentes.
Il en ressort que les Ă©lĂ©ments invoquĂ©s par les requĂ©rants en faveur dâune violation de lâarticle 18 de la Convention, pris isolĂ©ment ou combinĂ©s entre eux, ne constituent pas un ensemble assez homogĂšne qui serait suffisant pour conclure que leur dĂ©tention menait un but non conventionnel se rĂ©vĂ©lant ĂȘtre un aspect fondamental de lâaffaire.
Ă la lumiĂšre de ce qui prĂ©cĂšde, la Cour considĂšre quâil nâa pas Ă©tĂ© Ă©tabli au-delĂ de tout doute raisonnable que les dĂ©tentions provisoires des requĂ©rants ont Ă©tĂ© imposĂ©es dans un but non prĂ©vu par la Convention au sens de lâarticle 18. Partant, elle conclut quâil nây a pas eu, en lâespĂšce, violation de lâarticle 18 de la Convention.
CEDH, 10 novembre 2020, Sabuncu et autres c/ Turquie, n°23199/17