Au sommaire :
Références
NOR : RCAC2232718V
Source : JORF n°0270 du 22 novembre 2022, texte n° 67
Article
Saisie par le Gouvernement, en application de l’article 9 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, d’un projet de décret portant modification du régime de contribution à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles des services de télévision, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ci-après : « l’ARCOM »), après en avoir délibéré le 9 novembre 2022, émet un avis favorable, assorti des observations et réserves suivantes.
I. – Observations générales
A la suite de la modernisation du cadre réglementaire portant sur les obligations de contribution à la production de l’ensemble des services de médias audiovisuels, linéaires comme non linéaires, certains éditeurs ont conclu des accords avec les organisations professionnelles de producteurs, qui portent en particulier sur leurs obligations de contribution à la production cinématographique.
Le projet de décret dont est saisie l’ARCOM vient modifier les décrets n° 2021-1926 du 30 décembre 2021 et n° 2021-1924 du 30 décembre 2021 relatifs à la contribution à la production d’œuvres cinématographiques et audiovisuelles respectivement des services de télévision diffusés par voie hertzienne terrestre (dit décret « TNT ») et des services de télévision distribués par les réseaux n’utilisant pas des fréquences assignées par l’ARCOM (dit décret « CabSat »), afin principalement de permettre la mise en œuvre de certaines dispositions prévues par ces accords ou qui pourraient être inscrites dans des accords futurs.
Par ailleurs, le projet vise à remédier aux difficultés soulevées par la rédaction de certaines dispositions des décrets « TNT » et « CabSat ». L’ARCOM approuve ces modifications et suggère d’autres évolutions de ces textes comme du décret applicable aux services de médias audiovisuels à la demande (décret n° 2021-793 du 22 juin 2021 dit décret « SMAD »).
II. – Observations détaillées
2.1. Modalités de calcul des obligations de contribution à la production
Les décrets « TNT » et « CabSat », entrés en vigueur au 1er janvier 2022, fixent de manière générale le montant de la contribution des éditeurs de services de télévision à la production par rapport à leur chiffre d’affaires de l’exercice précédent. Toutefois, ils permettent, pour les seules obligations de production cinématographique des services de cinéma, qu’« en tenant compte des accords conclus entre les éditeurs de services et une ou plusieurs organisations professionnelles de l’industrie cinématographique ou audiovisuelle, y compris, pour la partie de ces accords qui affectent directement leurs intérêts, des organisations professionnelles et organismes de gestion collective représentant les auteurs », les conventions conclues avec l’ARCOM puissent moduler la contribution en prévoyant « que les dépenses contribuant au développement de la production d’œuvres cinématographiques ne peuvent être inférieures à des montants par abonné en France ou à des montants fixés en valeur absolue » (4° des articles 40 du décret « TNT », et 44 du décret « CabSat »).
Le projet de décret complète ces dispositions par une nouvelle possibilité de modulation, selon laquelle les conventions des services de cinéma peuvent prévoir une contribution à la production cinématographique consistant en un montant forfaitaire annuel qui, défini le cas échéant globalement, doit notamment être supérieur à 120 millions d’euros. Cette évolution permettrait la mise en œuvre des accords qui prévoiraient un tel encadrement, pouvant être conclus entre les professionnels et les éditeurs.
Cette modulation supplémentaire est encadrée par deux conditions :
– 85 % de cette contribution doit être alloué aux œuvres d’expression originale française ;
– le montant de la contribution forfaitaire en valeur absolue ne peut être inférieur de plus de 20 % au montant résultant du calcul de la contribution par application au chiffre d’affaires des taux prévus par les décrets.
A cet égard, l’ARCOM relève que la condition relative au fléchage de 85 % de la contribution vers les œuvres d’expression originale française correspond aux dispositions des accords professionnels signés par Canal+ et OCS.
L’Autorité constate que cette nouvelle possibilité de modulation marque une inflexion par rapport à l’esprit et à la lettre des textes régissant la contribution des éditeurs de services au financement de la création, le niveau des obligations étant traditionnellement corrélé à celui de l’activité du service, qu’il s’agisse de ses ressources ou du nombre de ses abonnés. Cette évolution est toutefois encadrée par le montant plancher défini en fonction du chiffre d’affaires du service.
Enfin, elle estime que le montant de 120 millions d’euros fixé par le projet de décret restreint excessivement le champ d’application de cette disposition et peut créer une inégalité de situations au détriment des éditeurs dont les capacités d’investissements sont moindres.
Sous ces quelques réserves, en raison du caractère d’intérêt général qui s’attache au financement de la création cinématographique et dans un contexte de fortes incertitudes pour cette industrie, l’ARCOM approuve ce dispositif dès lors que son encadrement semble prévenir d’éventuels contournements.
Sur un plan légistique, l’Autorité suggère de tirer les conséquences de cette modulation dans la rédaction du 4° des articles 40 et 44 des décrets « TNT » et « CabSat ».
