đŸŸ„ [Droit pĂ©nal] Le refus de communiquer Ă  l’autoritĂ© judiciaire le code de dĂ©verrouillage d’un tĂ©lĂ©phone portable peut ĂȘtre constitutif d’un dĂ©lit

Références

Publication : PUBLIÉ AU BULLETIN – PUBLIÉ AU RAPPORT
Identifiant : ECLI:FR:CCASS:2022:CR90659
DĂ©cision : Cassation
ArrĂȘt : n° 659 B+R
Mot clĂ© : Atteinte a l’action de justice
Source : Cour de cassation, assemblée pléniÚre, 7 novembre 2022, n°21-83.146
Documents associĂ©s : CommuniquĂ©, Rapport du conseiller, Avis de l’avocat gĂ©nĂ©ral

Faits et procédure

1. Il rĂ©sulte de l’arrĂȘt attaquĂ© et des piĂšces de procĂ©dure ce qui suit.

2. M. [O], placĂ© en garde Ă  vue Ă  l’occasion d’une enquĂȘte pour infractions Ă  la lĂ©gislation sur les stupĂ©fiants, a refusĂ© de communiquer aux enquĂȘteurs les mots de passe des deux smartphones dĂ©couverts en sa possession lors de son interpellation.

3. Il a Ă©tĂ© poursuivi pour dĂ©tention et offre ou cession de cannabis ainsi que pour refus de remettre la convention secrĂšte de dĂ©chiffrement d’un moyen de cryptologie, en s’opposant Ă  la communication du code de dĂ©verrouillage d’un tĂ©lĂ©phone susceptible d’avoir Ă©tĂ© utilisĂ© pour les besoins d’un trafic de stupĂ©fiants.

4. Par jugement du 15 mai 2018, le tribunal correctionnel l’a condamnĂ© pour infractions Ă  la lĂ©gislation sur les stupĂ©fiants, mais relaxĂ© du dĂ©lit de refus de remettre ou de mettre en oeuvre la convention secrĂšte d’un moyen de cryptologie.

5. Par arrĂȘt du 11 juillet 2019, la cour d’appel de Douai a confirmĂ© cette relaxe.

6. La Cour de cassation (Crim., 13 octobre 2020, pourvoi n° 19-85.984, publiĂ©) a cassĂ© et annulĂ© cet arrĂȘt.

7. Par arrĂȘt du 20 avril 2021, la cour d’appel de Douai, saisie sur renvoi, a confirmĂ© la dĂ©cision de relaxe. Le procureur gĂ©nĂ©ral prĂšs la cour d’appel de Douai s’est pourvu en cassation.

8. Par arrĂȘt du 2 fĂ©vrier 2022, la chambre criminelle a ordonnĂ© le renvoi de l’affaire devant l’assemblĂ©e plĂ©niĂšre de la Cour de cassation.

Examen du moyen

9. Le procureur gĂ©nĂ©ral prĂšs la cour d’appel de Douai fait grief Ă  l’arrĂȘt de relaxer le prĂ©venu du chef de refus de remettre aux autoritĂ©s judiciaires la convention secrĂšte de dĂ©chiffrement d’un moyen de cryptologie, faits prĂ©vus et rĂ©primĂ©s Ă  l’article 434-15-2 du code pĂ©nal, alors « qu’il ressort des dispositions de l’article 29 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’Ă©conomie numĂ©rique et des articles 132-79 du code pĂ©nal et R. 871-3 du code de la sĂ©curitĂ© intĂ©rieure que l’on entend comme « conventions permettant le dĂ©chiffrement des donnĂ©es transformĂ©es au moyen des prestations de cryptologie » les « clĂ©s cryptographiques ainsi que tout moyen logiciel ou de toute information permettant la mise au clair de ces donnĂ©es » ; qu’en affirmant, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, que le code de dĂ©verrouillage d’un smartphone n’est pas une convention secrĂšte de chiffrement sans effectuer l’analyse des caractĂ©ristiques techniques du tĂ©lĂ©phone concernĂ© I-phone 4, pourtant indispensable pour fonder sa dĂ©cision, la cour d’appel a insuffisamment motivĂ© sa dĂ©cision. »

