đŸŸ„ [Chasse traditionnelle] Le Conseil d’Etat annule dĂ©finitivement les autorisations ministĂ©rielles concernant la chasse de plusieurs oiseaux Ă  l’aide de filets, cages ou nƓuds coulants pour la campagne 2021-2022

Références

DĂ©cision : Conseil d’Etat statuant au contentieux
Nature : DĂ©cision
Date : 23 novembre 2022
Numéro : 457516, 457579, 457517, 457583, 457518 et suivants, 457526 et suivants.

Important : La dĂ©cision reproduite concerne l’affaire n°457526 et suivants. Vous pouvez consulter les autres affaires dans les liens ci-dessous :

– N° 457517
– N° 457518 et suivants
– N° 457516

(…)

Sur les conclusions tendant Ă  l’annulation des arrĂȘtĂ©s du 12 octobre 2021 :

4. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 8 de la directive 2009/147/CE du Parlement europĂ©en et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite directive  » Oiseaux  » :  » 1. En ce qui concerne la chasse, la capture ou la mise Ă  mort d’oiseaux dans le cadre de la prĂ©sente directive, les États membres interdisent le recours Ă  tous moyens, installations ou mĂ©thodes de capture ou de mise Ă  mort massive ou non sĂ©lective ou pouvant entraĂźner localement la disparition d’une espĂšce, et en particulier Ă  ceux Ă©numĂ©rĂ©s Ă  l’annexe IV, point a). / (…) « . Parmi les moyens, installations ou mĂ©thodes de capture ou de mise Ă  mort prohibĂ©s par le a) de l’annexe IV de la directive figure notamment les  » collets (…), gluaux, hameçons, oiseaux vivants utilisĂ©s comme appelants aveuglĂ©s ou mutilĂ©s, enregistreurs, appareils Ă©lectrocutants  » ou encore les  » filets, piĂšges-trappes, appĂąts empoisonnĂ©s ou tranquillisants (…) « . Toutefois, l’article 9 de la directive prĂ©voit en son paragraphe 1 que  » Les États membres peuvent dĂ©roger aux articles 5 Ă  8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci- aprĂšs : / (…) c) pour permettre, dans des conditions strictement contrĂŽlĂ©es et de maniĂšre sĂ©lective, la capture, la dĂ©tention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantitĂ©s.  » Par ailleurs, son paragraphe 2 prĂ©voit que les dĂ©rogations doivent mentionner les espĂšces concernĂ©es, les moyens, installations ou mĂ©thodes de capture ou de mise Ă  mort autorisĂ©s, les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dĂ©rogations peuvent ĂȘtre prises, l’autoritĂ© habilitĂ©e Ă  dĂ©clarer que les conditions exigĂ©es sont rĂ©unies, Ă  dĂ©cider quels moyens, installations ou mĂ©thodes peuvent ĂȘtre mis en oeuvre, dans quelles limites et par quelles personnes, enfin les contrĂŽles qui seront opĂ©rĂ©s.

5. Il rĂ©sulte de ces dispositions de la directive, telles qu’interprĂ©tĂ©es par la Cour de justice de l’Union europĂ©enne, notamment dans son arrĂȘt C-900/19 du 17 mars 2021, que les motifs de dĂ©rogation prĂ©vus Ă  son article 9 sont d’interprĂ©tation stricte et, Ă  cet Ă©gard, que si les mĂ©thodes traditionnelles de chasse sont susceptibles de constituer une exploitation judicieuse de certains oiseaux au sens de la directive, l’objectif de prĂ©server ces mĂ©thodes ne constitue pas un motif autonome de dĂ©rogation au sens de cet article. Par suite, le caractĂšre traditionnel d’une mĂ©thode de chasse ne suffit pas, en soi, Ă  Ă©tablir qu’une autre solution satisfaisante, au sens des dispositions du paragraphe 1 de cet article 9, ne peut ĂȘtre substituĂ©e Ă  cette mĂ©thode, de mĂȘme que le simple fait qu’une autre mĂ©thode requerrait une adaptation et, par consĂ©quent, exigerait de s’Ă©carter de certaines caractĂ©ristiques d’une tradition, ne saurait suffire pour considĂ©rer qu’il n’existe pas une telle autre solution satisfaisante.