2.2. Aménagements rédactionnels portant sur les obligations de production audiovisuelle
Le projet de décret vient préciser certains éléments relatifs à l’encadrement de la production audiovisuelle indépendante par les décrets « TNT » et « Cabsat » (absence de détention directe ou indirecte des mandats de commercialisation lorsque le producteur dispose d’une capacité de distribution ou d’un accord cadre, assouplissement de la modulation selon laquelle la nature et l’étendue des droits peuvent désormais être modifiées en fonction des genres d’œuvres ou du niveau de financement du devis par l’éditeur) ou encore de la possibilité par modulation conventionnelle, pour certains services hertziens et sous certaines conditions, de valoriser des investissements sur des émissions autres que de fiction majoritairement réalisées en plateau.
Ces modifications, qui participent de la clarification du cadre réglementaire en vigueur, n’appellent pas de remarques de l’ARCOM.
2.3. Propositions de modifications complémentaires à apporter aux décrets « TNT », « CabSat » et « SMAD »
Difficultés d’articulation liées aux différences de rédaction de certains accords professionnels et des décrets s’agissant de la mise en œuvre des reports
La rédaction des dispositions des accords professionnels relatives au report d’une partie de l’obligation et de prise en compte d’investissements engagés sur un exercice précédent qui n’ont pas été pris en compte au titre de ce même exercice peuvent contredire les dispositions réglementaires en vigueur des décrets « TNT » et « CabSat ».
En effet, certains accords professionnels envisagent un report des excédents d’investissements engagés, ce qui semble difficilement compatible avec une application stricte des termes des décrets. La plupart des accords professionnels concernés portent sur la production cinématographique mais certains accords conclus avec l’industrie audiovisuelle contiennent la même rédaction.
Aussi, afin de ne pas rompre avec les pratiques mises en œuvre sur les exercices précédents et de faciliter le pilotage des obligations en tenant mieux compte de la réalité des investissements des éditeurs, la rédaction des décrets pourrait être alignée sur celle des accords professionnels signés à ce jour avec la filière cinématographique (Canal+, OCS, TF1, M6), et de certains accords signés avec l’industrie audiovisuelle.
L’Autorité préconise la rédaction suivante : « Permettre de reporter, sur les exercices suivants, la réalisation d’une partie des obligations prévue aux articles (…) dans la limite de 15 % de celles-ci et sur une période définie par la convention ou le cahier des charges, ou de rattacher à un exercice, dans les mêmes limites et sur la même période, les dépenses engagées lors d’un exercice précédent qui n’ont pas encore été prises en compte. Dans le cas où les dépenses éligibles au cours d’un exercice donné excéderaient le montant des obligations prévues aux articles (…), l’excédent pourrait par ailleurs être reporté dans la même limite et sur la même période. »
Proposition complémentaire portant sur les décrets « TNT » et « CabSat »
Certains accords interprofessionnels conclus par des services linéaires autres que de cinéma avec l’industrie audiovisuelle prévoient des niveaux de production audiovisuelle inédite inférieurs à celui fixé par les décrets « TNT » et « CabSat ». L’ARCOM estimerait utile que par l’introduction d’un nouvelle modulation, le niveau de l’obligation de production audiovisuelle inédite puisse être diminué jusqu’à 70 % de l’obligation s’agissant des services hertziens et non hertziens autres que de cinéma.
Proposition d’aménagement complémentaire portant sur le décret « SMAD »
L’ARCOM a examiné, pour la première fois en 2022, le respect par les services de médias audiovisuels à la demande des obligations de contribution à la production prévues par le décret « SMAD ». Elle a à cette occasion identifié des difficultés qu’elle souhaite porter à l’attention du Gouvernement.
Sous l’ancienne réglementation relative aux SMAD, l’obligation de production indépendante ne portait que sur les dépenses de préfinancement. Il en découlait que les services de vidéo à la demande (VàD) payante à l’acte n’étaient pas soumis à une obligation d’indépendance dans la mesure où ils ne valorisaient pas de tels investissements.
Cependant, le décret « SMAD » a harmonisé l’encadrement de la production indépendante avec le régime applicable aux services linéaires. Or, le critère lié à la durée des droits, pensé pour les services de télévision et les services de VàD par abonnement (VàDA), s’avère peu adapté au modèle économique des services de VàD payante à l’acte, qui repose sur des catalogues profonds, alimentés par des droits non exclusifs très longs voire illimités.
L’ARCOM préconise une modification du décret « SMAD » sur ce point afin d’asseoir, pour cette catégorie de services, l’obligation d’indépendance sur les seules dépenses de préfinancement, tant en production audiovisuelle que cinématographique.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
Date et signature(s)
Fait à Paris, le 9 novembre 2022.
Pour l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique :
Le président,
R.-O. Maistre