đŸŸ„ [Extrait] Lien hypertexte : Un lien de transclusion, dĂšs lors qu’il contourne des mesures de protection, est susceptible de constituer une violation du droit d’auteur (communication au public)

Portée de la décision :

L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la sociĂ©tĂ© de l’information, doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© en ce sens que constitue une communication au public au sens de cette disposition le fait d’incorporer, par la technique de la transclusion, dans une page Internet d’un tiers des Ɠuvres protĂ©gĂ©es par le droit d’auteur et mises Ă  la disposition du public en libre accĂšs avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur sur un autre site Internet lorsque cette incorporation contourne des mesures de protection contre la transclusion adoptĂ©es ou imposĂ©es par ce titulaire.

Sur le public nouveau :

47. Par ailleurs, dans de telles circonstances, ainsi que l’a relevĂ© M. l’avocat gĂ©nĂ©ral aux points 73 et 84 de ses conclusions, le public qui a Ă©tĂ© pris en compte par le titulaire du droit d’auteur lorsqu’il a autorisĂ© la communication de son Ɠuvre sur le site Internet sur lequel celle-ci a Ă©tĂ© initialement publiĂ©e est constituĂ© des seuls utilisateurs dudit site, et non des utilisateurs du site Internet sur lequel l’Ɠuvre a ultĂ©rieurement Ă©tĂ© transcluse sans l’autorisation de ce titulaire, ou des autres internautes (voir, par analogie, arrĂȘt du 7 aoĂ»t 2018, Renckhoff, C‑161/17, EU:C:2018:634, point 35).

48. Compte tenu de ces Ă©lĂ©ments, il y a lieu de considĂ©rer que, dans de telles conditions, l’incorporation, par la technique de la transclusion, dans une page Internet d’un tiers d’une Ɠuvre protĂ©gĂ©e par le droit d’auteur et mise Ă  la disposition du public en libre accĂšs avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur sur un autre site Internet doit ĂȘtre qualifiĂ©e de « mise Ă  la disposition de cette Ɠuvre Ă  un public nouveau ».


Contexte de la décision :

1. La demande de dĂ©cision prĂ©judicielle porte sur l’interprĂ©tation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la sociĂ©tĂ© de l’information (JO 2001, L 167, p. 10).

2. Cette demande a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e dans le cadre d’un litige opposant VG Bild-Kunst, une sociĂ©tĂ© de gestion collective de droits d’auteur dans le domaine des arts visuels en Allemagne, Ă  Stiftung Preußischer Kulturbesitz (ci‑aprĂšs « SPK »), une fondation allemande du patrimoine culturel, au sujet du refus de VG Bild-Kunst de conclure avec SPK un contrat de licence d’utilisation de son catalogue d’Ɠuvres sans l’inclusion d’une disposition obligeant cette derniĂšre, en tant que preneur de licence, de mettre en Ɠuvre, lors de l’utilisation des Ɠuvres et des objets protĂ©gĂ©s visĂ©s par ce contrat, des mesures techniques efficaces contre la transclusion (framing), par des tiers, de ces Ɠuvres ou de ces objets protĂ©gĂ©s.

Faits :

9. SPK est l’exploitant de la Deutsche Digitale Bibliothek (ci‑aprĂšs la « DDB »), une bibliothĂšque numĂ©rique dĂ©diĂ©e Ă  la culture et au savoir mettant en rĂ©seau des institutions culturelles et scientifiques allemandes.

10. Le site Internet de la DDB contient des liens vers des contenus numĂ©risĂ©s stockĂ©s sur les portails Internet des institutions participantes. Cependant, la DDB, en tant que « vitrine numĂ©rique », ne stocke elle‑mĂȘme que des vignettes (thumbnails), Ă  savoir des versions d’images dont la taille est rĂ©duite par rapport Ă  celle de l’objet original. Lorsque l’utilisateur clique sur l’une de ces vignettes, il est redirigĂ© vers la page concernant l’objet en cause sur le site de la DDB, laquelle contient une version agrandie de la vignette en cause, d’une rĂ©solution de 440 par 330 pixels. En cliquant sur cette vignette agrandie ou en utilisant la fonction « loupe », une version encore agrandie de ladite vignette, d’une rĂ©solution maximale de 800 par 600 pixels, s’affiche dans une fenĂȘtre en surimpression (lightbox). Par ailleurs, le bouton « Afficher l’objet sur le site d’origine » contient un lien direct vers le site Internet de l’institution qui fournit l’objet en cause, soit vers la page d’accueil de celle-ci, soit vers la page concernant cet objet.

