đŸŸ„ [Secret des sources] Un journaliste ne peut pas prĂ©senter de requĂȘte en nullitĂ© d’un acte d’investigation qui violerait le secret de ses sources s’il est un tiers Ă  la procĂ©dure

Références

Identifiant : ECLI : FR : CC : 2022 : 2022.1021.QPC
Décision du Conseil : Conformité
Décision : n° 2022-1021 QPC du 28 octobre 2022
Objet : RequĂȘte en nullitĂ© d’un acte d’investigation dĂ©posĂ©e par un journaliste n’ayant ni la qualitĂ© de partie Ă  la procĂ©dure ni celle de tĂ©moin assistĂ©
Source : Conseil constitutionnel, 28 octobre 2022, n° 2022-1021 QPC

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI,

le 28 juillet 2022 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrĂȘt n° 1125 du 27 juillet 2022), dans les conditions prĂ©vues Ă  l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalitĂ©. Cette question a Ă©tĂ© posĂ©e pour Mme Marie P. par la SCP Piwnica et MoliniĂ©, avocat au Conseil d’État et Ă  la Cour de cassation. Elle a Ă©tĂ© enregistrĂ©e au secrĂ©tariat gĂ©nĂ©ral du Conseil constitutionnel sous le n° 2022-1021 QPC. Elle est relative Ă  la conformitĂ© aux droits et libertĂ©s que la Constitution garantit du troisiĂšme alinĂ©a de l’article 60-1, du quatriĂšme alinĂ©a de l’article 100-5 ainsi que des articles 170, 171 et 173 du code de procĂ©dure pĂ©nale.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de procĂ©dure pĂ©nale ;
  • la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse ;
  • la loi n° 93-1013 du 24 aoĂ»t 1993 modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant rĂ©forme de la procĂ©dure pĂ©nale ;
  • la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux Ă©volutions de la criminalité ;
  • la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative Ă  la protection du secret des sources des journalistes ;
  • la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de rĂ©forme pour la justice ;
  • le rĂšglement du 4 fĂ©vrier 2010 sur la procĂ©dure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des piÚces suivantes :

  • les observations prĂ©sentĂ©es pour la requĂ©rante par la SCP Piwnica et MoliniĂ©, enregistrĂ©es le 18 aoĂ»t 2022 ;
  • les observations prĂ©sentĂ©es par la PremiĂšre ministre, enregistrĂ©es le 19 aoĂ»t 2022 ;
  • les observations en intervention prĂ©sentĂ©es pour l’association de la presse judiciaire et l’association Reporters sans frontiĂšres par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et Ă  la Cour de cassation, enregistrĂ©es le mĂȘme jour ;
  • les secondes observations prĂ©sentĂ©es pour la requĂ©rante par la SCP Piwnica et MoliniĂ©, enregistrĂ©es le 5 septembre 2022 ;
  • les autres piĂšces produites et jointes au dossier ;

AprĂšs avoir entendu Me François MoliniĂ©, avocat au Conseil d’État et Ă  la Cour de cassation, pour la requĂ©rante, et M. Antoine Pavageau, dĂ©signĂ© par la PremiĂšre ministre, Ă  l’audience publique du 18 octobre 2022 ;

Et aprÚs avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. La question prioritaire de constitutionnalitĂ© doit ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme portant sur les dispositions applicables au litige Ă  l’occasion duquel elle a Ă©tĂ© posĂ©e. DĂšs lors, le Conseil constitutionnel est saisi du troisiĂšme alinĂ©a de l’article 60-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi du 23 mars 2019 mentionnĂ©e ci-dessus, du quatriĂšme alinĂ©a de l’article 100-5 du mĂȘme code dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi du 4 janvier 2010 mentionnĂ©e ci-dessus, de l’article 170 du mĂȘme code dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi du 9 mars 2004 mentionnĂ©e ci-dessus, de l’article 171 du mĂȘme code dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi du 24 aoĂ»t 1993 mentionnĂ©e ci-dessus et de l’article 173 du mĂȘme code dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la mĂȘme loi du 23 mars 2019.

