🟦 Décret du 1er février 2023 portant dissolution d’un groupement de fait (Bordeaux nationaliste)

Références

NOR : IOMD2303158D
ELI : https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2023/2/1/IOMD2303158D/jo/texte
Source : JORF n°0028 du 2 février 2023, texte n° 9

En-tête

Le Président de la République,
Sur le rapport de la Première ministre et du ministre de l’intérieur et des outre-mer,
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 10 et 11 ;
Vu le code des relations entre le public et l’administration, notamment ses articles L. 121-1 et L. 121-2 ;
Vu le code de la sécurité intérieure, notamment les 1°, 5° et 6° de l’article L. 212-1 et l’article L. 212-1-1 ;
Vu le courrier du 10 janvier 2023, notifié par voie administrative le même jour, par lequel X, dirigeant du groupement de fait « Bordeaux Nationaliste » a été, d’une part, informé de l’intention du Gouvernement de procéder à la dissolution de ce groupement de fait et, d’autre part, invité à présenter ses observations dans un délai de dix jours à compter de cette notification ;
Vu le courriel reçu le 15 janvier 2023 par lequel le groupement de fait « Bordeaux Nationaliste » a fait valoir ses observations écrites par l’intermédiaire de son dirigeant ;

Considérants

Considérant qu’aux termes de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure : « Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : 1° Qui provoquent à des manifestations armées ou à des agissements violents à l’encontre des personnes ou des biens ; […] 5° Ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ; 6° Ou qui, soit provoquent ou contribuent par leurs agissements et à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ; […] » ; qu’en application de l’article L. 212-1-1 du même code, « Pour l’application de l’article L. 212-1, sont imputables à une association ou à un groupement de fait les agissements mentionnés au même article L. 212-1 commis par un ou plusieurs de leurs membres agissant en cette qualité ou directement liés aux activités de l’association ou du groupement, dès lors que leurs dirigeants, bien qu’informés de ces agissements, se sont abstenus de prendre les mesures nécessaires pour les faire cesser, compte tenu des moyens dont ils disposaient » ;

Considérant que le groupement de fait « Bordeaux nationaliste » dirigé par X et Y, s’identifie au travers de sa dénomination et de son logo présent sur les stickers et affiches placardés dans les lieux publics, et sur les publications en ligne du groupement ; que les membres du groupement s’identifient également par des vêtements distinctifs (tee-shirts floqués « Bordeaux Nationaliste » et autres objets promotionnels) et se réunissent dans un local, la « Taverne du Menhir », dans lequel ses dirigeants organisent pour le compte du groupement des soirées de cohésion visant au renforcement des liens entre les ultra-nationalistes régionaux ; que le groupement dispose de pages régulièrement alimentées sur les réseaux sociaux qui font figure de vitrine de son action et de son idéologie ; qu’il bénéficie par ailleurs d’une reconnaissance de la part d’autres entités d’ultra-droite à travers le territoire national ; que l’ensemble de ces éléments permet ainsi d’établir l’existence d’un groupement de fait au sens de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;

Considérant en premier lieu que les membres du groupement de fait Bordeaux nationaliste sont impliqués de manière récurrente dans des faits de violence en réunion et de dégradations qu’aucun des dirigeants de l’association ne condamne ; qu’au contraire, X publie des messages sur les réseaux sociaux du groupement encourageant à ces agissements violents qu’il légitime au titre de l’autodéfense ; qu’à titre d’illustration, le 31 juillet 2021, de nouvelles violences ont eu lieu impliquant les membres de ce groupement, dont une dizaine a été placée en garde-à-vue ; que ceux-ci ont revendiqué, sur Instagram, « une bonne raclée pour quelques antifas venus nous attaquer dans le dos » ; que le 11 septembre 2021, au cours de l’après-midi, plusieurs rixes ont fait 23 blessés parmi les militants antifascistes et une banderole a été dérobée aux militants d’ultra-gauche par les nationalistes qui ont exhibé leur « trophée » sur les réseaux sociaux, notamment la page Instagram de Bordeaux Nationaliste, revendiquant et assumant ainsi l’implication du groupement dans ces violences ; que le 5 février 2022, alors qu’ils entendaient commémorer la manifestation parisienne du 6 février 1934, les militants du groupement Bordeaux nationaliste, dont l’un de ses dirigeants, Y, se confrontaient violemment à des militants de la mouvance antifasciste, X fonçant délibérément, au volant de son véhicule, en direction du groupe d’antifascistes, renversant et blessant l’un d’eux ; que le 27 août 2022, en marge du match opposant le Valenciennes Football Club à l’Association Sportive Saint-Etienne, un groupe de quinze supporters violents, dont cinq membres du groupement Bordeaux Nationaliste, tentait d’attaquer un supporter adverse ;