RĂ©ponse de la Cour de cassation

Vu les articles 434-15-2 du code pĂ©nal et 29 de la loi n° 2004 575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’Ă©conomie numĂ©rique :

10. Selon le premier de ces textes, est punissable toute personne qui, ayant connaissance de la convention secrĂšte de dĂ©chiffrement d’un moyen de cryptologie susceptible d’avoir Ă©tĂ© utilisĂ© pour prĂ©parer, faciliter ou commettre un crime ou un dĂ©lit, refuse de la remettre aux autoritĂ©s judiciaires ou de la mettre en oeuvre, sur les rĂ©quisitions de ces autoritĂ©s dĂ©livrĂ©es en application des titres II et III du livre Ier du code de procĂ©dure pĂ©nale.

11. Selon le second, un moyen de cryptologie s’entend de tout matĂ©riel ou logiciel conçu ou modifiĂ© pour transformer des donnĂ©es, qu’il s’agisse d’informations ou de signaux, Ă  l’aide de conventions secrĂštes ou pour rĂ©aliser l’opĂ©ration inverse avec ou sans convention secrĂšte. Les moyens de cryptologie ont principalement pour objet de garantir la sĂ©curitĂ© du stockage ou de la transmission de donnĂ©es, en permettant d’assurer leur confidentialitĂ©, leur authentification ou le contrĂŽle de leur intĂ©gritĂ©.

12. Pour l’application du premier de ces textes et au sens du second, une convention de dĂ©chiffrement s’entend de tout moyen logiciel ou de toute autre information permettant la mise au clair d’une donnĂ©e transformĂ©e par un moyen de cryptologie, que ce soit Ă  l’occasion de son stockage ou de sa transmission. Il en rĂ©sulte que le code de dĂ©verrouillage d’un tĂ©lĂ©phone mobile peut constituer une clĂ© de dĂ©chiffrement si ce tĂ©lĂ©phone est Ă©quipĂ© d’un moyen de cryptologie.

13. DĂšs lors, il incombe au juge de rechercher si le tĂ©lĂ©phone en cause est Ă©quipĂ© d’un tel moyen et si son code de dĂ©verouillage permet de mettre au clair tout ou partie des donnĂ©es cryptĂ©es qu’il contient ou auxquelles il donne accĂšs.

14. Pour confirmer la relaxe, l’arrĂȘt retient que la clĂ© de dĂ©verrouillage de l’Ă©cran d’accueil d’un smartphone n’est pas une convention secrĂšte de dĂ©chiffrement, car elle n’intervient pas Ă  l’occasion de l’Ă©mission d’un message et ne vise pas Ă  rendre incomprĂ©hensibles ou comprĂ©hensibles des donnĂ©es, au sens de l’article 29 de la loi du 21 juin 2004, mais tend seulement Ă  permettre d’accĂ©der aux donnĂ©es et aux applications d’un tĂ©lĂ©phone, lesquelles peuvent ĂȘtre ou non cryptĂ©es.

15. En statuant ainsi, la cour d’appel a violĂ© les textes susvisĂ©s.

Dispositif 

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrĂȘt rendu le 20 avril 2021, entre les parties, par la cour d’appel de Douai ;

Remet l’affaire et les parties dans l’Ă©tat oĂč elles se trouvaient avant cet arrĂȘt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris ;

Dit que sur les diligences du procureur gĂ©nĂ©ral prĂšs la Cour de cassation, le prĂ©sent arrĂȘt sera transmis pour ĂȘtre transcrit en marge ou Ă  la suite de l’arrĂȘt cassĂ© ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée pléniÚre, et prononcé le sept novembre deux mille vingt-deux.