🟧 Décision ARCOM du 23 janvier 2023 mettant en demeure la société Sud Radio

Références

NOR : RCAC2305877S
Source : JORF n°0050 du 28 février 2023, texte n° 92

En-tête

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique,
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment ses articles 15, 28 et 42 ;
Vu la décision n° 2011-390 du 17 mai 2011 du Conseil supérieur de l’audiovisuel, modifiée et reconduite par les décisions n° 2016-43 du 13 janvier 2016 et n° 2021-05 du 6 janvier 2021, portant autorisation d’un service de radio par voie hertzienne terrestre en modulation de fréquence dénommé Sud Radio + ;
Vu la convention conclue entre le Conseil supérieur de l’audiovisuel et la société Sud Radio, le 6 janvier 2021, concernant le service de radio « Sud Radio + », notamment ses articles 2-4, 2-10 et 4-2-1 ;
Vu le compte rendu de visionnage de l’émission « Bercoff dans tous ses états » diffusée sur les services « Sud Radio » et « Sud Radio + » le 18 mars 2022 ;

Considérants

Considérant ce qui suit :

Sur le cadre juridique :

1. En premier lieu, en vertu des dispositions de l’article 42 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et des stipulations de l’article 4-2-1 de la convention du 6 janvier 2021, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut mettre en demeure la société Sud Radio de respecter les obligations qui lui sont imposées.

2. En deuxième lieu, les sixième et septième alinéas de l’article 15 de cette loi disposent que les programmes mis à disposition du public par un service de communication audiovisuelle ne doivent contenir aucune incitation à la haine ou à la violence à raison de la race, des origines ethniques et de la nationalité, qui sont des motifs visés à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. En outre, l’article 2-4 de la convention stipule que : « Le titulaire veille dans son programme […] à ne pas encourager des comportements discriminatoires à l’égard de personnes en raison de leur origine […] de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race. […]. »

3. En dernier lieu, l’article 2-10 de la convention stipule que : « Le titulaire met en œuvre les procédures nécessaires pour assurer, y compris dans le cadre des interventions des auditeurs, la maîtrise de l’antenne et le respect des principes définis aux articles 2-2 à 2-9. »

Sur l’émission « Bercoff dans tous ses états » diffusée le 18 mars 2022 :

4. Lors de l’émission « Bercoff dans tous ses états » du 18 mars 2022 l’invité du « face à face », reçu à l’occasion de la publication de deux de ses livres, s’est notamment exprimé sur le concept de « grand remplacement », dont il est l’un des auteurs et principaux propagateurs.

5. Il ressort du compte rendu de visionnage que l’invité a notamment défini le « grand remplacement » comme étant « essentiellement le changement de peuple, et donc de civilisation, parce qu’évidemment on ne peut pas changer le peuple sans changer de culture et de civilisation, c’est la colonisation, c’est ce qu’Aimé Césaire appelait le génocide par substitution, c’est la submersion migratoire ». Il a indiqué par la suite, au sujet de ceux qu’il nomme « les remplaçants » : « Les remplaçants, par exemple qui eux assument, alors voilà un groupe qui assume de plus en plus ouvertement le concept de grands remplaçants, ils disent oui, oui, oui, nous sommes les grands remplaçants, nous sommes vos remplaçants, ils en sont très fiers, ils n’ont plus aucune, aucune, prétention à l’assimilation ou à l’intégration. »

6. De plus, durant cette séquence, l’invité a assimilé le « grand remplacement » à la colonisation en ces termes : « La colonisation Sud-Nord actuelle est beaucoup plus grave et beaucoup plus profonde que la colonisation Nord-Sud jadis qui était une conquête militaire, administrative, je ne dis absolument pas ça pour diminuer les torts ou la portée mais la colonisation démographique qui implique un changement de population est une colonisation beaucoup plus sérieuse et qui menace beaucoup plus d’être irréversible que la colonisation impériale de conquête classique. »

7. Par ailleurs, l’invité a indiqué que « beaucoup de remplaçants […] assument pleinement le grand remplacement et disent que nous sommes vos remplaçants et un jour nous vous auront remplacé, ça arrive couramment ». Il a précisé ensuite que le concept de « grand remplacement » n’est pas néo-nazi ou raciste, mais que le « grand remplacement » lui « est bel et bien, non pas une théorie, mais une pratique nazie ».

