đŸŸ„ [Discrimination] Air France ne peut pas interdire Ă  ses stewards masculins de travailler avec des tresses africaines nouĂ©es en chignon dĂšs lors que la coiffure est autorisĂ©e pour les stewards fĂ©minins.

Références

Publication : A completer
Identifiant : A completer
DĂ©cision : Cassation partielle
ArrĂȘt : n° 1329 FP-B+R
Mot clé : A completer
Source : Cour de cassation, chambre sociale, 23 novembre 2022, n°21-14.060

Faits et procédure

2. Selon l’arrĂȘt attaquĂ© (Paris, 6 novembre 2019) et les productions, M. [C] a Ă©tĂ© engagĂ© le 7 mai 1998 par la sociĂ©tĂ© Air France, en qualitĂ© de steward.

3. A compter de 2005, le salariĂ© s’est prĂ©sentĂ© coiffĂ© de tresses africaines nouĂ©es en chignon Ă  l’embarquement, lequel lui a Ă©tĂ© refusĂ© par l’employeur au motif qu’une telle coiffure n’était pas autorisĂ©e par le manuel des rĂšgles de port de l’uniforme pour le personnel navigant commercial masculin. Par la suite et jusqu’en 2007, le salariĂ© a portĂ© une perruque pour exercer ses fonctions.

4. Soutenant ĂȘtre victime de discrimination, il a saisi, le 20 janvier 2012, la juridiction prud’homale de diverses demandes.

5. Le 13 avril 2012, l’employeur a notifiĂ© au salariĂ© une mise Ă  pied sans solde de cinq jours pour prĂ©sentation non conforme aux rĂšgles de port de l’uniforme.

6. Le 17 fĂ©vrier 2016, le salariĂ© a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© dĂ©finitivement inapte Ă  exercer la fonction de personnel navigant commercial, en raison d’un syndrome dĂ©pressif reconnu comme maladie professionnelle par la caisse primaire d’assurance maladie.

7. AprĂšs avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un congĂ© de reconversion professionnelle et confirmĂ© qu’il ne souhaitait pas de reclassement au sol, il a Ă©tĂ© licenciĂ© le

5 février 2018 pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.

8. En cause d’appel, le salariĂ© a demandĂ© la condamnation de l’employeur au paiement d’une somme Ă  titre de dommages-intĂ©rĂȘts pour discrimination, harcĂšlement moral et dĂ©loyautĂ©, d’un rappel de salaire pour la pĂ©riode du 1er janvier 2012 au 28 fĂ©vrier 2014 et les congĂ©s payĂ©s affĂ©rents, la nullitĂ© de son licenciement et en consĂ©quence la condamnation de l’employeur au paiement de dommages-intĂ©rĂȘts Ă  ce titre, d’un solde de prĂ©avis avec les congĂ©s payĂ©s affĂ©rents et d’une indemnitĂ© de licenciement.

Examen du moyen

9. Le salariĂ© fait grief Ă  l’arrĂȘt de le dĂ©bouter de sa demande de dommages-intĂ©rĂȘts au titre de la discrimination, du harcĂšlement moral et de la dĂ©loyautĂ©, de sa demande de rappels de salaire du 1er janvier 2012 au 28 fĂ©vrier 2014, ainsi que de ses demandes tendant Ă  la nullitĂ© de son licenciement et au paiement de sommes subsĂ©quentes Ă  titre de dommages-intĂ©rĂȘts, de solde sur prĂ©avis, de congĂ©s payĂ©s affĂ©rents et d’indemnitĂ© de licenciement, alors :
« 8°/ que s’il appartient au salariĂ© qui se prĂ©tend lĂ©sĂ© par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les Ă©lĂ©ments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe Ă  l’employeur, s’il conteste le caractĂšre discriminatoire du traitement rĂ©servĂ© au salariĂ©, d’établir que sa dĂ©cision est justifiĂ©e par des Ă©lĂ©ments objectifs, Ă©trangers Ă  toute discrimination ; qu’en Ă©cartant la discrimination sans prĂ©ciser en quoi les tresses africaines nuiraient Ă  l’image de la compagnie Air France, la cour d’appel n’a pas lĂ©galement justifiĂ© sa dĂ©cision au regard de l’article L. 1132-1 du code du travail ;
9°/ que s’il appartient au salariĂ© qui se prĂ©tend lĂ©sĂ© par une mesure discriminatoire de soumettre au juge les Ă©lĂ©ments de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte, il incombe Ă  l’employeur, s’il conteste le caractĂšre discriminatoire du traitement rĂ©servĂ© au salariĂ©, d’établir que sa dĂ©cision est justifiĂ©e par des Ă©lĂ©ments objectifs, Ă©trangers Ă  toute discrimination ; qu’il rĂ©sulte des Ă©nonciations de l’arrĂȘt attaquĂ© que le salariĂ© n’avait pu exercer ses fonctions et avait dĂ» porter une perruque pour pouvoir embarquer sur les vols qu’il devait assurer, ce Ă  raison de sa coiffure faite de tresses africaines pourtant autorisĂ©e pour les femmes, et que ‘’les Ă©lĂ©ments de fait apportĂ©s par M. [C] laissent supposer un harcĂšlement fondĂ© sur une discrimination’‘ ; que pour Ă©carter la discrimination Ă  raison du sexe, la cour d’appel s’est bornĂ©e Ă  faire Ă©tat d’une ‘’diffĂ©rence d’apparence admise Ă  une pĂ©riode donnĂ©e entre hommes et femmes en terme d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage’‘ et Ă  affirmer que ‘’ce type de diffĂ©rence qui reprend les codes en usage ne peut ĂȘtre qualifiĂ©e de discrimination’‘ ; qu’en justifiant ainsi la diffĂ©rence de traitement constatĂ©e par une discrimination communĂ©ment admise, la cour d’appel a violĂ© les articles L.1132-1 et L.1134-1 du code du travail. »