6. Aux termes de l’article L. 424-2 du code de l’environnement, dans sa rĂ©daction applicable en l’espĂšce :  » (…) Les oiseaux ne peuvent ĂȘtre chassĂ©s ni pendant la pĂ©riode nidicole ni pendant les diffĂ©rents stades de reproduction et de dĂ©pendance. Les oiseaux migrateurs ne peuvent en outre ĂȘtre chassĂ©s pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification. / Des dĂ©rogations peuvent ĂȘtre accordĂ©es, s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et Ă  la condition de maintenir dans un bon Ă©tat de conservation les populations migratrices concernĂ©es : / (…) 2° Pour permettre, dans des conditions strictement contrĂŽlĂ©es et de maniĂšre sĂ©lective, la capture, la dĂ©tention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantitĂ©s ; / (…) « . En vertu de l’article L. 424-4 du mĂȘme code :  » Dans le temps oĂč la chasse est ouverte, le permis donne Ă  celui qui l’a obtenu le droit de chasser de jour, soit Ă  tir, soit Ă  courre, Ă  cor et Ă  cri, soit au vol, suivant les distinctions Ă©tablies par des arrĂȘtĂ©s du ministre chargĂ© de la chasse. (…) / (…) / Pour permettre, dans des conditions strictement contrĂŽlĂ©es et de maniĂšre sĂ©lective, la chasse de certains oiseaux de passage en petites quantitĂ©s, le ministre chargĂ© de la chasse autorise, dans les conditions qu’il dĂ©termine, l’utilisation des modes et moyens de chasse consacrĂ©s par les usages traditionnels, dĂ©rogatoires Ă  ceux autorisĂ©s par le premier alinĂ©a. / Tous les moyens d’assistance Ă©lectronique Ă  l’exercice de la chasse, autres que ceux autorisĂ©s par arrĂȘtĂ© ministĂ©riel, sont prohibĂ©s. / Les gluaux sont posĂ©s une heure avant le lever du soleil et enlevĂ©s avant onze heures. / Tous les autres moyens de chasse, y compris l’avion et l’automobile, mĂȘme comme moyens de rabat, sont prohibĂ©s. / (…) « . Par ailleurs, l’article R. 424-15-1 du code de l’environnement prĂ©cise que :  » Pour l’application des dispositions du troisiĂšme alinĂ©a des articles L. 424-2 et L. 424-4, l’utilisation de modes et moyens de chasse consacrĂ©s par les usages traditionnels est autorisĂ©e dĂšs lors qu’elle correspond Ă  une exploitation judicieuse de certains oiseaux. / (…) « .

7. Sur le fondement de ces dispositions, l’article 1er de l’arrĂȘtĂ© du 17 aoĂ»t 1989 relatif Ă  la capture de l’alouette des champs au moyen de pantes dans les dĂ©partements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des PyrĂ©nĂ©es Atlantiques, procĂ©dĂ© de chasse qui consiste Ă  attirer l’espĂšce visĂ©e Ă  proximitĂ© de filets horizontaux installĂ©s au sol et dĂ©clenchĂ©s manuellement par les chasseurs, prĂ©voit que :  » La capture de l’alouette des champs Ă  l’aide de filets horizontaux dit  » pantes  » est autorisĂ©e dans les lieux oĂč elle Ă©tait encore pratiquĂ©e en 1986, (…) et dans les conditions strictement contrĂŽlĂ©es dĂ©finies ci-aprĂšs afin de permettre la capture sĂ©lective et en petites quantitĂ©s de ces oiseaux, puisqu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante « . Aux termes de l’article 5 de cet arrĂȘtĂ© :  » Le nombre maximum d’oiseaux pouvant ĂȘtre capturĂ©s pendant la campagne ainsi, le cas Ă©chĂ©ant, que les spĂ©cifications techniques propres Ă  un dĂ©partement sont fixĂ©s chaque annĂ©e par le ministre chargĂ© de la chasse. « 

8. Dans ce cadre, les arrĂȘtĂ©s attaquĂ©s prĂ©cisent que :  » la chasse pratiquĂ©e aux moyens de pantes permet de capturer vivantes, sous le contrĂŽle permanent rĂ©gulier du chasseur, les alouettes des champs sans leur causer de dommages corporels ; qu’elle Ă©carte ainsi, au mĂȘme titre que le tir, les risques prĂ©lĂšvements accidentels, et Ă©vite au demeurant tout risque de blessure, lĂ©tale ou non, des oiseaux ; qu’elle permet Ă  des chasseurs, soucieux de maintenir vivant leur patrimoine culturel et ne souhaitant pas pratiquer la chasse Ă  tir, de poursuivre une activitĂ© cynĂ©gĂ©tique grĂące Ă  un mode de chasse artisanal, moins bruyant et plus respectueux de l’environnement ; que ce mode de chasse rĂ©pond aux aspirations de la sociĂ©tĂ© française tendant Ă  accroitre la sĂ©curitĂ© des personnes prĂ©sentes lors des actions de chasse et favorise un cohabitation harmonieuse des chasseurs et des promeneurs ; qu’ainsi, si la chasse Ă  tir est une alternative Ă  la chasse aux moyens de pantes elle ne saurait constituer une alternative  » satisfaisante  » au sens de l’article 9 de la directive  » Oiseaux  » ; que par ailleurs, compte tenu de la finalitĂ© de cette technique de chasse, l’Ă©levage en captivitĂ© ne constitue pas davantage une alternative  » satisfaisante  » au regard de l’objectif de protection des oiseaux poursuivi par la directive « .

