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Références
NOR : CDHX2333317X
Source : JORF n°0283 du 7 décembre 2023, texte n° 117
Article
Assemblée plénière du 30 novembre 2023
Adoption à 35 voix pour, 3 voix contre et 1 abstention
1. Le droit international humanitaire n’est ni une promesse ni une œuvre de charité, mais un corpus juridique qui engage toutes les parties au conflit à le respecter et tous les Etats du monde à le faire respecter. Il fixe les droits et obligations des parties au conflit. Il est fondé sur le principe d’humanité.
2. Alors que depuis les attaques perpétrées par le Hamas le matin du 7 octobre 2023 et les opérations militaires israéliennes qui s’en sont suivies, les pertes civiles dans le territoire palestinien occupé et en Israël atteignent une ampleur sans précédent, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), en tant que commission nationale de mise en œuvre du droit international humanitaire, souhaite apporter un éclairage au débat public en rappelant certaines règles fondamentales du droit international humanitaire, droit applicable lors des conflits armés. Par ailleurs, la CNCDH exerce une vigilance continue quant aux répercussions du conflit dans la société française, notamment en tant que rapporteur national indépendant sur la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie.
Application du droit international humanitaire
3. Les affrontements entre l’armée d’occupation et les groupes armés présents dans le territoire palestinien ou des pays voisins sont récurrents et ont conduit à de nombreuses violations du droit international humanitaire. Les attaques perpétrées par le Hamas le 7 octobre, en raison de leur ampleur et parce qu’il est évident qu’elles avaient pour but de semer la terreur parmi la population civile, de même que l’escalade de la violence qui s’en est suivie dans la bande de Gaza mais également en Cisjordanie en raison de la réponse apportée par Israël, justifient de revenir sur certains fondamentaux du droit international humanitaire.
Fonction du droit international humanitaire
4. Le droit international humanitaire s’applique dans tout conflit armé quelle qu’en soit la cause et ses règles fondamentales s’appliquent indistinctement quelle que soit la qualification du conflit. De même, le droit international humanitaire reposant sur le principe de l’égalité des belligérants, il doit être respecté par toutes les parties au conflit. Aucun motif ni aucune circonstance ne peut justifier qu’il soit bafoué.
Règles fondamentales du droit international humanitaire
5. La CNCDH souhaite rappeler certaines règles fondamentales du droit international humanitaire relatives à la protection des personnes et à la conduite des hostilités, en particulier la protection spéciale accordée aux hôpitaux, les spécificités liées au siège et le droit à l’assistance humanitaire.
Protection des personnes
6. Le droit international humanitaire interdit sans équivoque et de manière absolue le meurtre sous toutes ses formes, les prises d’otages, les traitements inhumains ou dégradants, et la torture. Dès lors que des personnes se trouvent au pouvoir de l’ennemi elles doivent être traitées avec humanité et leur dignité doit être respectée. Toute personne dont la capture n’est pas justifiée par des raisons de sécurité ou par des motifs liés à l’engagement de poursuites pénales doit être immédiatement libérée.
7. Les personnes blessées doivent être prises en charge et soignées. Si la partie au pouvoir de laquelle elles se trouvent n’est pas en mesure de leur prodiguer les soins dont elles ont besoin, elle doit les remettre à une autorité en mesure de le faire. Les morts doivent être identifiés et enregistrés et une sépulture, même temporaire, doit leur être offerte. Les corps doivent être respectés et il ne doit pas être porté atteinte à leur intégrité. Les proches qui sont sans nouvelles de personnes – soit parce qu’elles ont été capturées, soit parce qu’elles sont décédées – ont le droit de savoir ce qu’il est advenu de leur sort. De même, lorsque les membres d’une même famille ont été séparés en raison des hostilités, ceux-ci ont droit au rétablissement de leurs liens familiaux.
8. Si les évacuations de personnes civiles sont autorisées, le transfert forcé de population est en revanche interdit. Le transfert forcé de population consiste à obliger des personnes à quitter contre leur gré leur résidence habituelle alors qu’il n’existe aucune justification valable aux termes du droit international humanitaire. Les évacuations consistent à amener des personnes à quitter temporairement une zone pour une autre, afin de les protéger des effets des hostilités. Il ne peut être procédé à des évacuations que si la sécurité de la population ou d’impérieuses raisons militaires l’exigent. En outre, en cas d’évacuation toutes les mesures possibles doivent être prises afin que les personnes civiles soient accueillies dans des conditions satisfaisantes notamment de logement, d’hygiène, de salubrité, de sécurité et d’alimentation. Enfin, une personne qui ne souhaiterait pas évacuer ne peut être contrainte de le faire et les personnes qui auront fait l’objet d’une évacuation doivent être ramenées dans leurs foyers aussitôt que les hostilités dans le secteur dont elles auront été évacuées auront pris fin.