11. VG Bild-Kunst subordonne la conclusion, avec SPK, d’un contrat de licence d’utilisation de son catalogue d’Ɠuvres sous la forme de vignettes Ă  l’inclusion d’une disposition selon laquelle le preneur de licence s’engage Ă  mettre en Ɠuvre, lors de l’utilisation des Ɠuvres et des objets protĂ©gĂ©s visĂ©s par ce contrat, des mesures techniques efficaces contre la transclusion, par des tiers, des vignettes de ces Ɠuvres ou de ces objets protĂ©gĂ©s, affichĂ©es sur le site de la DDB.

12. Estimant qu’une telle condition contractuelle n’est pas raisonnable au regard de la rĂ©glementation applicable en matiĂšre de droit d’auteur, SPK a introduit une action devant le Landgericht Berlin (tribunal rĂ©gional de Berlin, Allemagne) visant Ă  ce qu’il soit constatĂ© que VG Bild-Kunst est tenue d’accorder Ă  SPK ladite licence sans que cette derniĂšre soit subordonnĂ©e Ă  la mise en Ɠuvre de telles mesures techniques.

13. Cette action a Ă©tĂ© rejetĂ©e par le Landgericht Berlin (tribunal rĂ©gional de Berlin). Le jugement de ce dernier a, sur appel de SPK, Ă©tĂ© infirmĂ© par le Kammergericht Berlin (tribunal rĂ©gional supĂ©rieur de Berlin, Allemagne). Par son pourvoi en Revision, VG Bild-Kunst demande le rejet de l’action de SPK.

14. Le Bundesgerichtshof (Cour fĂ©dĂ©rale de justice, Allemagne) prĂ©cise, d’une part, que, conformĂ©ment Ă  l’article 34, paragraphe 1, premiĂšre phrase, du VGG, transposant l’article 16 de la directive 2014/26, les sociĂ©tĂ©s de gestion collective ont l’obligation d’accorder Ă  toute personne qui en fait la demande, Ă  des conditions raisonnables, une licence d’utilisation des droits dont la gestion leur a Ă©tĂ© confiĂ©e.

15. D’autre part, selon sa jurisprudence Ă©tablie au cours de la pĂ©riode durant laquelle s’appliquait la lĂ©gislation nationale abrogĂ©e par le VGG, jurisprudence qui, selon la juridiction de renvoi, n’a pas perdu toute sa pertinence, il Ă©tait admis que les sociĂ©tĂ©s de gestion collective pouvaient, Ă  titre exceptionnel, dĂ©roger Ă  leur obligation et refuser d’octroyer une licence d’utilisation des droits dont la gestion leur a Ă©tĂ© confiĂ©e, Ă  condition que ce refus ne constitue pas un abus de monopole et sous rĂ©serve de pouvoir opposer Ă  la demande de licence des intĂ©rĂȘts lĂ©gitimes supĂ©rieurs. À cet Ă©gard, pour dĂ©terminer l’existence d’une exception objectivement justifiĂ©e, il convenait de mettre en balance les intĂ©rĂȘts des intĂ©ressĂ©s en tenant compte de la finalitĂ© de la loi et de l’objectif sous-tendant cette obligation de principe des sociĂ©tĂ©s de gestion collective.

16. L’issue du pourvoi en Revision dĂ©pendrait du point de savoir si, contrairement Ă  ce qu’a jugĂ© la juridiction d’appel, l’incorporation par transclusion, dans le site Internet d’un tiers, d’une Ɠuvre disponible, avec le consentement du titulaire des droits, en l’occurrence VG Bild-Kunst, sur un site Internet, tel que celui de la DDB, constitue une communication de l’Ɠuvre au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 lorsqu’elle contourne des mesures de protection contre la transclusion adoptĂ©es par le titulaire des droits ou imposĂ©es par celui-ci Ă  un licenciĂ©. Si tel Ă©tait le cas, les droits des membres de VG Bild-Kunst seraient susceptibles d’ĂȘtre affectĂ©s et VG Bild-Kunst pourrait valablement conditionner l’octroi d’une licence Ă  SPK Ă  ce que cette derniĂšre s’engage, dans le contrat de licence, Ă  mettre en Ɠuvre de telles mesures de protection.