2. Le troisiĂšme alinĂ©a de l’article 60-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale, dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi du 23 mars 2019, prĂ©voit : « À peine de nullitĂ©, ne peuvent ĂȘtre versĂ©s au dossier les Ă©lĂ©ments obtenus par une rĂ©quisition prise en violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse ».

3. Le quatriĂšme alinĂ©a de l’article 100-5 du code de procĂ©dure pĂ©nale, dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi du 4 janvier 2010, prĂ©voit : « À peine de nullitĂ©, ne peuvent ĂȘtre transcrites les correspondances avec un journaliste permettant d’identifier une source en violation de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse ».

4. L’article 170 du code de procĂ©dure pĂ©nale, dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi du 9 mars 2004, prĂ©voit : « En toute matiĂšre, la chambre de l’instruction peut, au cours de l’information, ĂȘtre saisie aux fins d’annulation d’un acte ou d’une piĂšce de la procĂ©dure par le juge d’instruction, par le procureur de la RĂ©publique, par les parties ou par le tĂ©moin assisté ».

5. L’article 171 du code de procĂ©dure pĂ©nale, dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi du 24 aoĂ»t 1993, prĂ©voit : « Il y a nullitĂ© lorsque la mĂ©connaissance d’une formalitĂ© substantielle prĂ©vue par une disposition du prĂ©sent code ou toute autre disposition de procĂ©dure pĂ©nale a portĂ© atteinte aux intĂ©rĂȘts de la partie qu’elle concerne ».

6. L’article 173 du code de procĂ©dure pĂ©nale, dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi du 23 mars 2019, prĂ©voit : « S’il apparaĂźt au juge d’instruction qu’un acte ou une piĂšce de la procĂ©dure est frappĂ© de nullitĂ©, il saisit la chambre de l’instruction aux fins d’annulation, aprĂšs avoir pris l’avis du procureur de la RĂ©publique et avoir informĂ© les parties.
« Si le procureur de la RĂ©publique estime qu’une nullitĂ© a Ă©tĂ© commise, il requiert du juge d’instruction communication de la procĂ©dure en vue de sa transmission Ă  la chambre de l’instruction, prĂ©sente requĂȘte aux fins d’annulation Ă  cette chambre et en informe les parties.
« Si l’une des parties ou le tĂ©moin assistĂ© estime qu’une nullitĂ© a Ă©tĂ© commise, elle saisit la chambre de l’instruction par requĂȘte motivĂ©e, dont elle adresse copie au juge d’instruction qui transmet le dossier de la procĂ©dure au prĂ©sident de la chambre de l’instruction. La requĂȘte doit, Ă  peine d’irrecevabilitĂ©, faire l’objet d’une dĂ©claration au greffe de la chambre de l’instruction. Elle est constatĂ©e et datĂ©e par le greffier qui la signe ainsi que le demandeur ou son avocat. Si le demandeur ne peut signer, il en est fait mention par le greffier. Lorsque le demandeur ou son avocat ne rĂ©side pas dans le ressort de la juridiction compĂ©tente, la dĂ©claration au greffe peut ĂȘtre faite au moyen d’une lettre recommandĂ©e avec demande d’avis de rĂ©ception. Lorsque la personne mise en examen est dĂ©tenue, la requĂȘte peut Ă©galement ĂȘtre faite au moyen d’une dĂ©claration auprĂšs du chef de l’Ă©tablissement pĂ©nitentiaire. Cette dĂ©claration est constatĂ©e et datĂ©e par le chef de l’Ă©tablissement pĂ©nitentiaire qui la signe, ainsi que le demandeur. Si celui-ci ne peut signer, il en est fait mention par le chef de l’Ă©tablissement. Ce document est adressĂ© sans dĂ©lai, en original ou en copie et par tout moyen, au greffe de la chambre de l’instruction.
« Les dispositions des trois premiers alinĂ©as ne sont pas applicables aux actes de procĂ©dure qui peuvent faire l’objet d’un appel de la part des parties, et notamment des dĂ©cisions rendues en matiĂšre de dĂ©tention provisoire ou de contrĂŽle judiciaire, Ă  l’exception des actes pris en application du chapitre IX du titre II du livre II du code de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure.
« Dans les huit jours de la rĂ©ception du dossier par le greffe de la chambre de l’instruction, le prĂ©sident peut, par ordonnance non susceptible de recours, constater que la requĂȘte est irrecevable en application des troisiĂšme ou quatriĂšme alinĂ©as du prĂ©sent article, de l’article 173-1, du premier alinĂ©a de l’article 174 ou du IV de l’article 175 ; il peut Ă©galement constater l’irrecevabilitĂ© de la requĂȘte si celle-ci n’est pas motivĂ©e. S’il constate l’irrecevabilitĂ© de la requĂȘte, le prĂ©sident de la chambre de l’instruction ordonne que le dossier de l’information soit renvoyĂ© au juge d’instruction ; dans les autres cas, il le transmet au procureur gĂ©nĂ©ral qui procĂšde ainsi qu’il est dit aux articles 194 et suivants ».