9. Si la ministre chargĂ©e de la chasse soutient qu’il n’existe aucune solution alternative satisfaisante Ă  l’emploi de pantes pour la capture de l’alouette des champs, il ressort des piĂšces des dossiers que le motif de la dĂ©rogation prĂ©vue par le dispositif rĂ©glementaire rĂ©side principalement dans l’objectif de prĂ©server l’utilisation d’un mode de chasse constituant une pratique traditionnelle qui, ainsi que l’a jugĂ© la Cour de justice de l’Union europĂ©enne, ne saurait Ă  lui seul justifier de l’absence d’autre solution satisfaisante au sens de l’article 9 de la directive du 30 novembre 2009 prĂ©citĂ©e. Par ailleurs, s’agissant d’un procĂ©dĂ© de chasse essentiellement vivrier, elle n’Ă©tablit pas que, d’une part, l’Ă©levage pratiquĂ© dans les conditions prĂ©vues par les textes applicables qui ont notamment pour objet de garantir le bien-ĂȘtre animal, d’autre part, la chasse Ă  tir pratiquĂ©e dans les conditions prĂ©vues par les textes qui ont notamment pour objet d’assurer la sĂ©curitĂ© des pratiquants comme des riverains et qui, constitue un mode de chasse autorisĂ© par l’article 7 de la directive et l’article L. 424-4 du code de l’environnement pris pour sa transposition, ne seraient pas susceptibles de constituer une solution alternative satisfaisante.

10. Il suit de lĂ  que les arrĂȘtĂ©s attaquĂ©s, pris pour l’application de l’arrĂȘtĂ© du 17 aoĂ»t 1989 relatif Ă  la capture de l’alouette des champs au moyen de pantes dans les dĂ©partements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des PyrĂ©nĂ©es Atlantiques pour la campagne 2021-2022, doivent ĂȘtre regardĂ©s comme mĂ©connaissant les objectifs de l’article 9 de la directive du 30 novembre 2009.

11. Il rĂ©sulte de tout ce qui prĂ©cĂšde, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requĂȘtes, que les associations requĂ©rantes sont fondĂ©es Ă  demander l’annulation des arrĂȘtĂ©s du 12 octobre 2021 qu’elles attaquent.

Sur les conclusions prĂ©sentĂ©es au titre de l’article L. 911-1 du code de justice administrative :

12. L’annulation des arrĂȘtĂ©s du 12 octobre 2021 attaquĂ©s n’implique, par elle-mĂȘme, pas nĂ©cessairement l’abrogation de l’arrĂȘtĂ© du 17 aoĂ»t 1989 relatif Ă  la capture de l’alouette des champs au moyen de pantes dans les dĂ©partements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques. Par suite, les conclusions tendant Ă  ce qu’il soit enjoint au ministre d’abroger ce dernier arrĂȘtĂ© ne peuvent qu’ĂȘtre rejetĂ©es.

Sur les conclusions tendant Ă  l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espĂšce de mettre Ă  la charge de l’Etat la somme de 1 500 euros Ă  verser, d’une part, Ă  l’association One Voice, d’autre part, Ă  la Ligue française pour la protection des oiseaux.

D E C I D E :

Article 1er : Les interventions de la Fédération nationale des chasseurs, de la Fédération départementale des chasseurs de la Gironde, de la Fédération départementale des chasseurs des Landes, de la Fédération des chasseurs du Lot-et-Garonne et de la Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques sont admises.
Article 2 : Les arrĂȘtĂ©s du 12 octobre 2021 de la ministre de la transition Ă©cologique relatifs Ă  la capture de l’alouette des champs au moyen de pantes dans les dĂ©partements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des PyrĂ©nĂ©es-Atlantiques pour la campagne 2021-2022 sont annulĂ©s.
Article 3 : L’Etat versera une somme de 1 500 euros Ă  l’association One Voice et Ă  la Ligue française pour la protection des oiseaux au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requĂȘtes est rejetĂ©.
Article 5 : La prĂ©sente dĂ©cision sera notifiĂ©e Ă  l’association One Voice, Ă  la Ligue française pour la protection des oiseaux, Ă  la FĂ©dĂ©ration nationale des chasseurs, premiĂšre intervenante dĂ©nommĂ©e et au ministre de la transition Ă©cologique et de la cohĂ©sion des territoires.