17. La juridiction de renvoi estime que, lorsque des vignettes sont incorporĂ©es par transclusion dans le site d’un tiers en contournant des mesures techniques de protection adoptĂ©es ou imposĂ©es par le titulaire des droits, une telle incorporation constitue une communication Ă  un public nouveau. Si tel n’était pas le cas, le droit de communication d’une Ɠuvre au public sur Internet serait, contrairement Ă  l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2001/29, de facto Ă©puisĂ© dĂšs que cette Ɠuvre a Ă©tĂ© mise Ă  la libre disposition de l’ensemble des internautes sur un site Internet avec l’autorisation du titulaire des droits, sans que ce titulaire puisse garder le contrĂŽle de l’exploitation Ă©conomique de son Ɠuvre et s’assurer une participation adĂ©quate Ă  son utilisation Ă  des fins Ă©conomiques.

Question préjudicielle :

18. Éprouvant nĂ©anmoins des doutes quant Ă  la rĂ©ponse Ă  donner Ă  cette question, au regard de la jurisprudence de la Cour relative Ă  la pratique de la transclusion (ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International, C‑348/13, non publiĂ©e, EU:C:2014:2315) et Ă  la libertĂ© d’expression et d’information garantie par l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union europĂ©enne (ci-aprĂšs la « Charte ») dans le contexte numĂ©rique (arrĂȘt du 8 septembre 2016, GS Media, C‑160/15, EU:C:2016:644, point 45), jurisprudence dont il rĂ©sulte que les liens hypertextes contribuent au bon fonctionnement d’Internet ainsi qu’à l’échange d’opinions et d’informations, le Bundesgerichtshof (Cour fĂ©dĂ©rale de justice) a dĂ©cidĂ© de surseoir Ă  statuer et de poser Ă  la Cour la question prĂ©judicielle suivante :

« L’incorporation, par la transclusion (framing), dans le site Internet d’un tiers, d’une Ɠuvre disponible, avec le consentement du titulaire des droits, sur un site Internet librement accessible constitue-t-elle une communication de l’Ɠuvre au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 si cette incorporation contourne des mesures de protection contre la transclusion adoptĂ©es ou imposĂ©es par le titulaire des droits ? »

Appréciation de la CJUE :

19. Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© en ce sens que constitue une communication au public au sens de cette disposition le fait d’incorporer, par la technique de la transclusion, dans une page Internet d’un tiers des Ɠuvres protĂ©gĂ©es par le droit d’auteur et mises Ă  la disposition du public en libre accĂšs avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur sur un autre site Internet lorsque cette incorporation contourne des mesures de protection contre la transclusion adoptĂ©es ou imposĂ©es par ce titulaire.

20. À cet Ă©gard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, les États membres sont tenus de veiller Ă  ce que les auteurs bĂ©nĂ©ficient du droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs Ɠuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise Ă  la disposition du public de leurs Ɠuvres de maniĂšre Ă  ce que chacun puisse y avoir accĂšs de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement.

21. En vertu de cette disposition, les auteurs disposent ainsi d’un droit de nature prĂ©ventive leur permettant de s’interposer entre d’éventuels utilisateurs de leur Ɠuvre et la communication au public que ces utilisateurs pourraient envisager d’effectuer, et ce afin d’interdire celle-ci (voir, en ce sens, arrĂȘt du 7 aoĂ»t 2018, Renckhoff, C‑161/17, EU:C:2018:634, point 29 et jurisprudence citĂ©e).

22. En l’occurrence, il convient de faire observer Ă  titre liminaire que, ainsi qu’il ressort du point 10 du prĂ©sent arrĂȘt, l’affaire au principal porte principalement sur les reproductions numĂ©riques sous forme de vignettes d’Ɠuvres protĂ©gĂ©es dont la taille est, en outre, rĂ©duite par rapport Ă  l’original.

23. Or, d’une part, il y a lieu de relever que, ainsi que la juridiction de renvoi l’expose, il est incontestĂ© entre les parties au principal que la publication, envisagĂ©e par SPK, de vignettes stockĂ©es par ses soins et issues d’Ɠuvres protĂ©gĂ©es par le droit d’auteur appartenant au catalogue de VG Bild-Kunst constitue un acte de communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 et est ainsi soumise Ă  l’autorisation des titulaires de droits.

