đŸŸ„ De la friture sur la ligne

Une affaire classique concernant la théorie du trouble anormal de voisinage (TAV).


Petit point de rappel préalable :

C’est par un arrĂȘt de la chambre civile du 27 novembre 1844 que la Cour de cassation consacre le principe suivant : « nul ne peut causer Ă  autrui des troubles excĂ©dant les inconvĂ©nients normaux du voisinage ». Avant cela, les conflits de voisinage se rĂ©solvaient sous le fondement de l’abus du droit de propriĂ©tĂ© (Cass., ch. req., 3 aoĂ»t 1915, « ClĂ©ment-Bayard »).

Par la suite, la troisiĂšme chambre civile de la Cour de cassation du 4 fĂ©vrier 1971 Ă©nonce que la thĂ©orie Ă©chappe aux rĂšgles traditionnelles du droit de la responsabilitĂ© en ce qu’elle ne suppose pas l’existence d’une faute (Ă©galement : Cass., 3e civ., 30 juin 1998, n°96-13.039).

Lorsque la question s’est posĂ©e de savoir si cette thĂ©orie Ă©tait de nature Ă  porter atteinte au droit de propriĂ©tĂ© dĂ©fini par l’article 544 du Code civil et protĂ©gĂ© par l’article 1er du Premier Protocole additionnel Ă  la ConvEDH. La Cour de cassation a rĂ©pondu que le droit de propriĂ©tĂ© « est limitĂ© par le principe selon lequel nul ne doit causer Ă  autrui aucun trouble anormal de voisinage ; que cette restriction ne constitue pas une atteinte disproportionnĂ©e au droit protĂ©gĂ© par la Convention prĂ©citĂ©e » (Cass. 2e civ., 23 octobre 2003, 02-16.303).

Les conditions permettant de retenir un TAV sont les suivantes :

  • Un trouble anormal

ArrĂȘt de principe : « Si le voisin de celui qui a construit lĂ©gitimement sur son fonds est tenu de supporter les inconvĂ©nients normaux du voisinage, procĂ©dant de la construction nouvelle, il est en droit, en revanche, d’exiger une rĂ©paration, dĂšs lors que ces inconvĂ©nients excĂšdent cette limite » (Cass., 3e civ., 27 juin 1973, n° 72-12.844).

  • Un rapport de voisinage.

Cette notion est entendue largement par la jurisprudence. Il n’est, d’ailleurs, pas nĂ©cessaire qu’un propriĂ©taire rĂ©side sur son fonds (Cass., 2e ch. Civ., 28 juin 1995, n° 93-12.681).

  • Un prĂ©judice

À titre d’illustration : Des nuisances sonores, olfactives ou encore un risque dĂ» Ă  la chute de rochers et de pierres (cass. 2Ăšme civ. 25 mars 1991 n° 89-21.186).

  • Un lien de causalitĂ©

Il est nĂ©cessaire de prouver que le prĂ©judice subit soit constitutif d’un trouble anormal liĂ© Ă  un rapport de voisinage.


Dans cet arrĂȘt de la cour d’appel (1) :

Une friterie mobile est exploitĂ©e devant une habitation dont les occupants se plaignent de l’odeur de fritures. L’anormalitĂ© du trouble est caractĂ©risĂ©e dans la mesure oĂč les odeurs pĂ©nĂštrent rĂ©guliĂšrement les piĂšces de l’habitation et imprĂšgnent les vĂȘtements des occupants.

Conséquences :

Les exploitants devront faire cesser le trouble sous peine de payer une astreinte définitive de 150 euros par jour pour une durée de six mois.

1 : Cour d’appel, Amiens, 1re ch. civ, 24 DĂ©cembre 2019, n° 18/02375