🟥 [Extrait] Gestation pour autrui, le procureur gĂ©nĂ©ral ne peut s’opposer Ă  une adoption plĂ©nière sauf Ă  prouver l’illĂ©galitĂ© avec la lĂ©gislation Ă©trangère, le dĂ©tournement ou la fraude

Faits :

Selon l’arrĂŞt attaquĂ© (Paris, 14 mai 2019), B… Y… est nĂ© le […] Ă  Bombay (Inde) de M. Y…, de nationalitĂ© française. L’acte de naissance indien de l’enfant n’indique aucune filiation maternelle. Le 18 octobre 2012, M. Y… a reconnu l’enfant devant l’officier de l’état civil de la ville de Paris (11e arrondissement). Le 15 dĂ©cembre 2015, l’acte de naissance a Ă©tĂ© transcrit par le consul gĂ©nĂ©ral de France Ă  Bombay. Le 18 mars 2016, M. Y… a Ă©pousĂ© M. X…, de nationalitĂ© française, devant l’officier de l’état civil de la ville de Paris (11e arrondissement).

Par requĂŞte du 26 juillet 2016, M. X… a formĂ© une demande d’adoption plĂ©nière de l’enfant B….

Moyen invoqué par le requérant :

Le procureur général près la cour d’appel de Paris fait grief à l’arrêt d’accueillir la demande d’adoption plénière, alors « que l’acte d’état civil doit comporter le nom de la mère qui accouche afin qu’il soit conforme à la « réalité » au sens des dispositions de l’article 47 du code civil précité ; qu’en refusant de considérer que l’acte de naissance de l’enfant qui omet de mentionner la filiation maternelle est irrégulier en droit français, la cour d’appel de Paris a violé l’article susmentionné. »

Textes appliqués :

Aux termes de l’article 16-7 du code civil, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle, ces dispositions étant d’ordre public.

Cependant, le recours à la gestation pour autrui à l’étranger ne fait pas, en lui-même, obstacle au prononcé de l’adoption, par l’époux du père, de l’enfant né de cette procréation, si les conditions légales de l’adoption sont réunies et si elle est conforme à l’intérêt de l’enfant.

Aux termes de l’article 370-3 du code civil, les conditions de l’adoption sont soumises à la loi nationale de l’adoptant.

Aux termes de l’article 345-1, 1°, du même code, l’adoption plénière de l’enfant du conjoint est permise lorsque l’enfant n’a de filiation légalement établie qu’à l’égard de ce conjoint.

Aux termes de l’article 47 du même code, tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité.

Raisonnement de la cour d’appel :

L’arrêt en déduit exactement que le droit français n’interdit pas le prononcé de l’adoption par l’époux du père de l’enfant né à l’étranger de cette procréation lorsque le droit étranger autorise la convention de gestation pour autrui et que l’acte de naissance de l’enfant, qui ne fait mention que d’un parent, a été dressé conformément à la législation étrangère, en l’absence de tout élément de fraude.

Il relève que le recours Ă  la gestation pour autrui par des Ă©trangers, y compris cĂ©libataires non rĂ©sidents, demeurait possible en Inde lors de la conception en 2010 et de la naissance en 2011 de l’enfant, ce que ne conteste pas le procureur gĂ©nĂ©ral, qui ne critique que la lĂ©galitĂ©, au regard du droit indien, de l’établissement de l’acte de naissance de l’enfant, lequel ne fait Ă©tat que de la filiation paternelle de M. Y… Ă  l’exclusion de toute filiation maternelle.

Il ajoute que, si les dispositions de l’article 19 b de la loi indienne de 1886 et de l’article 29 de la loi indienne du 31 mai 1969 n’autorisent pas l’établissement ou l’enregistrement d’un acte de naissance d’un enfant né hors mariage avec la mention d’un père sans celle de la mère, il ressort du guide des bonnes pratiques rédigé en 2005 par le Conseil indien de la recherche médicale et du projet de loi sur les technologies reproductives assistées (ART) de 2008, révisé en 2010, que la situation des enfants nés d’une gestation pour autrui était régie par ces textes, les projets de loi ART de 2008 et de 2010 servant, dans l’attente de leur adoption définitive et de leur promulgation, de lignes directrices pour l’établissement des actes de naissance des enfants nés selon cette méthode d’assistance médicale à la procréation. Il constate que l’application de ces derniers textes par les juridictions indiennes est confirmée par la décision rendue le 18 novembre 2011 par la Cour de district de Delhi et relève que, selon l’article 35 du projet de loi ART de 2010, « dans le cas d’une femme célibataire, l’enfant sera l’enfant légitime de la femme, et dans le cas d’un homme seul, l’enfant sera l’enfant légitime de l’homme » et que « l’acte de naissance d’un enfant né grâce à l’aide à la procréation assistée doit contenir le nom du ou des parents, selon le cas, qui a demandé une telle utilisation ».

Il relève encore que la possibilité de dresser un acte de naissance ou d’enregistrer une naissance en ne faisant mention que de la filiation du père sans celle de la femme ayant accouché est confirmée par la directive adressée le 16 septembre 2011 par le directeur adjoint des services de santé de l’État du Maharashtra au directeur adjoint du service de santé de l’hôpital de Naidu selon laquelle dans le cas de parents d’intention célibataires les certificats doivent être émis en mentionnant leurs noms, qui peut être la mère ou le père mentionnant inconnu pour l’autre nom.

Il précise que le procureur général ne saurait se fonder sur les dispositions du projet de loi indienne sur les technologies reproductives assistées de 2014, qui n’était pas applicable au jour de l’établissement de l’acte de naissance de l’enfant, et dont il ne soutient pas que ses dispositions seraient rétroactives.

Il en dĂ©duit que l’acte de naissance de l’enfant, qui mentionne comme père M. Y… sans faire mention de la gestatrice, a Ă©tĂ© Ă©tabli conformĂ©ment aux dispositions de la lĂ©gislation indienne et qu’il ne saurait donc ĂŞtre reprochĂ© au requĂ©rant un dĂ©tournement ou une fraude.

Il relève enfin que MM. X… et Y… versent aux dĂ©bats le contrat de gestation pour autrui conclu le 29 octobre 2010 entre M. Y…, d’une part, Mme C… Z… et son Ă©poux, d’autre part.

Solution de la Cour de cassation :

De ces constatations et Ă©nonciations, la cour d’appel a exactement dĂ©duit que l’acte de naissance de l’enfant avait Ă©tĂ© rĂ©gulièrement dressĂ© en application de la loi indienne et qu’en l’absence de filiation maternelle Ă©tablie en Inde, l’adoption d’B… par M. X… Ă©tait lĂ©galement possible.


Cass.,  1 civ., 4 novembre 2020, n°19-50.042