Au sommaire :
Références
NOR : IOMD2333080D
ELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2023/12/6/IOMD2333080D/jo/texte
Source : JORF n°0283 du 7 décembre 2023, texte n° 10
En-tête
Le Président de la République,
Sur le rapport de la Première ministre et du ministre de l’intérieur et des outre-mer,
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 10 et 11 ;
Vu le code des relations entre le public et l’administration, notamment ses articles L. 121-1 et L. 121-2 ;
Vu le code de la sécurité intérieure, notamment les 1° et 6° de l’article L. 212-1 et l’article L. 212-1-1 ;
Vu le courrier du 31 août 2023, notifié par voie administrative le 1er septembre 2023, par lequel M. A, dirigeant du groupement de fait « Division Martel », a été, d’une part, informé de l’intention du Gouvernement de procéder à la dissolution de ce groupement de fait et, d’autre part, invité à présenter ses observations dans un délai de dix jours à compter de cette notification ;
Vu le courriel reçu le 3 septembre 2023 par lequel le groupement de fait « Division Martel » a fait valoir ses observations écrites par l’intermédiaire de son dirigeant ;
Considérants
Considérant qu’aux termes de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens […] ; 6° Ou qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; […] » ; qu’en application de l’article L. 212-1-1 du même code : « Pour l’application de l’article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l’association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient » ;
Considérant que le groupement de fait « Division Martel », initialement connu sous l’appellation « Légionnaires Paris », s’est constitué au cours du second semestre 2022 ; qu’il est dirigé par M. A et est composé d’une trentaine de membres domiciliés principalement dans la région de l’Ile-de-France et dans quelques autres départements (Aisne, Isère, Yonne) ; qu’il a modifié son nom en septembre 2022 pour faire référence à la bataille de Poitiers en l’an 732 au cours de laquelle Charles Martel mit fin à l’invasion arabe ; qu’il a adopté pour emblème une croix celtique blanche sur fond noir avec les inscriptions « Division Martel » et « ambiance 732 », symboles utilisés par de nombreux mouvements d’ultra-droite ; qu’il diffuse sous ce nom via les réseaux sociaux connus de la mouvance d’ultra-droite, telles que les chaînes Telegram Ouest Casual ou Telegram FR DETER, qui servent d’une part à revendiquer des actions ultra-nationalistes et à provoquer leurs adversaires antifascistes et, d’autre part, à diffuser les actualités nationalistes et hooligans européennes ; qu’il y a lieu dès lors de qualifier la « Division Martel » de groupement de fait au sens de l’article L. 212-1 du CSI ;
Considérant en premier lieu que la « Division Martel » privilégie et assume de manière récurrente un discours, suivi d’effets, engageant ses partisans et membres à mener, par la violence, un combat contre les antifas et les personnes issues de l’immigration ou présumées musulmanes, et à promouvoir le recours à la violence pour favoriser l’avènement d’une suprématie nationaliste et xénophobe ; que, comme l’illustre le mot d’ordre : « Entrainez-vous ensemble et cassez des gueules » publié par l’un de ses membres le 12 novembre 2022, le groupement organise des entrainements au combat à destination de ses membres et promeut l’utilisation d’armes blanches dans les confrontations qu’il encourage ; qu’en particulier, il promeut, participe, organise et revendique des agissements violents contre deux cibles principales ;