Conduite des hostilités
9. Les parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre civils et combattants. Les attaques ne peuvent être dirigées que contre des combattants. Les attaques ne doivent pas être dirigées contre des civils. Les dispositions relatives à la conduite des hostilités en droit international humanitaire peuvent être résumées en trois règles cardinales : distinction, proportionnalité et précautions. En ce qui concerne la distinction entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires, ces derniers sont limités aux biens qui par leur nature, ou en raison de leur utilisation ou de leur emplacement apportent une contribution effective à l’action militaire d’une partie au conflit et dont la destruction, totale ou partielle, ou la neutralisation offre à l’ennemi un avantage militaire précis. Toute attaque contre un bien qui ne répond pas à cette définition est interdite.
10. En outre, lorsqu’une attaque est menée contre un objectif militaire, celui qui mène l’attaque doit respecter la règle relative à la proportionnalité, selon laquelle il est interdit de lancer une attaque dont on peut s’attendre qu’elle cause incidemment des dommages aux biens de caractère civil ou à la population civile qui seraient excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu. Afin de mettre en œuvre cette règle, l’attaquant doit prendre toutes les mesures de précautions pratiquement possibles quant au choix des moyens et méthodes d’attaque, afin d’éviter ou en tout cas de réduire au minimum les dommages qui pourraient être causés aux biens de caractère civil ou à la population civile. De même, celui qui subit l’attaque doit adopter des mesures de précautions passives, c’est-à-dire qu’il doit, dans toute la mesure du possible, s’abstenir d’utiliser des biens de caractère civil pour s’y établir ou de les utiliser pour y mener ses opérations militaires.
Protection spéciale accordée aux hôpitaux
11. En plus de ces règles applicables en toutes circonstances lors d’un conflit armé, certains biens de caractère civil, tels que les hôpitaux, jouissent d’une protection spéciale en droit international humanitaire. En ce qui concerne les structures médicales et leurs personnels en particulier cela signifie qu’ils doivent être respectés et protégés en tout temps. Le fonctionnement des hôpitaux ne devrait donc jamais être entravé. Au contraire, tout devrait être mis en œuvre pour faciliter leurs activités. Un hôpital ne peut perdre sa protection que s’il devient un objectif militaire et s’il est utilisé pour commettre un acte nuisible à l’ennemi. Toutefois, même dans ce cas, compte tenu des activités qui y sont menées et de la concentration de civils qui s’y trouvent, les dommages que provoquerait une attaque menée contre un hôpital seraient immanquablement disproportionnés rendant cette attaque illicite.
Spécificités liées au siège
12. Le siège n’est pas une méthode de guerre interdite en tant que telle, sauf s’il a pour objet de soumettre la population civile à des représailles ou à une punition collective. Quoi qu’il en soit, ses conséquences conduisent presque invariablement à des violations du droit international humanitaire. En effet, le siège a pour but de restreindre, voire d’interdire, tout mouvement de biens et de populations sur un territoire donné afin de contraindre l’adversaire à se rendre. Or, premièrement, la population civile affectée par un conflit armé a le droit de quitter le territoire sur lequel elle se trouve, si elle craint pour sa sécurité. Lorsque toute entrée ou sortie de personnes est interdite, la population civile se trouve donc piégée au milieu des hostilités, la mettant gravement en danger alors que le droit international humanitaire prévoit que les parties au conflit doivent tout faire pour réduire au minimum les conséquences des conflits armés à l’égard des personnes et des biens de caractère civil. De même, le fait que des personnes ne quittent pas une zone de danger, soit parce qu’elles ne le souhaitent pas, soit parce qu’elles ne le peuvent pas, ne devrait jamais conduire à considérer qu’elles deviennent une cible licite d’attaque. Les personnes civiles qui s’abstiennent de participer aux hostilités ne doivent jamais être prises pour cible. Deuxièmement, empêcher l’acheminement d’eau et de nourriture et prendre pour cible les biens indispensables à la survie de la population sur l’ensemble d’un territoire donné conduit à ce que la population civile soit insuffisamment approvisionnée. Or, la famine comme méthode de guerre est strictement interdite par le droit international humanitaire. Troisièmement, procéder à des coupures d’électricité prolongées ou refuser que du fioul entre sur le territoire conduit inévitablement à ce que des structures médicales ne puissent plus fonctionner : les blocs opératoires ne peuvent plus être utilisés, les personnes nécessitant une assistance respiratoire peuvent se voir privées d’oxygène, etc. Quatrièmement, lorsque des « couloirs humanitaires » sont ouverts, ceux-ci doivent demeurer strictement réservés au passage de biens et de personnes civils et aucun obstacle ne doit être mis à leur utilisation.