8. Enfin, l’invité a soutenu que le peuple français serait devenu indigène dans certains territoires : « On appelle quartiers populaires précisément les quartiers d’où le peuple indigène a été chassé par une sorte de nettoyage ethnique, on appelle quartier populaire les quartiers où le peuple français n’est plus présent, il n’y a rien de plus menteur. » Le présentateur a approuvé cette affirmation en ajoutant : « Oui, on ne dit jamais d’un quartier dans le Gers ou en Corrèze, dans une ville du Gers ou de la Corrèze, un quartier populaire, c’est pas populaire ça. » L’invité a alors déclaré : « Maintenant il y a des quartiers populaires au sens nouveau absolument partout. Il n’y a pas de petite ville qui n’ait pas son quartier populaire au sens de quartier de la colonisation du changement de peuple, le quartier populaire, c’est le quartier, où il n’y a plus de peuple indigène. » Une nouvelle fois, le présentateur est allé dans le sens des propos tenus par son invité : « Oui en fait c’est ça, les français ont perdu la notion de savoir que les indigènes, se sont eux. » Ce dernier lui a alors répondu : « Absolument, les indigènes, c’est nous. » Le présentateur a ainsi conclu la séquence en indiquant : « Les indigènes c’est nous c’est une bonne conclusion. »

En ce qui concerne l’obligation de ne pas inciter à la haine et à la violence ni d’encourager des comportements discriminatoires :

9. Il ressort du compte rendu de visionnage que l’invité a qualifié le « grand remplacement », qu’il impute aux personnes immigrées, de « colonisation démographique », plus grave et plus profonde que les colonisations antérieures, de « génocide par substitution », de « submersion migratoire », de « nettoyage ethnique » ou encore de « pratique nazie ». En désignant de la sorte le « grand remplacement » qu’il entend notamment comme le remplacement des « Français » par des personnes issues de l’immigration, l’invité a décrit de manière inquiétante ce groupe d’individus dans son ensemble en employant un vocabulaire et en recourant à des comparaisons historiques invitant à la haine et à la violence à l’encontre de ce groupe en raison de sa race, de ses origines ethniques et de sa nationalité. En outre, l’invité a dépeint une image inquiétante des personnes immigrées dans leur ensemble en les présentant comme refusant toute intégration à la société française du fait de leur statut de « remplaçants » et comme ayant une volonté de domination. Ces propos sont de nature à susciter un sentiment de rejet et de crainte à l’égard de ces personnes encourageant ainsi des comportements discriminatoires à leur encontre en raison de leur origine, de leur non-appartenance à la nation française et de leur race. Cette situation caractérise ainsi un manquement de l’éditeur aux dispositions précitées de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi qu’aux stipulations précitées de l’article 2-4 de la convention du 6 janvier 2021.

En ce qui concerne l’obligation de maîtrise de l’antenne :

10. Il ressort également du compte rendu de visionnage de l’émission, et en particulier eu égard aux propos mentionnés précédemment, que le présentateur a ouvert l’antenne du service pendant plus d’une demi-heure à une personne dont les idées sont connues, sans lui apporter de contradiction et en approuvant une partie des propos tenus, ce qui caractérise un défaut de maîtrise de l’antenne, constitutif d’un manquement aux stipulations de l’article 2-10 de la convention du 6 janvier 2021.

11. Il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de mettre en demeure la société Sud Radio de se conformer, à l’avenir, aux dispositions précitées de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi qu’aux stipulations précitées des articles 2-4 et 2-10 de la convention du 6 janvier 2021.

Après en avoir délibéré,

Décide :

Article 1

La société Sud Radio est mise en demeure de se conformer à l’avenir, en ce qui concerne le service de radio « Sud Radio + », aux dispositions précitées de l’article 15 de la loi du 30 septembre 1986 ainsi qu’aux stipulations précitées des articles 2-4 et 2-10 de la convention du 6 janvier 2021.

Article 2

La présente décision sera notifiée à la société Sud Radio et publiée au Journal officiel de la République française.

Date et signature(s)

Fait à Paris, le 23 janvier 2023.

Pour l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique :
Le président,
R.-O. Maistre