24. SPK refusant cependant de mettre en Ɠuvre des mesures destinĂ©es Ă  empĂȘcher la transclusion de ces vignettes sur des sites Internet tiers, il y a lieu de dĂ©terminer si une telle transclusion doit elle-mĂȘme ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une communication au public au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, ce qui, dans l’affirmative, permettrait Ă  VG Bild-Kunst, en tant que sociĂ©tĂ© collective de gestion des droits d’auteur, d’imposer Ă  SPK la mise en Ɠuvre de ces mesures.

25. D’autre part, ainsi que l’a relevĂ© M. l’avocat gĂ©nĂ©ral au point 120 de ses conclusions, la modification de la taille des Ɠuvres en cause ne joue pas de rĂŽle dans l’apprĂ©ciation de l’existence d’un acte de communication au public, tant que les Ă©lĂ©ments originaux de ces Ɠuvres sont perceptibles, ce qu’il incombe Ă  la juridiction de renvoi de vĂ©rifier dans le litige au principal.

26. Ainsi que la Cour l’a dĂ©jĂ  jugĂ©, la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, doit, ainsi que le souligne le considĂ©rant 23 de cette directive, s’entendre au sens large, comme couvrant toute communication au public non prĂ©sent au lieu d’origine de la communication et, ainsi, toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une Ɠuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion (arrĂȘt du 19 dĂ©cembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 49 et jurisprudence citĂ©e).

27. En effet, il rĂ©sulte des considĂ©rants 4, 9 et 10 de la directive 2001/29 que celle-ci a pour objectif principal d’instaurer un niveau Ă©levĂ© de protection en faveur des auteurs, permettant Ă  ceux-ci d’obtenir une rĂ©munĂ©ration appropriĂ©e pour l’utilisation de leurs Ɠuvres, notamment Ă  l’occasion d’une communication au public (voir, en ce sens, arrĂȘt du 7 aoĂ»t 2018, Renckhoff, C‑161/17, EU:C:2018:634, point 18 et jurisprudence citĂ©e).

28. En outre, il rĂ©sulte de l’article 3, paragraphe 3, de ladite directive que l’autorisation de l’inclusion des Ɠuvres protĂ©gĂ©es dans une communication au public n’épuise pas le droit d’autoriser ou d’interdire d’autres communications au public de ces Ɠuvres (arrĂȘt du 7 mars 2013, ITV Broadcasting e.a., C‑607/11, EU:C:2013:147, point 23).

29. Ainsi que la Cour l’a itĂ©rativement jugĂ©, la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, associe deux Ă©lĂ©ments cumulatifs, Ă  savoir un acte de communication d’une Ɠuvre et la communication de cette derniĂšre Ă  un public [arrĂȘts du 2 avril 2020, Stim et SAMI, C‑753/18, EU:C:2020:268, point 30 et jurisprudence citĂ©e, ainsi que du 28 octobre 2020, BY (Preuve photographique), C‑637/19, EU:C:2020:863, point 22 et jurisprudence citĂ©e].

30. En premier lieu, tout acte par lequel un utilisateur donne, en pleine connaissance des consĂ©quences de son comportement, accĂšs Ă  des Ɠuvres protĂ©gĂ©es est susceptible de constituer un acte de communication aux fins de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 [voir, en ce sens, arrĂȘts du 2 avril 2020, Stim et SAMI, C‑753/18, EU:C:2020:268, point 32 ainsi que jurisprudence citĂ©e, et du 28 octobre 2020, BY (Preuve photographique), C‑637/19, EU:C:2020:863, point 23 ainsi que jurisprudence citĂ©e].

31. En second lieu, pour relever de la notion de « communication au public », au sens de cette disposition, les Ɠuvres protĂ©gĂ©es doivent effectivement ĂȘtre communiquĂ©es Ă  un public, ladite communication visant un nombre indĂ©terminĂ© de destinataires potentiels (arrĂȘt du 19 dĂ©cembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 66 ainsi que jurisprudence citĂ©e) et impliquant un nombre de personnes assez important (arrĂȘt du 29 novembre 2017, VCAST, C‑265/16, EU:C:2017:913, point 45 et jurisprudence citĂ©e).