Assistance humanitaire
13. Afin de donner effectivité à la protection qu’il offre à la population civile, le droit international humanitaire contient des règles relatives à l’assistance humanitaire qui est un droit pour les personnes civiles affectées par les conflits armés. Les parties au conflit ont donc l’obligation d’autoriser les opérations de secours au profit des civils. En ce qui concerne en particulier les territoires occupés, la puissance occupante doit veiller à ce que la population reçoive un approvisionnement médical et alimentaire adéquat. Si cela s’avère impossible, elle est alors tenue d’autoriser les opérations de secours, menées par des organisations humanitaires ou par des Etats tiers, et de faciliter ces opérations. Lorsque l’assistance humanitaire est à destination de la population civile, fournie de manière impartiale et qu’elle comprend matériel médical et denrées alimentaires, elle doit donc sans délai parvenir à celles et ceux qui en ont besoin. Dans cette hypothèse, les parties au conflit ne peuvent pas opposer un refus d’accès, qui serait dès lors arbitraire, aux organismes humanitaires. Corollaire du droit de la population civile d’être secourue, le personnel humanitaire doit être respecté et protégé. Il ne doit jamais être pris pour cible. La sécurité du personnel humanitaire est un préalable essentiel à l’effectivité de l’action humanitaire (1).
14. L’ensemble de ces règles – protection des personnes, assistance humanitaire et conduite des hostilités – sont de portée universelle et constituent le socle fondamental du droit international humanitaire. Leur respect est immédiatement exigible de la part des parties au conflit et les Etats tiers doivent tout mettre en œuvre pour qu’elles soient scrupuleusement respectées par toutes les parties au conflit. En effet, aux termes de l’article 1 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 auxquelles sont parties 196 Etats, dont la France, tous les Etats du monde ont l’obligation de respecter et de faire respecter le droit international humanitaire. A cet égard, la CNCDH souhaite rappeler que l’obligation de faire respecter le droit international humanitaire revêt un caractère coutumier, et signifie notamment que tous les Etats – même ceux qui sont extérieurs à tout conflit – doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir afin de faire respecter le droit international humanitaire par ceux qui sont engagés dans un conflit armé. La CNCDH reconnaît les efforts entrepris par la France en ce sens et l’encourage à en déployer davantage. Elle souligne que, dans toutes ses relations avec des parties au conflit, la France doit continuer systématiquement de les rappeler à leurs obligations et de tout entreprendre pour prévenir ou faire cesser toute violation de ce droit. La CNCDH recommande en particulier qu’il soit rappelé aux parties au conflit la nécessité de protéger toutes les personnes ne participant pas aux hostilités, de faciliter le passage rapide et sans encombre de secours humanitaires et de tout mettre en œuvre pour respecter l’intégrité des biens de caractère civil et protéger le personnel humanitaire.
15. En outre, la CNCDH réitère que contrevenir à ces interdictions fondamentales constitue des crimes internationaux qui doivent être poursuivis tant par les juridictions nationales, lorsqu’elles sont compétentes, que par la Cour pénale internationale, déjà saisie de la situation. A cet effet, la CNCDH rappelle que la France, comme tous les Etats du monde, a l’obligation de rechercher et de poursuivre les personnes suspectées d’avoir commis ou ordonné d’avoir commis des violations de ces règles fondamentales et, le cas échéant, de les condamner.
16. La CNCDH estime que la France, qui s’est récemment dotée d’un manuel de droit des opérations militaires (2) et d’une stratégie d’influence par le droit (3), et qui dispose d’une stratégie humanitaire (4), doit montrer l’exemple et faire du respect du droit international humanitaire, fondé sur le principe d’humanité, une priorité pour garantir la protection des populations civiles. Le droit international humanitaire est plus pertinent que jamais et son respect contribue à la facilitation de la construction de la paix.
(1) CNCDH, Avis sur le respect et la protection du personnel humanitaire, assemblée plénière du 14 décembre 2020, JORF n° 0307 du 20 décembre 2020.
(2) Ministère des armées, Manuel de de droit des opérations militaires, 2022.
(3) Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ministère de la justice, Influence par le droit, Stratégie de la France 2023-2028.
(4) Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, Stratégie humanitaire de la France 2018-2022. Cette stratégie est en cours de révision.