7. La requĂ©rante, rejointe par les parties intervenantes, reproche Ă  ces dispositions de ne pas permettre Ă  un journaliste de prĂ©senter une requĂȘte en nullitĂ© d’un acte d’investigation accompli en violation du secret de ses sources, lorsqu’il est tiers Ă  la procĂ©dure Ă  l’occasion de laquelle un tel acte a Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©. Elle fait valoir, en outre, qu’aucune autre voie de droit ne lui permettrait de faire constater l’illĂ©galitĂ© de cet acte. Il en rĂ©sulterait une mĂ©connaissance du droit Ă  un recours juridictionnel effectif, du droit au respect de la vie privĂ©e et de la libertĂ© d’expression. Elle estime par ailleurs qu’en rĂ©servant la possibilitĂ© de former une telle requĂȘte en nullitĂ© au journaliste qui a la qualitĂ© de partie ou de tĂ©moin assistĂ©, ces dispositions mĂ©connaĂźtraient le principe d’Ă©galitĂ© devant la loi. Pour les mĂȘmes raisons, le lĂ©gislateur aurait Ă©galement mĂ©connu l’Ă©tendue de sa compĂ©tence dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles prĂ©citĂ©es.

8. Par consĂ©quent, la question prioritaire de constitutionnalitĂ© porte sur le troisiĂšme alinĂ©a de l’article 60-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale et sur le quatriĂšme alinĂ©a de l’article 100-5 du mĂȘme code.

9. Selon l’article 16 de la DĂ©claration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute sociĂ©tĂ© dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurĂ©e, ni la sĂ©paration des pouvoirs dĂ©terminĂ©e, n’a point de Constitution ». Il rĂ©sulte de cette disposition qu’il ne doit pas ĂȘtre portĂ© d’atteinte substantielle au droit des personnes intĂ©ressĂ©es d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

10. Les articles 60-1 et 100-5 du code de procĂ©dure pĂ©nale sont relatifs, pour le premier, au pouvoir de rĂ©quisition d’informations reconnu aux autoritĂ©s en charge des investigations dans le cadre d’une enquĂȘte de flagrance et, pour le second, au pouvoir d’interception des correspondances Ă©mises par la voie de communications Ă©lectroniques dont dispose le juge d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire.

11. Les dispositions contestĂ©es de ces articles interdisent, Ă  peine de nullitĂ©, de verser au dossier de la procĂ©dure les Ă©lĂ©ments obtenus par une rĂ©quisition prise en violation du secret des sources d’un journaliste, lequel est protĂ©gĂ© par l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 mentionnĂ©e ci-dessus, et de transcrire les correspondances avec un journaliste permettant d’identifier une source en violation de ces mĂȘmes dispositions.