Considérant d’une part, que les confrontations violentes avec les militants antifascistes sont présentées comme un rite de passage par l’un des membres du groupement, utilisant le pseudonyme de Vlad sur la chaîne Telegram FR DETER, sur laquelle il a déclaré le 20 octobre 2022 qu’« Avant de rentrer dans un groupe il faut faire ses preuves. Participer à des tabassages d’anti fa par exemple » ; que l’exaltation et la promotion de ces violences se traduisent par la publication de photographies de groupes d’hommes aux visages floutés et vêtus de noir, notamment celle du 26 octobre 2022 intitulée « Division Martel X Vandal Besak recherche des antifas » ; que des membres de ce groupement ont cherché à plusieurs reprises l’affrontement avec les militants antifascistes ; qu’ainsi, ils se sont rendus dans un bar de la mouvance antifasciste le 3 septembre 2022 et lors de la manifestation « Septembre Noir » à l’appel des Gilets Jaunes le 10 septembre 2022 où des militants de cette mouvance étaient attendus ; que, le 16 septembre 2022, ils se sont également rendus à proximité du centre Pierre Mendès-France-Tolbiac à Paris, lieu connu de la mouvance antifasciste, et ont été contrôlés par les forces de l’ordre alors qu’ils étaient porteurs de cagoules et de gants coqués, équipements qui ne laissent aucun doute sur leurs intentions violentes ; que cette action a fait l’objet d’une publication sur Telegram Ouest Casual mettant en scène des individus aux visages floutés, montrant leurs muscles, avec une mention en anglais signifiant « Division Martel (nouvelle équipe de jeunes nationalistes) chassant les antifas » ; que par une publication du 8 janvier 2023, le groupement revendiquait un « ratissage » des militants antifascistes dans les rues de la capitale ; que cette provocation à des agissements violents a notamment été suivie d’effets par l’agression, le 11 mai 2023, d’un individu, présenté comme un militant antifa, action violente que les trois membres du groupement impliqués ont revendiquée le 12 mai 2023 sur Telegram Ouest Casual ;
Considérant d’autre part, que la « Division Martel », sous couvert de dénoncer ce qu’il présente comme une menace pour la société française, tient un discours ouvertement hostile et violent à l’encontre des personnes musulmanes ou issues de l’immigration ; que cette idéologie se traduit par une recherche permanente de confrontation se matérialisant par l’organisation d’opérations punitives à l’encontre de ces personnes ; qu’ainsi, un membre du groupement a été interpellé et placé en garde à vue, le 3 septembre 2022, pour port d’armes de catégorie C, en l’espèce une matraque et une bombe lacrymogène, en marge d’une manifestation de soutien à l’imam Iquioussen à Paris ; que dans le cadre d’un week-end de cohésion du groupe en Normandie, une « chasse aux dealers », a été organisée le 9 octobre 2022 au soir, dans les rues d’Evreux (Eure) et revendiquée par une courte vidéo sur Telegram Ouest Casual ; qu’un membre de la « Division Martel » a incité en octobre et novembre 2022 ses interlocuteurs à monter des équipes pour se livrer à des « ratonnades » contre les personnes d’origine maghrébine surnommées les « gnouls » afin de « faire changer la peur de camp », ; que le 14 décembre 2022, à l’occasion du match France-Maroc de la coupe du monde de football, un membre du groupement a appelé à commettre des violences à l’encontre des supporters d’origine maghrébine, en préconisant aux membres du groupement : « Retrouvez-vous dans vos villes en groupes, et affrontez l’ennemi en étant matosé, gazeuse, mattraque, gants coqués… » ; qu’à cette occasion, trois membres du groupement ont été interpellés et placés en garde à vue pour participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences et port d’armes par destination ou de catégorie D ; que ces actions belliqueuses se sont poursuivies en 2023, notamment le 20 avril lors d’une action de déblocage d’un lycée dans le contexte de l’opposition à la réforme des retraites qui a conduit trois membres du groupement à être placés en garde à vue le 13 juin 2023 pour violences volontaires ayant entraîné une incapacité inférieure à huit jours, avec préméditation, en réunion, aux abords d’un établissement scolaire, avec usage ou menace d’une arme, par personne dissimulant son visage et à raison de l’appartenance vraie ou supposée de la victime à une ethnie ou une prétendue race et à être placés sous contrôle judiciaire pour deux d’entre eux dans l’attente d’une audience prévue le 7 mai 2024 ; que le 17 juin 2023, un autre membre de la « Division