RĂ©ponse de la Cour de cassation

Vu les articles L. 1121-1, L. 1132-1, dans sa rĂ©daction antĂ©rieure Ă  la loi n° 2012-954 du 6 aoĂ»t 2012, et L. 1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les articles 2, § 1, et 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil du 5 juillet 2006 relative Ă  la mise en Ɠuvre du principe de l’Ă©galitĂ© des chances et de l’Ă©galitĂ© de traitement entre hommes et femmes en matiĂšre d’emploi et de travail :

10. Il rĂ©sulte de ces textes que les diffĂ©rences de traitement en raison du sexe doivent ĂȘtre justifiĂ©es par la nature de la tĂąche Ă  accomplir, rĂ©pondre Ă  une exigence professionnelle vĂ©ritable et dĂ©terminante et ĂȘtre proportionnĂ©es au but recherchĂ©.

11. Il rĂ©sulte par ailleurs de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union europĂ©enne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15), que par analogie avec la notion d’‘’exigence professionnelle essentielle et dĂ©terminante’‘ prĂ©vue Ă  l’article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant crĂ©ation d’un cadre gĂ©nĂ©ral en faveur de l’égalitĂ© de traitement en matiĂšre d’emploi et de travail, la notion d’‘’exigence professionnelle vĂ©ritable et dĂ©terminante’‘, au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil du 5 juillet 2006, renvoie Ă  une exigence objectivement dictĂ©e par la nature ou les conditions d’exercice de l’activitĂ© professionnelle en cause. Il rĂ©sulte en effet de la version en langue anglaise des deux directives prĂ©citĂ©es que les dispositionscen cause sont rĂ©digĂ©es de façon identique : ‘’such a characteristic constitutes a genuine and determining occupational requirement’‘.

12. Pour dĂ©bouter le salariĂ© de sa demande de dommages-intĂ©rĂȘts au titre de la discrimination, du harcĂšlement moral et de la dĂ©loyautĂ©, de ses demandes de rappels de salaire et tendant Ă  la nullitĂ© du licenciement et au paiement de sommes subsĂ©quentes, l’arrĂȘt, aprĂšs avoir constatĂ© que le manuel de port de l’uniforme des personnels navigants commerciaux masculins mentionne que ‘’les cheveux doivent ĂȘtre coiffĂ©s de façon extrĂȘmement nette. LimitĂ©es en volume, les coiffures doivent garder un aspect naturel et homogĂšne. La longueur est limitĂ©e dans la nuque au niveau du bord supĂ©rieur du col de la chemise. DĂ©coloration et ou coloration apparente non autorisĂ©e. La longueur des pattes ne dĂ©passant pas la partie mĂ©diane de l’oreille. Accessoires divers : non autorisĂ©s’‘, retient que ce manuel n’instaure aucune diffĂ©rence entre cheveux lisses, bouclĂ©s ou crĂ©pus et donc aucune diffĂ©rence entre l’origine des salariĂ©s et qu’il est reprochĂ© au salariĂ© sa coiffure, ce qui est sans rapport avec la nature de ses cheveux.