12. Il rĂ©sulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu’un tiers Ă  la procĂ©dure, y compris un journaliste, ne peut pas demander l’annulation d’un acte qui aurait Ă©tĂ© accompli en violation du secret des sources.

13. En premier lieu, en application des articles 170 et 173 du code de procĂ©dure pĂ©nale, au cours de l’information, le juge d’instruction, le procureur de la RĂ©publique, les parties ou le tĂ©moin assistĂ© peuvent saisir la chambre de l’instruction aux fins d’annulation d’un acte ou d’une piĂšce de la procĂ©dure. En rĂ©servant Ă  ces personnes la possibilitĂ© de contester la rĂ©gularitĂ© d’actes ou de piĂšces versĂ©s au dossier de la procĂ©dure, le lĂ©gislateur a entendu prĂ©server le secret de l’enquĂȘte et de l’instruction et protĂ©ger les intĂ©rĂȘts des personnes concernĂ©es par celles-ci. Ce faisant, il a poursuivi les objectifs de valeur constitutionnelle de prĂ©vention des atteintes Ă  l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions et entendu garantir le droit au respect de la vie privĂ©e et de la prĂ©somption d’innocence, qui rĂ©sulte des articles 2 et 9 de la DĂ©claration de 1789.

14. En second lieu, lorsqu’un acte d’investigation accompli en violation du secret des sources est constitutif d’une infraction, le journaliste qui s’estime lĂ©sĂ© par celle-ci peut mettre en mouvement l’action publique devant les juridictions pĂ©nales en se constituant partie civile et demander la rĂ©paration de son prĂ©judice. Si, en application de l’article 6-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale, l’action publique ne peut ĂȘtre exercĂ©e dans le cas oĂč l’illĂ©galitĂ© de l’acte ne serait pas soulevĂ©e par le juge d’instruction, par le procureur de la RĂ©publique, par les parties ou par le tĂ©moin assistĂ©, et dĂ©finitivement constatĂ©e par la juridiction qui en est saisie, le journaliste conserve la possibilitĂ© d’invoquer l’irrĂ©gularitĂ© de cet acte Ă  l’appui d’une demande tendant Ă  engager la responsabilitĂ© de l’État du fait de cette violation.

15. DĂšs lors, en ne permettant pas Ă  un journaliste, comme Ă  tout autre tiers Ă  la procĂ©dure, d’obtenir l’annulation d’un acte d’investigation accompli en violation du secret des sources, le lĂ©gislateur n’a pas, compte tenu de l’ensemble des voies de droit qui sont ouvertes, mĂ©connu le droit Ă  un recours juridictionnel effectif. Ce grief doit donc ĂȘtre Ă©cartĂ©.

16. Par consĂ©quent, les dispositions contestĂ©es, qui ne sont pas entachĂ©es d’incompĂ©tence nĂ©gative et ne mĂ©connaissent pas non plus le droit au respect de la vie privĂ©e, la libertĂ© d’expression, le principe d’Ă©galitĂ© devant la loi, ni aucun autre droit ou libertĂ© que la Constitution garantit, doivent ĂȘtre dĂ©clarĂ©es conformes Ă  la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. – Le troisiĂšme alinĂ©a de l’article 60-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale, dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de rĂ©forme pour la justice, et le quatriĂšme alinĂ©a de l’article 100-5 du mĂȘme code, dans sa rĂ©daction rĂ©sultant de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative Ă  la protection du secret des sources des journalistes, sont conformes Ă  la Constitution.

Article 2. – Cette dĂ©cision sera publiĂ©e au Journal officiel de la RĂ©publique française et notifiĂ©e dans les conditions prĂ©vues Ă  l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisĂ©e.

JugĂ© par le Conseil constitutionnel dans sa sĂ©ance du 27 octobre 2022, oĂč siĂ©geaient : M. Laurent FABIUS, PrĂ©sident, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, VĂ©ronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

Rendu public le 28 octobre 2022.