🟥 [Droit des sociétés] Un pacte d’associés conclu pour la durée de vie de la société (99ans) est un engagement à durée déterminée qui n’est pas sanctionné par la prohibition des engagements perpétuels

Références

Publication : PUBLIÉ AU BULLETIN
Identifiant : ECLI:FR:CCASS:2023:C100057
Décision : Cassation partielle
Arrêt : n° 57 FS-B
Mot clé : Societe

Source : Cour de cassation, 1ère ch. civ., 25 janvier 2023, n°19-25.478

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 17 octobre 2019), par acte du 30 janvier 2010, M. [I] [F] et ses cinq enfants, M. [R] [F], Mme [W] [F], Mme [B] [F], M. [G] [F] et Mme [C] [F], ainsi que la société HC, actionnaires de la société par actions simplifiée Société centrale de réalisations immobilières promotions (la société Socri promotions), ont conclu un contrat intitulé « pacte d’actionnaires », qui prévoit ce qui devra être mis en oeuvre lorsque M. [I] [F] ne sera plus associé du groupe Socri afin que le groupe reste au sein de la famille, ainsi que des dispositions devant immédiatement régir la vie de la société et les actes des associés. Par lettre du 23 février 2017, M. [I] [F] et la société HC ont notifié à M. [R] [F] la résolution unilatérale du pacte d’actionnaires.

2. M. [R] [F] a assigné M. [I] [F] et la société HC, en présence de Mme [W] [F], Mme [B] [F], M. [G] [F], Mme [C] [F], ainsi que de la société Socri promotions, afin qu’il soit jugé que la résolution du pacte avait été mise en œuvre de manière abusive et qu’elle était irrégulière et inefficace. Mme [B] [F] a également résilié de façon unilatérale le pacte d’actionnaires.

Examen du moyen

(…)

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche, du pourvoi principal

La chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a délibéré sur ce moyen, sur l’avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats à l’audience publique du 20 avril 2022 où étaient présents : Mme Mouillard, président, Mme de Cabarrus, conseiller référendaire rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mme Daubigney, M. Ponsot, Mme Fèvre, conseillers, M. Guerlot, Mmes Lion, Tostain, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, Mme Fornarelli, greffier de chambre.

Enoncé du moyen

12. M. [R] [F] fait grief à l’arrêt de déclarer régulière la résiliation du pacte d’actionnaires du 30 janvier 2010 par M. [I] [F] et la société HC, le 23 février 2017, et par Mme [B] [F], le 10 janvier 2018, et de le débouter de sa demande de dommages-intérêts, alors « qu’un pacte d’associés conclu pour la durée de vie de la société, contribuant ainsi à la stabilité du pacte social, est un contrat à durée déterminée ; qu’en jugeant que le pacte d’associés conclu le 30 janvier 2010 pour la durée restant à courir de la société Socri promotions, soit 58 ans, était d’une durée excessive assimilable à une durée indéterminée, la cour d’appel a violé l’article 1134, alinéa 1er, devenu 1103, du code civil. »

Réponse de la Cour de cassation

Vu l’article 1134, alinéa 1er, du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, et l’article 1838 du même code :

13. Il résulte de la combinaison de ces textes que la prohibition des engagements perpétuels n’interdit pas de conclure un pacte d’associés pour la durée de vie de la société, de sorte que les parties ne peuvent y mettre fin unilatéralement.

14. Pour déclarer régulière la résiliation du pacte d’actionnaires du 30 janvier 2010 par M. [I] [F] et la société HC, le 23 février 2017, et par Mme [B] [F], le 10 janvier 2018, et débouter M. [R] [F] de sa demande de dommages-intérêts, l’arrêt, après avoir constaté que l’article 10 du pacte d’actionnaires prévoit que ce contrat est conclu pour la durée de la société, soit pour le temps restant à courir jusqu’à expiration des 99 années à compter de la date de son immatriculation au registre du commerce et des sociétés, qu’au terme de cette première période, le pacte sera automatiquement et tacitement renouvelé pour la nouvelle durée de la société éventuellement prorogée et qu’à l’occasion de chaque renouvellement, toute partie pourra dénoncer le pacte pour ce qui la concerne, en notifiant sa décision au moins six mois à l’avance aux autres parties, et que, selon l’article 11, le pacte liera et bénéficiera aux héritiers, aux légataires, ayants droit, ayants cause de chacune des parties, et notamment leurs holdings familiales, ainsi que leurs représentants légaux, relève que la société Socri promotions a été immatriculée au RCS le 24 janvier 1969, de sorte que la première période de ce pacte expirera le 24 janvier 2068, et qu’en respectant ces dispositions, les descendants de M. [I] [F] ne pourront sortir du pacte qu’à un âge particulièrement avancé, entre 79 et 96 ans selon les signataires du pacte. Il en déduit que cette durée excessive, qui confisque toute possibilité réelle de fin de pacte pour les associés, ouvre aux parties la possibilité de résilier ce pacte unilatéralement à tout moment.

15. En statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Dispositif 

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident éventuel;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il déclare régulière la résiliation du pacte d’actionnaires du 30 janvier 2010, d’une part, par M. [I] [F] et la SARL HC le 23 février 2017, et d’autre part, par Mme [B] [F] le 10 janvier 2018, déboute M. [R] [F] de sa demande de dommages et intérêts et statue sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile, l’arrêt rendu le 17 octobre 2019, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ;

Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne les sociétés Socri promotions et Socri Immo et M. [I] [F] aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par les sociétés Socri promotions et Socri Immo et M. [I] [F], ainsi que celle formée par M. [R] [F] en ce qu’elle est dirigée contre Mmes [W], [C] et [B] [F] et M. [G] [F] et condamne les sociétés Socri promotions et Socri Immo et M. [I] [F] à payer à M. [R] [F] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq janvier deux mille vingt-trois