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Publication : PUBLIĂ AU BULLETIN
Identifiant : ECLI:FR:CCASS:2022:C300804 & ECLI:FR:CCASS:2022:C300802
DĂ©cision : Rejet
ArrĂȘt : n° 804 FS-B & n° 802 FS-B
Mot clé : Bail commercial
Source : Cour de cassation, 3e chambre civil, 23 novembre 2022, n°21-21.867 et n°22-12.753
Affaire n°21-21.867
Faits et procédure
1. Selon l’arrĂȘt attaquĂ© (ChambĂ©ry, 29 juin 2021), rendu en rĂ©fĂ©rĂ©, M. [Z] et la sociĂ©tĂ© BCAR (les bailleurs) ont consenti trois baux commerciaux Ă la sociĂ©tĂ© Odalys rĂ©sidences (la locataire) portant sur divers lots situĂ©s dans deux rĂ©sidences de tourisme.
2. En raison des mesures relatives Ă la lutte contre la propagation du virus covid-19, la locataire a cessĂ© son activitĂ© dans les rĂ©sidences concernĂ©es du 14 mars au 2 juin 2020 et informĂ© les bailleurs de sa dĂ©cision d’interrompre le paiement du loyer et des charges pendant cette pĂ©riode.
3. Les bailleurs ont assignĂ© la locataire en paiement de provisions correspondant Ă l’arriĂ©rĂ© locatif.
Examen du moyen
4. La locataire fait grief Ă l’arrĂȘt de la condamner Ă payer Ă chacun des bailleurs une provision, alors :
« 1°/ que juge des rĂ©fĂ©rĂ©s peut accorder une provision dans les cas oĂč l’obligation n’est pas sĂ©rieusement contestable ; que tranche une contestation sĂ©rieuse le juge des rĂ©fĂ©rĂ©s qui interprĂšte un contrat pour Ă©carter l’exception d’inexĂ©cution invoquĂ©e par le dĂ©fendeur ; que la sociĂ©tĂ© Odalys RĂ©sidence soutenait que son obligation au paiement du loyer Ă©tait contestable, sur le fondement de l’exception d’inexĂ©cution, dĂšs lors qu’elle se trouvait dans l’impossibilitĂ© d’utiliser les locaux conformĂ©ment Ă leur destination contractuelle ; qu’en considĂ©rant cependant qu’aucune perte des lieux louĂ©s n’Ă©tait survenue Ă compter de l’interdiction gouvernementale, seuls les exploitants s’Ă©tant vu interdire de recevoir leurs clients dans les locaux pour des raisons Ă©trangĂšres Ă ceux-ci, pour en dĂ©duire que l’obligation au paiement des loyers n’Ă©tait pas sĂ©rieusement contestable, le juge des rĂ©fĂ©rĂ©s, qui a apprĂ©ciĂ© la nature et l’Ă©tendue des obligations contractuelles respectives des parties et les circonstances permettant au preneur d’invoquer l’exception d’inexĂ©cution, a violĂ© l’article 835 du code de procĂ©dure civile ;
2°/ que la sociĂ©tĂ© Odalys invoquait Ă©galement la perte partielle de la chose louĂ©e, laquelle constituait une contestation sĂ©rieuse de son obligation de payer les loyers ; qu’en Ă©nonçant seulement, pour Ă©carter ce moyen, que les locaux n’Ă©taient pas en cause, quand c’est au contraire Ă raison de la nature des locaux, Ă destination de rĂ©sidence de tourisme, que leur usage Ă©tait devenu impossible, la cour d’appel a derechef tranchĂ© une contestation sĂ©rieuse et violĂ© l’article 835 du code de procĂ©dure civile, ensemble l’article 1722 du code civil ;
3°/ que la sociĂ©tĂ© Odalys faisait valoir qu’il rĂ©sultait des stipulations du bail qu’en cas d’indisponibilitĂ© du bien louĂ© Ă raison notamment de circonstances exceptionnelles ne permettant pas une occupation effective et normale du bien, le versement du loyer serait suspendu, mais serait couvert soit par la garantie perte de loyers souscrite par le syndic de l’immeuble, soit par la garantie perte d’exploitation du preneur ; qu’en Ă©nonçant que cette clause ne visait que des manquements personnels du bailleur, ou des circonstances affectant le bien, ce qui n’Ă©tait pas le cas, et qu’elle mentionnait clairement que la suspension des loyers Ă©tait conditionnĂ©e par la couverture des loyers par les assureurs et que cette condition n’Ă©tait pas remplie, la cour d’appel qui a interprĂ©tĂ© la portĂ©e de cette clause qui nĂ©cessitait une interprĂ©tation, a derechef tranchĂ© une contestation sĂ©rieuse et violĂ© l’article 835 du code de procĂ©dure civile. »
RĂ©ponse de la Cour de cassation
5. L’effet de la mesure gouvernementale d’interdiction de recevoir du public, gĂ©nĂ©rale et temporaire et sans lien direct avec la destination contractuelle du local louĂ©, ne peut ĂȘtre, d’une part, imputable aux bailleurs, de sorte qu’il ne peut leur ĂȘtre reprochĂ© un manquement Ă leur obligation de dĂ©livrance, d’autre part, assimilĂ© Ă la perte de la chose, au sens de l’article 1722 du code civil (3e Civ., 30 juin 2022, pourvoi n° 21-20.127, publiĂ©).