32. Pour ĂȘtre qualifiĂ©e de « communication au public », encore faut-il que la communication de l’Ɠuvre protĂ©gĂ©e soit effectuĂ©e selon un mode technique spĂ©cifique, diffĂ©rent de ceux jusqu’alors utilisĂ©s ou, Ă  dĂ©faut, auprĂšs d’un public nouveau, c’est-Ă -dire un public n’ayant pas Ă©tĂ© dĂ©jĂ  pris en compte par le titulaire du droit d’auteur lorsqu’il a autorisĂ© la communication initiale de son Ɠuvre au public (arrĂȘt du 19 dĂ©cembre 2019, Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18, EU:C:2019:1111, point 70 et jurisprudence citĂ©e).

33. La Cour a Ă©galement soulignĂ©, s’agissant de la notion de « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, qu’elle implique une apprĂ©ciation individualisĂ©e (arrĂȘt du 14 juin 2017, Stichting Brein, C‑610/15, EU:C:2017:456, point 23 et jurisprudence citĂ©e).

34. Aux fins d’une telle apprĂ©ciation, il importe de tenir compte de plusieurs critĂšres complĂ©mentaires, de nature non autonome et interdĂ©pendants les uns par rapport aux autres. Ces critĂšres pouvant, dans diffĂ©rentes situations concrĂštes, ĂȘtre prĂ©sents avec une intensitĂ© trĂšs variable, il y a lieu de les appliquer tant individuellement que dans leur interaction les uns avec les autres (voir, en ce sens, arrĂȘt du 2 avril 2020, Stim et SAMI, C‑753/18, EU:C:2020:268, point 31 ainsi que jurisprudence citĂ©e).

35. En particulier, il dĂ©coule de la jurisprudence de la Cour, d’une part, que la technique de la transclusion, consistant Ă  diviser une page d’un site Internet en plusieurs cadres et Ă  afficher dans l’un d’eux, au moyen d’un lien cliquable ou d’un lien Internet incorporĂ© (inline linking), un Ă©lĂ©ment provenant d’un autre site afin de dissimuler aux utilisateurs de ce site l’environnement d’origine auquel appartient cet Ă©lĂ©ment, constitue un acte de communication Ă  un public au sens de la jurisprudence visĂ©e aux points 30 et 31 du prĂ©sent arrĂȘt, dans la mesure oĂč cette technique a pour effet de mettre l’élĂ©ment affichĂ© Ă  la disposition de l’ensemble des utilisateurs potentiels de ce site Internet (voir, en ce sens, arrĂȘt du 13 fĂ©vrier 2014, Svensson e.a., C‑466/12, EU:C:2014:76, points 20, 22 et 23).

36. D’autre part, il rĂ©sulte de la jurisprudence de la Cour que, dĂšs lors que la technique de la transclusion utilise le mĂȘme mode technique que celui dĂ©jĂ  utilisĂ© pour communiquer l’Ɠuvre protĂ©gĂ©e au public sur le site Internet d’origine, Ă  savoir celui d’Internet, cette communication ne satisfait pas Ă  la condition d’un public nouveau et que, ladite communication ne relevant ainsi pas d’une communication « au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ne s’impose pas Ă  une telle communication (voir, en ce sens, arrĂȘt du 13 fĂ©vrier 2014, Svensson e.a., C‑466/12, EU:C:2014:76, points 24 Ă  30).

37. NĂ©anmoins, il convient de faire observer que cette jurisprudence reposait sur la constatation factuelle que l’accĂšs aux Ɠuvres concernĂ©es sur le site Internet d’origine n’était soumis Ă  aucune mesure restrictive (arrĂȘt du 13 fĂ©vrier 2014, Svensson e.a., C‑466/12, EU:C:2014:76, point 26, ainsi que ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International, C‑348/13, non publiĂ©e, EU:C:2014:2315, points 16 et 18). En l’absence de telles mesures, la Cour a donc considĂ©rĂ© que, en mettant son Ɠuvre librement Ă  la disposition du public ou en autorisant une telle mise Ă  disposition, le titulaire de droits a visĂ© dĂšs l’origine l’ensemble des internautes comme public et a ainsi consenti Ă  ce que des tiers procĂšdent eux-mĂȘmes Ă  des actes de communication de cette Ɠuvre.

38. DĂšs lors, dans une situation oĂč un auteur autorise de façon prĂ©alable, explicite et dĂ©pourvue de rĂ©serves, la publication de ses articles sur le site Internet d’un Ă©diteur de presse, sans recourir par ailleurs Ă  des mesures techniques limitant l’accĂšs Ă  ces Ɠuvres Ă  partir d’autres sites Internet, cet auteur peut ĂȘtre regardĂ©, en substance, comme ayant autorisĂ© la communication desdites Ɠuvres Ă  l’ensemble des internautes (arrĂȘt du 16 novembre 2016, Soulier et Doke, C‑301/15, EU:C:2016:878, point 36 ainsi que jurisprudence citĂ©e).