Martel » a été interpellé à Rouen alors qu’il aspergeait de gaz lacrymogène deux personnes de type africain attablées dans un bar, action de groupe préméditée par la mouvance d’ultra-droite désireuse de cibler des personnes d’origine extra-européenne ou des antifas à l’occasion de la Grande Armada des 17 et 18 juin 2023 ; que le 25 novembre 2023, plusieurs dizaines d’individus de l’ultra-droite ont organisé une expédition punitive dans un quartier de Romans-sur-Isère (26) d’où seraient issus les responsables de la mort de Thomas PEROTTO, considérée par ces individus comme un « francocide » ; que dans la nuit du 25 au 26 novembre 2023, deux personnes liées à la « Division Martel » ont été contrôlées par les forces de police à bord du même véhicule, dont l’une d’elles est soupçonnée d’avoir contribué à la coordination sur place de cette action de l’ultra-droite ;
Considérant en second lieu que la « Division Martel », mettant notamment l’accent sur l’incompatibilité entre l’Islam et la civilisation occidentale, promeut, au travers de ses publications ainsi que des agissements et propos de ses dirigeants ou membres, une idéologie incitant à la haine, à la violence ou la discrimination des individus à raison de leur origine, de leur race ou de leur religion ; que, d’une part, le groupement propage des idées justifiant la discrimination et la haine envers les personnes étrangères ou les Français issus de l’immigration, notamment par leur assimilation à des délinquants ou des criminels ; qu’en participant à un rassemblement organisé à Paris le 20 octobre 2022, présenté comme un « hommage à la jeune Lola assassinée par une femme algérienne en situation irrégulière sur le territoire français » et ayant réuni plus de 70 militants d’ultra-droite, ses membres ont ainsi contribué à instrumentaliser un fait tragique aux fins de stigmatiser les personnes issues de l’immigration ; que la provocation à la discrimination, à la haine et à la violence contre les personnes issues de l’immigration est également ressortie des mobilisations de membres du groupement contre l’installation d’un centre d’hébergement d’urgence et d’accueil de migrants à Thierval-Grignon (Yvelines) ou contre l’installation d’un centre d’accueil de demandeurs d’asile à Saint-Brévin-les-Pins (Loire Atlantique) ; que d’autre part, ainsi qu’il a été dit au paragraphe précédent, des membres du groupement se livrent régulièrement à des violences ou à des appels à la violence à l’encontre des personnes issues de l’immigration ; qu’en particulier, l’un de ces membres a tenu à maintes reprises sur le fil de discussion de la chaîne Telegram FR DETER, sans recevoir de contradiction, des propos racistes et haineux contre ces personnes, en les assimilant notamment à des animaux, et soutenu avec virulence le recours à la violence ou à des traitements inhumains et dégradants à leur encontre ;
Considérant que l’ensemble des agissements précités, commis par les membres du groupement, relayés sur les réseaux sociaux et nullement condamnés ni modérés nonobstant les réactions que suscitent ces publications, doivent être regardés comme imputables à ce groupement, au sens de l’article L. 212-1-1 précité ; que par suite, il y a lieu de prononcer la dissolution du groupement de fait « Division Martel » sur le fondement des 1° et 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;
Le conseil des ministres entendu,
Décrète :
Article 1
Le groupement de fait « Division Martel » est dissous.
Article 2
La Première ministre et le ministre de l’intérieur et des outre-mer sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de l’application du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.
Date et signature(s)
Fait le 6 décembre 2023.
Emmanuel Macron
Par le Président de la République :
La Première ministre,
Élisabeth Borne
Le ministre de l’intérieur et des outre-mer,
Gérald Darmanin
Nota. – L’identité des personnes mentionnées dans les motifs du présent décret figure dans le texte intégral du décret notifié aux représentants du groupement de fait dissout.