Considérant d’autre part que le groupement Bordeaux Nationaliste déploie une stratégie de recrutement de nouveaux membres en exaltant le recours à la violence ; que ce groupement revendique son droit à l’autodéfense et organise, dans cet objectif et depuis le 5 octobre 2020, des entraînements de boxe au profit de ses membres et sympathisants, dont il assure la promotion en diffusant des photos sur ses réseaux sociaux ; qu’il apporte également un soutien à financier à des personnes de la mouvance d’ultra-droite condamnées ou poursuivies pour des faits de meurtre ou d’agression physique ;

Considérant en deuxième lieu, que pour promouvoir son réseau et son image, le groupement de fait Bordeaux nationaliste organise régulièrement des rassemblements en hommage ou en soutien à des groupes d’ultra-droite en difficulté, ou à des personnalités emblématiques de la collaboration ; que le mois de février est traditionnellement marqué par les hommages rendus aux morts des émeutes du 6 février 1934 et à Robert BRASILLACH, condamné pour intelligence avec l’ennemi, fusillé le 6 février 1945 et qualifié de « poète » par les nationalistes bordelais ; qu’à titre d’exemple, le 28 janvier 2020, après avoir lancé un appel au rassemblement sur sa page Facebook, le groupuscule a défilé sur la voie publique le 6 février 2020, à l’occasion du double hommage rendu à Robert BRASILLACH et aux militants nationalistes tués lors des émeutes du 6 février 1934, défilé dont il a fait la promotion au moyen d’une vidéo postée sur les réseaux sociaux ; que le 6 septembre 2020, « Bordeaux Nationaliste » rendait hommage à Pierre SIDOS, ancien milicien condamné aux travaux forcés ; que ce même jour, est mis en ligne le message suivant sur la page Facebook du groupement : « Jeunesse au cœur de feu qui porte la flamme de la révolte #BordeauxNationaliste » accompagné d’une vidéo dans laquelle le groupuscule rend hommage à Robert BRASILLACH, François DUPRAT, adepte des thèses négationnistes, et Robert FAURISSON, antisémite, proche des milieux d’extrême droite, voire néonazis, condamné à plusieurs reprises pour « incitation à la haine raciale » et « contestation de crime contre l’humanité » ; que l’hommage à Robert BRASSILLACH a été renouvelé depuis le compte Facebook du groupement les 6 février et 11 février 2022, ce dernier étant par ailleurs accompagné d’un message incitant à l’insurrection ; qu’enfin, la symbolique choisie par le groupement témoigne de son ancrage idéologique en ce qu’elle reprend le soleil noir, adopté par le régime nazi puis par de nombreux groupes d’ultra-droite ; que par suite, ces agissements et publications permettent de regarder le groupement comme ayant pour but […] d’exalter la collaboration avec l’ennemi au sens du 5° de l’article L. 212-1 précité ;

Considérant en dernier lieu, que ce groupement promeut une idéologie xénophobe et témoigne de sa proximité avec des personnes ou des structures connues pour leur antisémitisme et leur négationnisme ; que la symbolique choisie par le groupement contient la croix celtique, symbole utilisé par de nombreuses organisations suprémacistes, ou encore, la gestuelle raciste « crossed hammers » observée sur la tenue des membres ;