39. En revanche, conformĂ©ment Ă  l’exigence d’apprĂ©ciation individualisĂ©e de la notion de « communication au public », rappelĂ©e aux points 33 et 34 du prĂ©sent arrĂȘt, la considĂ©ration de la Cour au point 37 dudit arrĂȘt ne saurait s’appliquer lorsque le titulaire des droits a mis en place ou imposĂ© dĂšs l’origine des mesures restrictives liĂ©es Ă  la publication de son Ɠuvre.

40. En particulier, dans l’hypothĂšse oĂč un lien cliquable permet aux utilisateurs du site sur lequel ce lien se trouve de contourner des mesures de restriction mises en Ɠuvre sur le site oĂč se trouve l’Ɠuvre protĂ©gĂ©e afin d’en restreindre l’accĂšs par le public Ă  ses seuls abonnĂ©s et, ainsi, constitue une intervention sans laquelle ces utilisateurs ne pourraient pas bĂ©nĂ©ficier des Ɠuvres diffusĂ©es, il y a lieu de considĂ©rer l’ensemble desdits utilisateurs comme un public nouveau, qui n’a pas Ă©tĂ© pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisĂ© la communication initiale de sorte que l’autorisation de ces titulaires s’impose Ă  une telle communication au public. Tel est le cas, notamment, lorsque l’Ɠuvre en cause n’est plus Ă  la disposition du public sur le site sur lequel elle a Ă©tĂ© communiquĂ©e initialement ou qu’elle l’est dĂ©sormais sur ce site uniquement pour un public restreint, alors qu’elle est accessible sur un autre site Internet sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur (arrĂȘt du 13 fĂ©vrier 2014, Svensson e.a., C‑466/12, EU:C:2014:76, point 31).

41. Or, l’affaire au principal concerne prĂ©cisĂ©ment une situation dans laquelle le titulaire du droit d’auteur cherche Ă  subordonner l’octroi d’une licence Ă  la mise en Ɠuvre de mesures de restriction contre la transclusion de maniĂšre Ă  limiter l’accĂšs Ă  ses Ɠuvres Ă  partir de sites Internet autres que ceux de ses licenciĂ©s. Dans de telles conditions, ce titulaire ne saurait ĂȘtre regardĂ© comme ayant consenti Ă  ce que des tiers puissent librement communiquer ses Ɠuvres au public.

42. Ainsi, conformĂ©ment Ă  la jurisprudence citĂ©e au point 38 du prĂ©sent arrĂȘt, en adoptant ou en imposant Ă  ses licenciĂ©s le recours Ă  des mesures techniques limitant l’accĂšs Ă  ses Ɠuvres Ă  partir de sites Internet autres que celui sur lequel il a autorisĂ© la communication au public de celles-ci, le titulaire du droit d’auteur est censĂ© avoir exprimĂ© sa volontĂ© d’assortir de rĂ©serves son autorisation de communiquer ces Ɠuvres au public sur Internet, aux fins de restreindre le public desdites Ɠuvres aux seuls utilisateurs d’un site Internet particulier.

43. Par consĂ©quent, lorsque le titulaire du droit d’auteur a adoptĂ©, ou imposĂ© Ă  ses licenciĂ©s le recours Ă , des mesures de restriction contre la transclusion de maniĂšre Ă  limiter l’accĂšs Ă  ses Ɠuvres Ă  partir de sites Internet autres que celui de ses licenciĂ©s, la mise Ă  disposition initiale sur le site Internet d’origine et la mise Ă  disposition secondaire, par la technique de la transclusion, constituent des communications au public diffĂ©rentes, chacune d’elles devant, dĂšs lors, recevoir l’autorisation des titulaires de droits concernĂ©s (voir, par analogie, arrĂȘt du 29 novembre 2017, VCAST, C‑265/16, EU:C:2017:913, point 49).