13. Il ajoute que si le port de tresses africaines nouĂ©es en chignon est autorisĂ© pour le personnel navigant fĂ©minin, l’existence de cette diffĂ©rence d’apparence, admise Ă  une pĂ©riode donnĂ©e entre hommes et femmes en termes d’habillement, de coiffure, de chaussures et de maquillage, qui reprend les codes en usage, ne peut ĂȘtre qualifiĂ©e de discrimination.

14. L’arrĂȘt Ă©nonce encore que la prĂ©sentation du personnel navigant commercial fait partie intĂ©grante de l’image de marque de la compagnie, que le salariĂ© est en contact avec la clientĂšle d’une grande compagnie de transport aĂ©rien qui comme toutes les autres compagnies aĂ©riennes impose le port de l’uniforme et une certaine image de marque immĂ©diatement reconnaissable, qu’en sa qualitĂ© de steward, il joue un rĂŽle commercial dans son contact avec la clientĂšle et reprĂ©sente la compagnie et que la volontĂ© de la compagnie de sauvegarder son image est une cause valable de limitation de la libre apparence des salariĂ©s.

15. L’arrĂȘt en dĂ©duit que les agissements de la sociĂ©tĂ© Air France ne sont pas motivĂ©s par une discrimination directe ou indirecte et sont justifiĂ©s par des raisons totalement Ă©trangĂšres Ă  tout harcĂšlement.

16. En statuant ainsi, alors qu’elle avait constatĂ© que la sociĂ©tĂ© Air France avait interdit au salariĂ© de se prĂ©senter Ă  l’embarquement avec des cheveux longs coiffĂ©s en tresses africaines nouĂ©es en chignon et que, pour pouvoir exercer ses fonctions, l’intĂ©ressĂ© avait dĂ» porter une perruque masquant sa coiffure au motif que celle-ci n’Ă©tait pas conforme au rĂ©fĂ©rentiel relatif au personnel navigant commercial masculin, ce dont il rĂ©sultait que l’interdiction faite Ă  l’intĂ©ressĂ© de porter une coiffure, pourtant autorisĂ©e par le mĂȘme rĂ©fĂ©rentiel pour le personnel fĂ©minin, caractĂ©risait une discrimination directement fondĂ©e sur l’apparence physique en lien avec le sexe, la cour d’appel, qui, d’une part, s’est prononcĂ©e par des motifs, relatifs au port de l’uniforme, inopĂ©rants pour justifier que les restrictions imposĂ©es au personnel masculin relatives Ă  la coiffure Ă©taient nĂ©cessaires pour permettre l’identification du personnel de la sociĂ©tĂ© Air France et prĂ©server l’image de celle-ci, et qui, d’autre part, s’est fondĂ©e sur la perception sociale de l’apparence physique des genres masculin et fĂ©minin, laquelle ne peut constituer une exigence professionnelle vĂ©ritable et dĂ©terminante justifiant une diffĂ©rence de traitement relative Ă  la coiffure entre les femmes et les hommes, au sens de l’article 14, § 2, de la directive 2006/54/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil du 5 juillet 2006, a violĂ© les textes susvisĂ©s.

Dispositif 

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dĂ©boute M. [C] de ses demandes de dommages-intĂ©rĂȘts au titre de la discrimination, du harcĂšlement moral et de la dĂ©loyautĂ©, de rappels de salaire du 1er janvier 2012 au 28 fĂ©vrier 2014, ainsi que de sa demande tendant Ă  la nullitĂ© de son licenciement et au paiement de dommages-intĂ©rĂȘts Ă  ce titre, de solde sur prĂ©avis et congĂ©s payĂ©s affĂ©rents et d’indemnitĂ© de licenciement, et en ce qu’il condamne M. [C] Ă  payer Ă  la sociĂ©tĂ© Air France la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procĂ©dure civile ainsi qu’aux dĂ©pens d’appel, l’arrĂȘt rendu le 6 novembre 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l’affaire et les parties dans l’Ă©tat oĂč elles se trouvaient avant cet arrĂȘt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composĂ©e ;
Condamne la société Air France aux dépens ;
En application de l’article 700 du code de procĂ©dure civile, rejette la demande formĂ©e par la sociĂ©tĂ© Air France et la condamne Ă  payer Ă  la SCP Thouvenin, Coudray et Grevy la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur gĂ©nĂ©ral prĂšs la Cour de cassation, le prĂ©sent arrĂȘt sera transmis pour ĂȘtre transcrit en marge ou Ă  la suite de l’arrĂȘt partiellement cassĂ© ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois novembre deux mille vingt-deux.