Au sommaire :
Références
NOR : CDHX2333338X
Source : JORF n°0283 du 7 décembre 2023, texte n° 115
Article
Assemblée plénière du 30 novembre 2023
(Adoption : 34 voix pour, 4 abstention, aucune voix contre)
1. La Commission nationale consultative des droits de l’homme, CNCDH, appelle l’Assemblée nationale et le Gouvernement à garantir le droit à l’accès aux soins des personnes migrantes.
2. L’AME est un dispositif visant à permettre l’accès aux soins de santé pour les personnes étrangères en situation administrative irrégulière sur le territoire français. Elle répond à des impératifs humanitaires et de santé publique en assurant une prise en charge médicale pour des personnes qui, du fait de leur statut administratif, ne bénéficient pas de la protection universelle maladie ou de l’assurance maladie.
Une grave régression des droits fondamentaux.
3. Ces dernières années, la CNCDH n’a cessé de rappeler (1) que le droit à la santé et à l’accès aux soins est un droit universel, garanti par la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l’homme, et les engagements européens et internationaux de la France. Il doit donc être garanti pour toutes les personnes présentes sur le sol français. La suppression de l’AME est en outre particulièrement problématique pour les mineurs (2).
4. La CNCDH entend rappeler que, dans les observations finales formulées le 30 octobre 2023 par le Comité sur les droits économiques, sociaux et culturels, les experts des Nations unies – forts des retours d’expérience sur la crise sanitaire de la Covid-19 – ont exhorté la France à ne pas supprimer l’AME (3). La France doit dûment prendre en compte les observations formulées par les organes des Nations unies.
5. Certains sénateurs s’appuient sur un préjugé, voulant que les étrangers viendraient en France pour profiter des protections sociales et se faire soigner. En réalité, les politiques d’accueil (4) et de santé (5) ne rentrent que très peu en compte dans le choix du pays de destination. De fait, la Commission rappelle tout d’abord que l’AME ne permet qu’un accès aux soins réduits : pour les majeurs, ils ne sont accessibles partiellement qu’après 3 mois de résidence continue sur le sol français et complètement qu’à partir de 9 mois et à condition d’avoir des revenus inférieurs à 9 041 euros pour les douze derniers mois. De plus, entre la méconnaissance de leurs droits et les obstacles administratifs, seuls 51 % des potentiels bénéficiaires y ont effectivement recours (6). Ce dispositif, déployé en 2022 au profit de 403 144 bénéficiaires, ne représentait alors que 0,43 % de la dépense totale de l’Assurance maladie (7).
Une ineptie épidémiologique.
6. L’accès aux soins des personnes migrantes est aussi un impératif de santé publique. Comme l’épidémie de Covid est venue nous le rappeler : garantir la santé des uns c’est garantir la santé de tous. C’est l’intérêt collectif que l’ensemble de la population ait accès à la prévention et aux soins pour éviter la création de foyers épidémiques et la propagation des maladies contagieuses. Cette réalité a conduit certains pays ayant supprimé leur dispositif d’aide, à l’instar de l’Espagne, à acter sa nécessité et à le rétablir (8).
Une menace supplémentaire pesant sur le système de santé.
7. Enfin, comme l’a rappelé la communauté médicale (9), la suppression de l’AME et son remplacement par un dispositif encore plus restrictif aura un impact désastreux sur l’ensemble du système de santé. En l’absence de couverture médicale, plus nombreux seront les patients à se tourner vers les services d’urgences déjà saturés et sous dotés, désorganisant davantage le système de santé. En retardant le diagnostic et la prise en charge des pathologies, cette réforme sera contreproductive car elle augmentera les coûts induits par une prise en charge plus tardive de celles-ci. La suppression de ce dispositif aura également pour conséquence de supprimer le rôle crucial des soignants de première ligne (médecins généralistes, infirmiers, dentistes…) dans la prise en charge de personnes et des problèmes de santé les plus usuels auxquels elles sont confrontées.
8. En conclusion, la CNCDH est extrêmement inquiète des conséquences humaines, sanitaires et financières prévisibles de la suppression de l’AME. Elle s’oppose à l’instrumentalisation de la santé des personnes et de leur dignité dans le débat politique. La Commission appelle les députés et le Gouvernement à reconsidérer les effets délétères de la suppression d’un dispositif qui a fait ses preuves en termes de santé publique. La CNCDH demande aux députés de s’opposer fermement au texte dans les termes votés par le Sénat.