Considérant ainsi que, afin d’établir un lien entre immigration et insécurité ou risque terroriste, le groupement de fait « Bordeaux nationaliste » sélectionne des faits divers relayés sur les réseaux sociaux, en mettant systématiquement en exergue les origines étrangères des mis en cause, créant ainsi un amalgame ; qu’ainsi, à titre d’illustration, le 19 mai 2020, puis les 11 juillet, 10 et 19 août 2021, un hommage a été rendu à Tommie LINDH, « victime de l’immigration », poignardé par « un migrant soudanais [après s’être] opposé au viol d’une jeune fille » ; que le visuel comporte la rune Algiz, reprise dans la symbolique nazie ; qu’en avril 2020, une banderole affichait « Clandestins aujourd’hui, terroristes demain ? » ; que la diffusion de tels messages entraîne des commentaires racistes et justifiant la violence envers les étrangers, publiés sur les réseaux sociaux du groupement et non modérés ; qu’à titre d’illustration parmi de très nombreux exemples, le 24 août 2020, le site du groupement « Bordeaux Nationaliste » a publié le message suivant : « Il y a des Français qui ne se rendent pas : Vendredi 21 août Augustin, 17 ans, se lance au secours de deux jeunes filles qui étaient en train de se faire agresser par cinq racailles colorées. L’adolescent est encore à l’hôpital. […] Les agresseurs sont toujours les mêmes. Une seule solution, la remigration. #BordeauxNationaliste #OnVeutLesNoms #WhiteLivesMatter » ; que ce message a généré les commentaires suivants : « je suis prêt car il y en à mare la » et « à quand la création de milice anti racaille ? » ; que le 6 novembre 2021, le groupement publie sur sa page Facebook : « Insécurité à Bordeaux : « que les jeunes rentrent chez eux [émoticônes avion, bateau et dromadaire] » ayant généré la publication d’un commentaire à connotation raciste : « Oh tiens s est marrant encore un finlandais » ;

Considérant en outre que cette dénonciation de l’insécurité s’accompagne d’une défense des théories suprémacistes blanches, illustrée par la campagne « White Lives Matter », menée par les militants dès 2020 ; que de nombreux stickers « It’s ok to be White #Whitelivesmatter » ont été apposés par les militants, puis relayés sur les réseaux sociaux ; que de même, les actions menées par le groupement Bordeaux Nationalistes, telles que les maraudes, font la promotion d’un principe de préférence nationale, en affichant le slogan « Les nôtres avant les autres » ;

Considérant enfin que le groupement « Bordeaux Nationaliste » apporte son soutien à des associations et groupements de fait de la mouvance ultra-droite ayant fait l’objet de mesures de dissolution ainsi qu’à des auteurs antisémites et négationnistes, démontrant ainsi sa proximité avec leur idéologie ; qu’à titre d’illustration, le 20 janvier 2020, les nationalistes bordelais ont revendiqué leur présence aux côtés d’un groupuscule parisien de même obédience, Les Zouaves, dissous par décret pris en conseil des ministres le 5 janvier 2022 ; que de même, le groupement Bordeaux Nationaliste a apporté, de manière répétée, son soutien à l’association

Génération Identitaire sous le coup d’un mesure de dissolution pour incitation à la haine, à la discrimination et à la violence finalement intervenue par décret du 3 mars 2021, ou au dirigeant du groupement L’Alvarium, Jean-Eudes GANNAT, « candidat nationaliste aux législatives partielles de Saumur Nord. Candidat à soutenir » en publiant ses interviews, y compris lorsqu’elles font l’apologie de la lutte violente et jusqu’à « la mort », pour s’opposer à un projet immobilier qui serait selon lui occupé in fine par des immigrés ; que le groupement, fait la promotion ou rend hommage ou apporte également son soutien à des auteurs antisémites et négationnistes, tels que Alain SORAL, Maurice BARDECHE, Robert FAURISSON, Julius EVOLA ou Hervé RYSSEN incarcéré pour contestation de crime contre l’humanité, diffamation et provocation à la haine et qu’il qualifie de « prisonnier politique » ;

Considérant que l’ensemble de ces prises de position et publications permettent, par leur teneur et les réactions qu’elles suscitent, de regarder l’association comme provoquant (…) à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence » au sens du 6° de l’article L. 212-1 précité ;

Considérant qu’au regard de l’ensemble des agissements précités, commis par les membres du groupement, relayés par ses réseaux sociaux et nullement condamnés ni modérés nonobstant les commentaires que suscitent ces publications, doivent être regardés comme imputables à ce groupement, au sens de l’article L. 212-1-1 précité ; que par suite, il y a lieu de prononcer la dissolution du groupement de fait Bordeaux Nationaliste sur les fondements des 1°, 5° et 6° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ;

Le conseil des ministres entendu,
Décrète :

Article 1

Le groupement de fait « Bordeaux Nationaliste » est dissous.

Article 2

La Première ministre et le ministre de l’intérieur et des outre-mer sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de l’application du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

Date et signature(s)

Fait le 1er février 2023.

Emmanuel Macron
Par le Président de la République :

La Première ministre,
Élisabeth Borne

Le ministre de l’intérieur et des outre-mer,
Gérald Darmanin

Nota. – L’identité des personnes mentionnées dans les motifs du présent décret figure dans le texte intégral du décret notifié aux représentants de l’association dissoute.