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Références
NOR : CDHX2333324X
Source : JORF n°0283 du 7 décembre 2023, texte n° 116
Article
Assemblée plénière du 30 novembre 2023
(Adoption à l’unanimité avec deux abstentions)
1. Les débats politiques autour du projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration se font l’écho de propositions visant à modifier la Constitution, pour pouvoir s’affranchir du respect des droits de l’Homme garantis par les engagements internationaux de la France. Dans ce sens, une proposition de loi constitutionnelle, déposée le 5 juin 2023, entend notamment amender l’article 55 de la Constitution, ainsi que l’article 88-1, afin de remettre en cause la primauté des traités internationaux et du droit de l’Union européenne sur la loi. La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s’inquiète de l’ampleur prise, ces derniers mois, par ce mouvement de remise en cause des droits de l’Homme au prétexte de la politique migratoire.
2. La CNCDH s’alarme de ces projets dont le contenu comme la portée marquent une rupture avec le consensus démocratique qui s’était formé, sans discontinuité, depuis la Seconde Guerre mondiale sur l’universalité des droits de l’Homme. Ils rompent avec les principes fondamentaux des Nations unies qui reposent sur l’égale dignité et valeur des êtres humains ainsi que sur le refus d’exclure certains groupes de population, comme les personnes étrangères, du bénéfice des droits fondamentaux. A l’exception de certains droits rattachés à la citoyenneté (en particulier le droit de vote), les migrants, comme toutes les personnes, jouissent ainsi sans discrimination des droits garantis, notamment, par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) et par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966). De la même manière, l’essentiel des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme (1950) est applicable à toute personne présente sur le territoire d’un Etat partie quel que soit son statut migratoire.
3. Au-delà du message désastreux que la France enverrait au reste du monde, l’introduction dans la Constitution d’un mécanisme de dérogation au droit européen et international affranchirait la politique migratoire d’un cadre juridique connu, sûr et partagé de protection des personnes. De surcroît, cette dérogation serait permise dans les hypothèses où le « respect de l’identité constitutionnelle » ou la « sauvegarde des intérêts fondamentaux » de la France serait « en cause » : son champ d’application étant largement indéterminé, il ouvrirait la voie à toutes les tentations de recul du respect des droits de l’Homme.
4. Ainsi, la CNCDH s’interroge sur les droits fondamentaux qui pourraient être considérés comme une entrave à la politique migratoire et devraient être écartés ou appliqués plus restrictivement en violation des engagements internationaux de la France : s’agit-il, par exemple, du droit d’asile et de protection internationale des personnes victimes de guerres ou de persécutions ? Du droit de ne pas subir de traitement inhumain ou de ne pas être arrêté et détenu arbitrairement ? Du droit de ne pas être renvoyé vers un pays où l’on risque la torture ou la peine de mort ? Du droit à la vie familiale déjà soumis à de multiples conditions restrictives ? Des droits de l’enfant en traitant les enfants étrangers avant tout comme des étrangers et non comme des enfants à protéger ?
5. Ces exemples montrent au mieux l’inconséquence, au pire la gravité de cette proposition qui, en prenant le chemin de la restriction des droits fondamentaux des étrangers, remet en cause le choix opéré en 1945 d’encadrer l’action des Etats par des principes universels applicables à tous les êtres humains sans distinction. La CNCDH relève en outre que ces propositions dangereuses répondent davantage à un agenda médiatique et des considérations populistes qu’à un projet politique sérieux, tant elles s’affranchissent d’un cadre juridique international et européen auquel la France est totalement intégrée.
6. La CNCDH observe en outre que ce type de projet repose sur l’idée erronée que les traités internationaux et européens n’accorderaient aucune place aux préoccupations des Etats en matière de migration ou de sécurité. La Commission rappelle ainsi que le champ d’application du droit à la liberté de circulation est limité à l’échelle internationale : si l’article 2 du Protocole n° 4 de la CEDH énonce en son deuxième paragraphe que « toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien », les Etats et l’Union européenne conservent une large compétence pour l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers.
7. Alors que l’Europe doit répondre à des défis migratoires majeurs, qui ne cesseront pas dans les années à venir tant que les conflits, les persécutions, la pauvreté, le dérèglement climatique et le désir d’une vie meilleure seront toujours présents, la CNCDH rappelle une fois encore que la solution politique ne peut pas résider dans l’action unilatérale de la France. La question migratoire est un enjeu global, complexe et durable, qui ne trouvera de réponse qu’à l’échelle européenne et internationale, dans le respect des droits de l’Homme. Si la France ne devait plus se plier à ces règles communes, elle ne pourrait plus attendre de ses partenaires européens et internationaux qu’ils en fassent de même.
8. L’identité constitutionnelle française réside dans le respect et non dans la remise en cause de l’universalité des droits de l’Homme.