6. AprĂšs avoir relevĂ© que seuls les exploitants se sont vu interdire de recevoir leurs clients pour des raisons Ă©trangĂšres aux locaux louĂ©s qui n’avaient subi aucun changement, la cour d’appel a retenu, Ă bon droit, que les mesures d’interdiction d’exploitation, qui ne sont ni du fait ni de la faute du bailleur, ne constituent pas une circonstance affectant le bien, emportant perte de la chose louĂ©e.
7. Elle a ensuite constatĂ©, sans interprĂ©ter le contrat, que la clause de suspension du loyer prĂ©vue au bail ne pouvait recevoir application que dans les cas oĂč le bien Ă©tait indisponible par le fait ou la faute du bailleur ou en raison d’un dĂ©sordre ou d’une circonstance exceptionnelle affectant le bien louĂ© et que la condition de suspension, clairement exigĂ©e, de couverture des loyers par les assureurs, n’Ă©tait pas remplie.
8. Elle n’a pu qu’en dĂ©duire que l’obligation de payer le loyer n’Ă©tait pas sĂ©rieusement contestable.
9. Le moyen n’est donc pas fondĂ©.
DispositifÂ
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Odalys résidences aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procĂ©dure civile, rejette la demande de la sociĂ©tĂ© Odalys rĂ©sidences et la condamne Ă payer Ă la sociĂ©tĂ© BCAR et M. [Z] la somme globale de 3000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisiÚme chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
Affaire n°22-12.753
Faits et procédure
1. Selon l’arrĂȘt attaquĂ© (Nancy, 9 fĂ©vrier 2022), rendu en rĂ©fĂ©rĂ©, et les productions, M. [MC] [T], Mme [FG] [T], M. [J], M. [KJ] [P], Mme [VF] [P], M. [XI] [A], Mme [UU] [A], M. [ZX] [R], Mme [C] [R], M. [MY] [B], Mme [GN] [B], M. [F], Mme [AM], Mme [O], M. [JY] [E], Mme [CG] [E], M. [M] [TB], Mme [HJ] [TB], M. [PM], Mme [WX], M. [W] [GC], Mme [U] [GC], M. [LR] [GC], Mme [D] [GC], M. [EV], M. [G] [RU], Mme [C] [RU], M. [PY], Mme [VP], M. [H], Mme [K], M. [ZB], Mme [S], Mme [OF], M. [VE] et la sociĂ©tĂ© Vivanim (les bailleurs) ont, entre 2003 et 2016, consenti Ă la sociĂ©tĂ© RĂ©side Ă©tudes apparthĂŽtels (la locataire) des baux commerciaux portant sur des appartements et parkings situĂ©s dans une rĂ©sidence de tourisme.
2. En raison des mesures relatives Ă la lutte contre la propagation du virus covid-19, la locataire a, du 17 mars au 2 juin 2020, cessĂ© son activitĂ© dans la rĂ©sidence concernĂ©e puis a enregistrĂ© un taux d’occupation en forte diminution avant une nouvelle fermeture dĂ©cidĂ©e par le dĂ©cret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020.
3. Les 9 et 12 juillet 2020, la locataire a informé les bailleurs de sa décision de suspendre le paiement des loyers des deuxiÚme et troisiÚme trimestres 2020.