44. À cet Ă©gard, il ne saurait ĂȘtre dĂ©duit ni de l’arrĂȘt du 13 fĂ©vrier 2014, Svensson e.a. (C‑466/12, EU:C:2014:76), ni de l’ordonnance du 21 octobre 2014, BestWater International (C‑348/13, non publiĂ©e, EU:C:2014:2315), que le placement, sur un site Internet, de liens hypertextes vers des Ɠuvres protĂ©gĂ©es qui ont Ă©tĂ© rendues librement disponibles sur un autre site Internet, mais sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur sur ces Ɠuvres, n’est pas une « communication au public », au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29. Au contraire, ces dĂ©cisions confirment l’importance d’une telle autorisation au regard de cette disposition, cette derniĂšre prĂ©voyant prĂ©cisĂ©ment que chaque acte de communication d’une Ɠuvre au public doit ĂȘtre autorisĂ© par le titulaire du droit d’auteur (voir, en ce sens, arrĂȘt du 8 septembre 2016, GS Media, C‑160/15, EU:C:2016:644, point 43).

45. Or, les mĂȘmes constatations s’imposent lorsqu’un tiers communique au public des Ɠuvres protĂ©gĂ©es librement disponibles sur certains sites Internet avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, alors que ce titulaire a adoptĂ©, ou a imposĂ© Ă  ses licenciĂ©s de recourir Ă , des mesures techniques limitant l’accĂšs Ă  ses Ɠuvres Ă  partir d’autres sites Internet, par la technique de la transclusion, aux fins de restreindre le public de ses Ɠuvres aux seuls utilisateurs du site Internet d’origine.

46. Il convient de prĂ©ciser que, aux fins de garantir la sĂ©curitĂ© juridique ainsi que le bon fonctionnement d’Internet, il ne saurait ĂȘtre permis au titulaire du droit d’auteur de limiter son consentement autrement qu’au moyen de mesures techniques efficaces, au sens de l’article 6, paragraphes 1 et 3, de la directive 2001/29 (voir, Ă  ce dernier Ă©gard, arrĂȘt du 23 janvier 2014, Nintendo e.a., C‑355/12, EU:C:2014:25, points 24, 25 et 27). En effet, en l’absence de telles mesures, il pourrait s’avĂ©rer difficile, notamment pour les particuliers, de vĂ©rifier si ce titulaire a entendu s’opposer Ă  la transclusion de ses Ɠuvres. Une telle vĂ©rification s’avĂšrerait d’autant plus difficile lorsque ces Ɠuvres ont fait l’objet de sous-licences (voir, par analogie, arrĂȘt du 8 septembre 2016, GS Media, C‑160/15, EU:C:2016:644, point 46).

47. Par ailleurs, dans de telles circonstances, ainsi que l’a relevĂ© M. l’avocat gĂ©nĂ©ral aux points 73 et 84 de ses conclusions, le public qui a Ă©tĂ© pris en compte par le titulaire du droit d’auteur lorsqu’il a autorisĂ© la communication de son Ɠuvre sur le site Internet sur lequel celle-ci a Ă©tĂ© initialement publiĂ©e est constituĂ© des seuls utilisateurs dudit site, et non des utilisateurs du site Internet sur lequel l’Ɠuvre a ultĂ©rieurement Ă©tĂ© transcluse sans l’autorisation de ce titulaire, ou des autres internautes (voir, par analogie, arrĂȘt du 7 aoĂ»t 2018, Renckhoff, C‑161/17, EU:C:2018:634, point 35).

48. Compte tenu de ces Ă©lĂ©ments, il y a lieu de considĂ©rer que, dans de telles conditions, l’incorporation, par la technique de la transclusion, dans une page Internet d’un tiers d’une Ɠuvre protĂ©gĂ©e par le droit d’auteur et mise Ă  la disposition du public en libre accĂšs avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur sur un autre site Internet doit ĂȘtre qualifiĂ©e de « mise Ă  la disposition de cette Ɠuvre Ă  un public nouveau ».

49. Certes, il ne saurait ĂȘtre ignorĂ© que les liens hypertextes, qu’ils soient utilisĂ©s dans le cadre de la technique de la transclusion ou pas, contribuent au bon fonctionnement d’Internet, lequel revĂȘt une importance particuliĂšre pour la libertĂ© d’expression et d’information, garantie par l’article 11 de la Charte, ainsi qu’à l’échange d’opinions et d’informations dans ce rĂ©seau caractĂ©risĂ© par la disponibilitĂ© d’innombrables quantitĂ©s d’informations (arrĂȘt du 29 juillet 2019, Spiegel Online, C‑516/17, EU:C:2019:625, point 81 et jurisprudence citĂ©e).

50. NĂ©anmoins, une approche selon laquelle le titulaire d’un droit d’auteur est censĂ©, mĂȘme dans l’hypothĂšse oĂč il a introduit des mesures de restriction contre la transclusion de ses Ɠuvres, avoir consenti Ă  tout acte de communication au public desdites Ɠuvres par un tiers en faveur de l’ensemble des internautes se heurterait Ă  son droit exclusif et inĂ©puisable d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de ses Ɠuvres, en vertu de l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 2001/29.

51. Ainsi que l’a relevĂ© M. l’avocat gĂ©nĂ©ral aux points 100 et 101 de ses conclusions, le titulaire d’un droit d’auteur ne saurait ĂȘtre mis devant l’alternative soit de tolĂ©rer l’utilisation non autorisĂ©e de son Ɠuvre par autrui, soit de renoncer Ă  l’utilisation de celle-ci, le cas Ă©chĂ©ant par un contrat de licence.

52. En effet, considĂ©rer que l’incorporation dans une page Internet d’un tiers, par la technique de la transclusion, d’une Ɠuvre prĂ©alablement communiquĂ©e sur un autre site Internet avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, alors que ce titulaire a adoptĂ© ou imposĂ© des mesures de protection contre la transclusion, ne constitue pas une mise Ă  la disposition de cette Ɠuvre Ă  un public nouveau reviendrait Ă  consacrer une rĂšgle d’épuisement du droit de communication (voir, par analogie, arrĂȘt du 7 aoĂ»t 2018, Renckhoff, C‑161/17, EU:C:2018:634, points 32 et 33).

53. Outre qu’elle serait contraire au libellĂ© de l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2001/29, une telle rĂšgle priverait ledit titulaire de la possibilitĂ© d’exiger une rĂ©munĂ©ration appropriĂ©e pour l’utilisation de son Ɠuvre, rappelĂ©e au considĂ©rant 10 de cette directive, alors mĂȘme que, ainsi que la Cour l’a rappelĂ©, l’objet spĂ©cifique de la propriĂ©tĂ© intellectuelle vise notamment Ă  assurer aux titulaires de droits concernĂ©s la protection de la facultĂ© d’exploiter commercialement la mise en circulation ou la mise Ă  disposition des objets protĂ©gĂ©s, en accordant des licences moyennant le paiement d’une rĂ©munĂ©ration appropriĂ©e pour chaque utilisation de ceux-ci (arrĂȘt du 7 aoĂ»t 2018, Renckhoff, C‑161/17, EU:C:2018:634, point 34 et jurisprudence citĂ©e).

54. Autoriser une telle incorporation, par la technique de la transclusion, sans que le titulaire du droit d’auteur puisse se prĂ©valoir des droits prĂ©vus Ă  l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, mĂ©connaĂźtrait par consĂ©quent le juste Ă©quilibre, visĂ© aux considĂ©rants 3 et 31 de cette directive, qu’il y a lieu de maintenir, dans l’environnement numĂ©rique, entre, d’une part, l’intĂ©rĂȘt des titulaires du droit d’auteur et des droits voisins Ă  la protection de leur propriĂ©tĂ© intellectuelle, garantie par l’article 17, paragraphe 2, de la Charte, et, d’autre part, la protection des intĂ©rĂȘts et des droits fondamentaux des utilisateurs d’objets protĂ©gĂ©s, en particulier de leur libertĂ© d’expression et d’information, garantie par l’article 11 de la Charte, ainsi que de l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral (voir, par analogie, arrĂȘt du 7 aoĂ»t 2018, Renckhoff, C‑161/17, EU:C:2018:634, point 41).

Solution de la CJUE :

55. Eu Ă©gard aux considĂ©rations qui prĂ©cĂšdent, il y a lieu de rĂ©pondre Ă  la question posĂ©e que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit ĂȘtre interprĂ©tĂ© en ce sens que constitue une communication au public au sens de cette disposition le fait d’incorporer, par la technique de la transclusion, dans une page Internet d’un tiers des Ɠuvres protĂ©gĂ©es par le droit d’auteur et mises Ă  la disposition du public en libre accĂšs avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur sur un autre site Internet lorsque cette incorporation contourne des mesures de protection contre la transclusion adoptĂ©es ou imposĂ©es par ce titulaire.


CJUE, grande chambre, 9 mars 2021, C‑392/19, VG Bild-Kunst c/ Stiftung Preußischer Kulturbesitz