(1) Voir notamment CNCDH, Avis sur la préservation de la santé, l’accès aux soins et les droits de l’homme, assemblée plénière du 19 janvier 2006 ; CNCDH, Avis « Agir contre les maltraitances dans le système de santé : une nécessité pour protéger les droits fondamentaux », assemblée plénière du 22 mai 2018, JORF n° 0126 du 3 juin 2018, texte n° 62 ; lettre du président de la CNCDH Jean-Marie Delarue à Edouard Philippe, Premier ministre, 7 octobre 2019.
(2) Voir par exemple : CE, 1re et 6e sous-sections réunies, décision du 7 juin 2006, n° 285576, qui rappelle que l’article 3§1 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE) de 1990, ratifiée par la France, interdit que les mineurs « connaissent des restrictions dans l’accès aux soins nécessaires à leur santé ». Voir également l’article 24 de la CIDE sur « le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation » et l’obligation des Etats parties de s’efforcer de « garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services » et « d’assurer la réalisation intégrale [de ce droit] ».
(3) Comité des droits économiques, sociaux et culturels, Observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la France, E/C.12/FRA/CO/5, 30 octobre 2023, § 50 et 51 : « Le Comité prie l’Etat partie de prendre les mesures nécessaires pour assurer que les personnes bénéficiaires de l’aide médicale de l’Etat puissent avoir un accès effectif aux services de santé et que les migrants en situation irrégulière aient accès à tous les services de santé nécessaires, sans discrimination, conformément aux articles 2 et 12 du Pacte. Le Comité renvoie l’Etat partie à son observation générale n° 14 (2000) sur le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint et à sa déclaration sur les devoirs des Etats envers les réfugiés et les migrants au titre du Pacte, de 2017 ».
(4) François Gemenne, interview pour Politis, dossier : « Réfugiés, le mythe de l’appel d’air », 27 avril 2017, disponible sous : https://www.politis.fr/articles/2017/04/francois-gemenne-la-france-terre-dasile-est-une-legende-36799/.
(5) Paul Dourgnon, Florence Jusot, Antoine Marsaudon, Jawhar Sarhiri, Jérôme Wittwer, « Immigrer pour raisons de santé : enseignements de l’enquête Premiers pas », note méthodologique, IRDES, 2019, disponible sous : https://www.irdes.fr/recherche/enquetes/premiers-pas/note-methodologique-immigrer-pour-raisons-de-sante-enseignements-de-l-enquete-premiers-pas.pdf.
(6) Florence Jusot, Paul Dourgnon, Jérôme Wittwer, Jawhar Sarhiri, « Le recours à l’Aide médicale de l’Etat des personnes en situation irrégulière en France : premiers enseignements de l’enquête Premiers pas », Questions d’économie de la santé, n° 245, novembre 2019, disponible sous : https://www.irdes.fr/recherche/questions-d-economie-de-la-sante/245-le-recours-a-l-aide-medicale-de-l-etat-des-personnes-en-situation-irreguliere-en-france-enquete-premiers-pas.pdf.
(7) Budget général, mission interministérielle, annexe au projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes pour 2022, rapport annuel de performances, Santé, disponible sous : https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2022/projet-de-loi-de-reglement/budget-general/sante.
« Aide médicale d’Etat », p. 84 du rapport. Au 30 septembre 2022, 403 144 personnes étaient bénéficiaires de l’AME. L’exécution des crédits pour 2022 s’élève à 1 014 339 887 €. La consommation de soins et de biens médicaux (CSBM) s’élève quant à elle à 235,8 milliards d’euros en 2022.
(8) Arnau Juanmarti Mestres, Guillem Lopez Casasnovas, Judit Vall Castello, « The deadly effects of losing health insurance », European Economic Review, 2021, vol. 131, num. 103608.
(9) Le Monde, « L’appel de 3 000 soignants : “Nous demandons le maintien de l’aide médicale d’Etat pour la prise en charge des soins des personnes étrangères” », tribune du 2 novembre 2023, disponible sous : https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/l-appel-de-3-000-soignants-nous-demandons-le-maintien-de-l-aide-medicale-d-etat-pour-la-prise-en-charge-des-soins-des-personnes-etrangeres_6197818_3232.html.