4. Les bailleurs ont assignĂ© la locataire en paiement de provisions correspondant Ă l’arriĂ©rĂ© locatif.
Examen du moyen
6. La locataire fait grief Ă l’arrĂȘt de la condamner Ă verser des provisions d’un certain montant au titre des loyers impayĂ©s arrĂȘtĂ©s au quatriĂšme trimestre 2021, alors « que saisi d’une demande de condamnation Ă provision, le juge des rĂ©fĂ©rĂ©s ne dispose pas du pouvoir d’interprĂ©ter les termes d’un contrat ou d’une de ses clauses ; qu’en l’espĂšce les baux commerciaux conclus entre la sociĂ©tĂ© RĂ©side Ă©tudes apparthĂŽtels et chacun des propriĂ©taires bailleurs contenait une clause de suspension du versement des loyers qui stipulait Ă l’article « dispositions diverses » que « Dans le cas oĂč la non sous-location du bien rĂ©sulterait ( ) soit de la survenance de circonstances exceptionnelles et graves (telles qu’incendie de l’immeuble, etc ) affectant le bien et ne permettant pas une occupation effective et normale, aprĂšs la date de livraison, le loyer, dĂ©fini ci-avant, ne sera pas payĂ© jusqu’au mois suivant la fin du trouble de jouissance » ; qu’en application de ces stipulations, les circonstances exceptionnelles liĂ©es Ă la pandĂ©mie de covid-19 et les mesures gouvernementales prises pour en juguler son expansion, qui avaient imposĂ© l’Ă©tat d’urgence sanitaire, entraient dans les prĂ©visions contractuelles ainsi stipulĂ©es en tant qu’elles interdisaient la sous-location des appartements, devenue impossible ou entravĂ©e avec une telle ampleur et de telle maniĂšre que de telles sous-locations ne permettaient pas une occupation effective et normale du bien ; que, pour refuser cependant de faire application de ces stipulations contractuelles, la cour d’appel a retenu que les circonstances exceptionnelles ainsi visĂ©es devaient ĂȘtre intrinsĂšques au bien lui-mĂȘme, c’est-Ă -dire Ă l’immeuble ou bĂątiment, entendu stricto sensu ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a interprĂ©tĂ© la notion contractuelle de circonstances exceptionnelles affectant le bien en excluant que ces circonstances pussent affecter la sous-location du bien, objet du contrat, pour la rendre impossible, la cour d’appel a tranchĂ© une contestation sĂ©rieuse relative Ă la portĂ©e de la clause de suspension du versement du loyer et violĂ© l’article 835 alinĂ©a 2 du code de procĂ©dure civile. »
RĂ©ponse de la Cour de cassation
7. Ayant relevĂ©, d’une part, que la clause prĂ©cise de suspension du loyer prĂ©vue au bail ne pouvait recevoir application que dans les cas oĂč le bien Ă©tait indisponible soit par le fait ou la faute du bailleur, soit en raison de dĂ©sordres de nature dĂ©cennale ou de la survenance de circonstances exceptionnelles affectant le bien louĂ© lui-mĂȘme, d’autre part, que la locataire ne caractĂ©risait pas en quoi les mesures prises pendant la crise sanitaire constituaient une circonstance affectant le bien, la cour d’appel, qui n’a pas interprĂ©tĂ© le contrat, n’a pu qu’en dĂ©duire que l’obligation de payer le loyer n’Ă©tait pas sĂ©rieusement contestable.
8. Le moyen n’est donc pas fondĂ©.
DispositifÂ
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Réside études apparthÎtels aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procĂ©dure civile, rejette la demande formĂ©e par la sociĂ©tĂ© RĂ©side Ă©tudes apparthĂŽtels et la condamne Ă payer Ă M. [MC] [T], Ă Mme [FG] [T], Ă M. [J], Ă M. [KJ] [P], Ă Mme [VF] [P], Ă M. [XI] [A], Ă Mme [UU] [A], Ă M. [ZX] [R], Ă Mme [C] [R], Ă M. [MY] [B], Ă Mme [GN] [B], Ă M. [F], Ă Mme [AM], Ă Mme [O], Ă M. [JY] [E], Ă Mme [CG] [E], Ă M. [M] [TB], Ă Mme [HJ] [TB], Ă M. [PM], Ă Mme [WX], Ă M. [W] [GC], Ă Mme [U] [GC], Ă M. [LR] [GC], Ă Mme [D] [GC], Ă M. [EV], Ă M. [G] [RU], Ă Mme [C] [RU], Ă M. [PY], Ă Mme [VP], Ă M. [H], Ă Mme [K], Ă M. [ZB], Ă Mme [S], Ă Mme [OF], Ă M. [VE] et Ă la sociĂ©tĂ© Vivanim la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisiÚme chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre