🟧 Avis du 8 dĂ©cembre 2021 du Conseil supĂ©rieur de l’audiovisuel sur le projet de dĂ©cret pris pour l’application de l’article 6-4 de la loi pour la confiance dans l’Ă©conomie numĂ©rique relatif Ă  la fixation d’un seuil de connexions Ă  partir duquel les opĂ©rateurs de plateformes en ligne concourent Ă  la lutte contre la diffusion publique des contenus illicites

Références

NOR : CSAC2137522V
Source : JORF n°0032 du 8 février 2022, texte n° 53

En-tĂȘte

Le Conseil supĂ©rieur de l’audiovisuel,
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, notamment ses articles 42-7 et 62 ;
Vu la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’Ă©conomie numĂ©rique, notamment son article 6-4 ;
Vu la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, notamment son article 42 ;
Vu la saisine de la ministre de la culture en date du 14 octobre 2021 ;
AprÚs en avoir délibéré,

Emet l’avis suivant

Saisi par le Gouvernement d’un projet de dĂ©cret relatif aux modalitĂ©s de mise en Ɠuvre des obligations pesant sur les opĂ©rateurs de plateforme en ligne dĂ©finis Ă  l’article L. 111-7 du code de la consommation qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur le classement, le rĂ©fĂ©rencement ou le partage de contenus mis en ligne par des tiers, le Conseil supĂ©rieur de l’audiovisuel, aprĂšs en avoir dĂ©libĂ©rĂ© le 8 dĂ©cembre 2021, Ă©met un avis favorable, assorti des observations suivantes.

I. – PrĂ©sentation du dispositif

Le projet de dĂ©cret concerne la mise en Ɠuvre des dispositions prĂ©vues Ă  l’article 42 de la loi n° 2021-1109 du 24 aoĂ»t 2021 confortant le respect des principes de la RĂ©publique, qui tend Ă  renforcer les obligations pesant sur les opĂ©rateurs de plateformes en ligne dans la lutte contre la diffusion de contenus illicites Ă  caractĂšre haineux en ligne, au sens du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’Ă©conomie numĂ©rique et des troisiĂšme et quatriĂšme alinĂ©as de l’article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse.
L’article 42 prĂ©citĂ© introduit un article 6-4 dans la loi n° 2004-575 pour la confiance dans l’Ă©conomie numĂ©rique, qui Ă©tablit une liste d’obligations administratives de moyens s’imposant aux opĂ©rateurs de plateformes en ligne dĂ©finis Ă  l’article L. 111-7 du code de la consommation, et dont l’activitĂ© repose sur le classement, le rĂ©fĂ©rencement ou le partage de contenus mis en ligne par des tiers.
Cet article dĂ©termine deux niveaux d’obligations s’imposant Ă  ces opĂ©rateurs, sous rĂ©serve que leur activitĂ© sur le territoire français dĂ©passe des seuils exprimĂ©s en nombre de visiteurs uniques mensuels, que le prĂ©sent projet de dĂ©cret a pour objet de dĂ©terminer :

– le premier niveau introduit un socle de base d’obligations administratives, dĂ©taillĂ©es au I de l’article 6-4 de la loi du 21 juin 2004, qui se dĂ©clinent en plusieurs mesures aux fins de renforcer la coopĂ©ration des opĂ©rateurs avec les autoritĂ©s publiques, garantir le traitement prompt et proportionnĂ© des signalements portant sur un contenu litigieux, intĂ©grer des voies de recours Ă©quilibrĂ©es ainsi qu’une obligation de transparence vis-Ă -vis du public ;
– le second niveau prĂ©voit des obligations supplĂ©mentaires, figurant au II de l’article 6-4, pour imposer aux opĂ©rateurs dits « systĂ©miques », Ă  raison de la frĂ©quentation de leurs services, des mesures visant Ă  objectiver les risques de diffusion des contenus Ă  caractĂšre haineux sur ces services et Ă  prendre des mesures proportionnĂ©es pour limiter la diffusion de ceux-ci de maniĂšre transparente, tout en veillant Ă  la prĂ©servation de la libertĂ© d’expression.

II. – Observations gĂ©nĂ©rales

1. Economie générale du dispositif issu de la loi du 24 août 2021 pour renforcer la lutte contre la diffusion de contenus haineux en ligne

La lutte contre la diffusion en ligne de contenus illicites Ă  caractĂšre haineux revĂȘt une importance fondamentale pour nos sociĂ©tĂ©s dĂ©mocratiques. Le Conseil se rĂ©jouit Ă  cet Ă©gard du dispositif retenu par le lĂ©gislateur, fondĂ© sur la rĂ©gulation des obligations de moyens des opĂ©rateurs de plateformes en ligne. Ce dispositif s’inspire de la lĂ©gislation en vigueur en matiĂšre de lutte contre la manipulation de l’information et fait Ă©cho aux travaux en cours dans les instances europĂ©ennes relatifs au « Digital Services Act » (DSA).
Le Conseil souligne son attachement Ă  ce schĂ©ma de rĂ©gulation, qui conjugue responsabilitĂ© des opĂ©rateurs de plateforme et supervision par une autoritĂ© publique. Il lui semble le mieux Ă  mĂȘme d’assurer le bon Ă©quilibre entre la protection des utilisateurs de ces services et la prĂ©servation de la libertĂ© de communication.
Le Conseil rappelle par ailleurs qu’il a fait Ă©voluer son organisation interne pour intĂ©grer et exercer les nombreuses compĂ©tences nouvelles qu’il tire de la lĂ©gislation rĂ©cente sur la rĂ©gulation des plateformes en ligne. Il souligne que la future AutoritĂ© de rĂ©gulation de la communication audiovisuelle et du numĂ©rique ne sera Ă  mĂȘme d’exercer pleinement les compĂ©tences ainsi confiĂ©es par le lĂ©gislateur Ă  l’avenir que si elle voit ses moyens budgĂ©taires et humains significativement accrus.

2. Pouvoirs confiĂ©s au CSA pour superviser la mise en Ɠuvre des obligations administratives applicables aux opĂ©rateurs de plateforme en ligne concernĂ©s

L’article 62 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative Ă  la libertĂ© de communication confĂšre au Conseil un pouvoir de supervision de la mise en Ɠuvre par les opĂ©rateurs des obligations prĂ©vues Ă  l’article 6-4 prĂ©citĂ©, assorti, en cas de manquement constatĂ©, d’un pouvoir de sanction aprĂšs mise en demeure, dans les conditions prĂ©vues Ă  l’article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986.
ConformĂ©ment aux dispositions du I de cet article, le Conseil adoptera des lignes directrices pour l’application des obligations prĂ©vues Ă  l’article 6-4 de la loi du 21 juin 2004, sans prĂ©judice de l’application immĂ©diate de ces derniĂšres Ă  compter de l’entrĂ©e en vigueur des dispositions du prĂ©sent projet de dĂ©cret, et prĂ©cisera, dans le cadre des dispositions de l’article 6-4 prĂ©citĂ©, celles des obligations contenues au 4 et 6 du I ainsi qu’au 3 du II de ce mĂȘme article qui appellent un acte rĂ©glementaire du Conseil.

III. – Observations dĂ©taillĂ©es

1. Seuils de connexions fixés par le projet de décret (articles 1er et 2 du projet de décret)

Les articles 1er et 2 du projet de dĂ©cret fixent les seuils de connexions au-delĂ  desquels les opĂ©rateurs de plateforme en ligne sont tenus de concourir Ă  la lutte contre la diffusion publique de contenus illicites, respectivement Ă  10 millions de visiteurs uniques mensuels pour les obligations contenues au I de l’article 6-4 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 prĂ©citĂ©e et 15 millions de visiteurs uniques mensuels pour les obligations renforcĂ©es contenues au II de cet article 6-4 visant les opĂ©rateurs dits « systĂ©miques ».
Le Conseil prend acte des seuils retenus par le pouvoir rĂ©glementaire. Ces derniers permettent de rĂ©pondre Ă  l’objectif d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral de lutte contre les contenus Ă  caractĂšre haineux fixĂ© par le lĂ©gislateur, en incluant dans le champ de la rĂ©gulation les opĂ©rateurs de plateforme dont la contribution renforcĂ©e Ă  la lutte contre les contenus illicites paraĂźt indispensable.
Il souligne toutefois que l’application de ces seuils conduira Ă  soumettre aux obligations prĂ©vues par la loi des services qui semblent prĂ©senter un risque mesurĂ© en termes de diffusion des contenus illicites Ă  caractĂšre haineux. A cet Ă©gard, le Conseil rappelle, au vu des dispositions du I de l’article 62 de la loi n° 86-1067 relative Ă  la libertĂ© de communication, qu’il est dotĂ© d’une facultĂ© d’apprĂ©ciation Ă  mĂȘme de garantir le caractĂšre proportionnĂ© des obligations pesant sur les opĂ©rateurs, en prenant notamment en compte « leurs caractĂ©ristiques propres » au regard notamment de « l’ampleur et de la gravitĂ© les risques de diffusion de contenus illicites » sur les services opĂ©rĂ©s par ceux-ci. Il sera particuliĂšrement soucieux d’user de cette facultĂ©.

2. ModalitĂ©s d’application des articles 1er et 2 du projet de dĂ©cret (article 3 du projet de dĂ©cret)

L’article 3 du projet de dĂ©cret prĂ©cise le critĂšre d’application des seuils de connexions visĂ©s aux articles 1er et 2 prĂ©citĂ©s et dispose que « seules sont prises en compte les connexions Ă  un service, ou Ă  une partie dissociable d’un service, dont l’objet est le classement, le rĂ©fĂ©rencement, ou le partage de contenus mis en ligne par des tiers ».
Le Conseil relĂšve que cette disposition permet de discerner, parmi les opĂ©rateurs susceptibles d’ĂȘtre tenus par les obligations Ă©noncĂ©es au I et au II de l’article 6-4 Ă  raison de la frĂ©quentation de leurs services en ligne, ceux dont l’activitĂ© est Ă  titre principal le classement, le rĂ©fĂ©rencement ou le partage de contenus mis en ligne par des tiers, en excluant les services sur lesquels de telles activitĂ©s ne sont que secondaires. Il lui permet Ă©galement, le cas Ă©chĂ©ant, de cibler un opĂ©rateur dont le service relĂšve de plusieurs types d’activitĂ©s, sous rĂ©serve que son activitĂ© de plateforme en ligne concernĂ©e par le dispositif fasse l’objet d’une partie dissociable au sein du service et, dans ce dernier cas, que le seuil de nombre de connexions soit dĂ©passĂ© sur cette seule partie dissociable.
Le Conseil approuve cette précision qui reprend celle de la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, dans sa version révisée par la directive 2018/1808 du 14 novembre 2018.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.

Date et signature(s)

Fait à Paris, le 8 décembre 2021.

Pour le Conseil supĂ©rieur de l’audiovisuel :
Le président,
R.-O. Maistre