Dans un arrĂȘt du 4 dĂ©cembre 2024, la Cour de cassation a confirmĂ© la lĂ©galitĂ© de lâexclusion des salariĂ©s en tĂ©lĂ©travail de la prime exceptionnelle de pouvoir dâachat instaurĂ©e par Carrefour Supply Chain durant la crise sanitaire de la Covid-19. Cette dĂ©cision souligne que le principe dâĂ©galitĂ© de traitement peut ĂȘtre modulĂ© sur la base de critĂšres objectifs et pertinents, en lâoccurrence la prĂ©sence physique sur site pendant la pandĂ©mie.
Au sommaire :
Prime exceptionnelle de 1 000 ⏠: pourquoi était-elle limitée aux salariés sur site ?
Pendant la pandĂ©mie de Covid-19, Carrefour Supply Chain a mis en place une prime exceptionnelle de 1 000 euros pour les salariĂ©s travaillant sur site (magasins, drives, entrepĂŽts) entre le 12 mars et le 3 mai 2020, pĂ©riode correspondant Ă lâĂ©tat dâurgence sanitaire. Le montant de cette prime Ă©tait proratisĂ© en fonction des jours effectivement travaillĂ©s sur site, tandis que certaines absences (congĂ©s payĂ©s, arrĂȘts maladie, garde dâenfants) Ă©taient assimilĂ©es Ă du temps de travail effectif.
Lâobjectif de cette prime Ă©tait de reconnaĂźtre les efforts des employĂ©s confrontĂ©s Ă des conditions de travail difficiles, notamment une exposition accrue au virus et des contraintes opĂ©rationnelles importantes. En revanche, les tĂ©lĂ©travailleurs, non exposĂ©s aux mĂȘmes risques, ont Ă©tĂ© exclus ou ont perçu un montant rĂ©duit, ce qui a suscitĂ© des contestations.
Les télétravailleurs dénoncent une discrimination
Trente tĂ©lĂ©travailleurs ont saisi le conseil de prudâhommes, estimant que leur exclusion portait atteinte au principe dâĂ©galitĂ© de traitement. Ils ont invoquĂ© lâarticle L. 1222-9 du Code du travail, qui prĂ©voit que les tĂ©lĂ©travailleurs doivent bĂ©nĂ©ficier des mĂȘmes droits que les salariĂ©s prĂ©sents sur site.
Leur principal argument ? Selon eux, la prime exceptionnelle ne compensait pas uniquement les risques encourus, mais rĂ©compensait globalement lâengagement des salariĂ©s durant la crise sanitaire. Ils ont Ă©galement soulignĂ© quâil Ă©tait injuste que certains salariĂ©s en arrĂȘt maladie ou en congĂ©s payĂ©s aient reçu la prime complĂšte, alors quâeux Ă©taient exclus malgrĂ© leur contribution depuis leur domicile.
La décision de la Cour de cassation : une distinction justifiée
Dans son arrĂȘt, la Cour de cassation a rejetĂ© les pourvois des tĂ©lĂ©travailleurs, validant ainsi l’exclusion de ces derniers de la prime mise en place exceptionnelle par Carrefour Supply Chain pendant la crise sanitaire.Â
- ĂgalitĂ© de traitement et tĂ©lĂ©travail
La Cour a rappelĂ© que lâarticle L. 1222-9 III du Code du travail garantit aux tĂ©lĂ©travailleurs les mĂȘmes droits que les salariĂ©s travaillant dans les locaux de lâentreprise, mais que certains avantages, comme cette prime, peuvent ĂȘtre modulĂ©s sur des critĂšres objectifs. - Base lĂ©gale de la modulation des primes
La Cour sâest appuyĂ©e sur lâarticle 7 de la loi n° 2019-1446 du 24 dĂ©cembre 2019, modifiĂ© par lâordonnance n° 2020-385 du 1er avril 2020, qui permet aux employeurs dâajuster la prime exceptionnelle de pouvoir dâachat en fonction de :- La rĂ©munĂ©ration des salariĂ©s ;
- Leur niveau de classification ;
- Les conditions de travail spĂ©cifiques liĂ©es Ă lâĂ©pidĂ©mie de Covid-19 ;
- La durée de présence effective au travail.
En lâespĂšce, la Cour a estimĂ© que cette prime visait Ă compenser les conditions de travail difficiles et les risques encourus sur site pendant la pandĂ©mie. Les tĂ©lĂ©travailleurs, non exposĂ©s Ă ces risques, ne pouvaient prĂ©tendre Ă une Ă©galitĂ© stricte avec les salariĂ©s prĂ©sents physiquement sur site.
- Comparaison avec d’autres catĂ©gories de salariĂ©s
Les tĂ©lĂ©travailleurs ont Ă©galement invoquĂ© une discrimination, arguant que les salariĂ©s en congĂ©s payĂ©s, en arrĂȘt maladie ou en garde dâenfants avaient perçu la prime intĂ©grale. Cependant, la Cour a prĂ©cisĂ© que ces catĂ©gories de salariĂ©s bĂ©nĂ©ficiaient de dispositions lĂ©gales spĂ©cifiques :- Lâarticle L. 3141-24 du Code du travail garantit que les congĂ©s payĂ©s ne peuvent entraĂźner une perte de rĂ©munĂ©ration ;
- Les arrĂȘts maladie liĂ©s Ă des situations de vulnĂ©rabilitĂ© ou de garde dâenfants ont Ă©tĂ© assimilĂ©s Ă du temps de travail effectif pour Ă©viter une rupture dâĂ©galitĂ©.
Les tĂ©lĂ©travailleurs, quant Ă eux, nâĂ©taient pas dans une situation comparable Ă ces catĂ©gories protĂ©gĂ©es. Leur contribution, bien quâimportante, ne sâaccompagnait pas des mĂȘmes risques ou contraintes spĂ©cifiques.
- Absence de discrimination
Enfin, la Cour a Ă©cartĂ© toute violation de lâarticle L. 1132-1 du Code du travail, qui interdit les discriminations fondĂ©es sur des critĂšres tels que la situation familiale ou lâĂ©tat de santĂ©. En modulant la prime selon des critĂšres de travail effectif sur site, lâemployeur a respectĂ© les exigences de proportionnalitĂ© et dâobjectivitĂ© prĂ©vues par la loi.
Source : Cour de cassation, chambre sociale, 4 décembre 2024, n°23-13.829