🟥 [Covid 19] La Cour de cassation annule la mise en examen de l’ex-ministre de la santé, Agnès Buzyn, pour mise en danger d’autrui liée à sa gestion de l’épidémie du Covid19

Références

Publication : A venir 
Identifiant : A venir
Décision : Cassation partielle
Arrêt : n° 664 B+R
Source : Cour de cassation, assemblée plénière, 20 janvier 2023, n°22-82.535

Faits et procédure

1. Il résulte de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 3 juillet 2020, la commission des requêtes de la Cour de justice de la République a transmis au procureur général près la Cour de cassation, ministère public près la Cour de justice de la République, des plaintes émanant de médecins, de syndicats et de particuliers, relatives à la gestion gouvernementale de la pandémie de Covid-19, aux fins de saisine de la commission d’instruction du chef d’abstention de combattre un sinistre, à l’encontre de M. [F] [O], Premier ministre, de Mme [L] [P], ancienne ministre des solidarités et de la santé, et de M. [Z] [U], ministre des solidarités et de la santé.

3. Par réquisitoire du 7 juillet 2020, le procureur général a requis la commission d’instruction d’informer, à l’encontre de M. [O], de Mme [P] et de M. [U], du chef d’abstention de combattre un sinistre, délit prévu et réprimé à l’article 223-7 du code pénal, faits commis à [Localité 1], courant 2019 et 2020.

4. À la suite d’autres plaintes, notamment celle du compagnon de [S] [I] consécutive au décès de cette dernière, en raison, selon le plaignant, d’une infection par le virus SARS-CoV-2, des réquisitoires supplétifs ont été pris aux fins d’informer contre les mêmes personnes, du même chef.

5. Le 10 septembre 2021, Mme [P] a été mise en examen par la commission d’instruction du chef de mise en danger d’autrui et placée sous le statut de témoin assisté du chef d’abstention volontaire de combattre un sinistre.

6. Par ordonnance du 4 octobre 2021, la présidente de la commission d’instruction a commis des experts aux fins de procéder à l’examen du dossier médical de [S] [I] et répondre à diverses questions.

7. Le 9 mars 2022, Mme [P] a saisi la commission d’instruction, sur le fondement des articles 170 et suivants du code de procédure pénale auxquels renvoie l’article 18 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République, d’une requête en nullité d’actes de la procédure d’instruction portant notamment sur la mise en examen du chef de mise en danger d’autrui, le dépassement de la saisine temporelle et matérielle de la commission et les conditions d’audition de membres du Gouvernement.

Examen du moyen

(…)

Mais sur le premier moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

37. Il est fait grief l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] tendant à l’annulation de sa mise en examen du chef de mise en danger de la vie d’autrui, alors « que les articles L.1110-1 du code de la santé publique, L.1413-4 et L.3131-1 du même code, L.1141-1 et L.1142-8 du code de la défense ne caractérisent aucune obligation particulière de prudence ou de sécurité, et se bornent à rappeler de façon générale des principes de protection en matière de santé et de défense, et la participation du ministère de la santé aux objectifs de défense nationale ; le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé n’édicte pas davantage une obligation particulière de prudence ou de sécurité à sa charge, et se borne à définir le champ de compétence du ministre et les matières qui lui sont attribuées au sein du gouvernent ; aucun de ces textes n’édicte une obligation particulière de prudence ou de sécurité pesant sur le ministre des solidarités et de la santé ; la Commission d’instruction a encore excédé ses pouvoirs et violé les textes précités. »

Réponse de la Cour de cassation

Vu les articles 223-1 du code pénal et 80-1 du code de procédure pénale :

38. Il résulte de la combinaison de ces textes qu’une juridiction d’instruction ne peut procéder à une mise en examen du chef de mise en danger d’autrui sans avoir préalablement constaté l’existence de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation manifestement délibérée est susceptible de permettre la caractérisation du délit.

39. Pour rejeter la requête tendant à l’annulation de la mise en examen de Mme [P] du chef de mise en danger d’autrui, prise notamment de l’inexistence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, l’arrêt attaqué se fonde sur les articles L. 1110-1, L. 1413-4 et L. 3131-1 du code de la santé publique, L. 1141-1 et L. 1142-8 du code de la défense ainsi que sur le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé.

40. En statuant ainsi, la commission d’instruction, qui s’est référée à des textes qui ne prévoient pas d’obligation de prudence ou de sécurité objective, immédiatement perceptible et clairement applicable sans faculté d’appréciation personnelle du sujet, a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé, pour les motifs qui suivent.

41. En premier lieu, l’article L. 1110-1 du code de la santé publique se borne à fixer, pour l’ensemble des intervenants du système de santé, un simple objectif de mise en oeuvre du droit à la protection de la santé.

42. En deuxième lieu, l’article L. 1413-4 du même code prévoit, en termes généraux, que l’agence nationale de santé publique procède, à la demande du ministre chargé de la santé, à diverses opérations comme l’acquisition, le stockage et la distribution de produits et services nécessaires à la protection de la population face aux menaces sanitaires graves.

43. En troisième lieu, l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, dans sa version applicable aux faits objet de la mise en examen, ne fait qu’ouvrir au ministre chargé de la santé la possibilité, en cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, de prescrire toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu.

44. En quatrième lieu, l’article L. 1141-1 du code de la défense se borne à confier à chaque ministre la responsabilité de la préparation et de l’exécution des mesures de défense dans le département dont il a la charge. Ainsi, l’article L. 1142-8 du même code attribue au ministre chargé de la santé la responsabilité de l’organisation et de la préparation du système de santé, de la prévention des menaces sanitaires graves et de la protection de la population contre ces dernières.

45. En cinquième et dernier lieu, le décret du 24 mai 2017 relatif aux attributions du ministre des solidarités et de la santé, qui dispose que ce dernier « est responsable de l’organisation de la prévention et des soins », et lui confie la charge d’élaborer, avec les autres ministres compétents, les règles relatives à la politique de la santé contre les divers risques susceptibles de l’affecter, n’a d’autre objet que de déterminer le champ de ses compétences.

46. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

47. Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir rejeté la requête de Mme [L] [P] sollicitant l’annulation des auditions en qualité de témoin de membres du gouvernement effectuées par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République non en formation collégiale mais seulement par un ou deux de ses membres, alors « que l’article 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 prescrit expressément que « les auditions et interrogatoires des membres du gouvernement sont effectués par la Commission d’instruction » ; ce texte attribue compétence à la seule formation collégiale de la Commission d’instruction en la matière, et comme toute règle de compétence, elle est d’ordre public, et sa sanction n’est pas subordonnée à la démonstration d’un grief ; en rejetant les demandes de nullité des auditions faites irrégulièrement en dehors de la formation collégiale, au motif erroné que l’article 21 ne serait pas d’ordre public ni prescrit à peine de nullité, et au motif inopérant que sa méconnaissance n’aurait pas bafoué un droit ou un intérêt propre à Mme [P], la Commission d’instruction a violé ledit texte et excédé ses pouvoirs ; la cassation sera prononcée sans renvoi, l’Assemblée plénière devant annuler l’ensemble des auditions concernées. »

Réponse de la Cour de cassation

Vu les articles 11 et 21 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République :

48. Selon le premier de ces textes, la commission d’instruction se compose de trois membres.

49. Selon le second, les auditions et interrogatoires des membres du Gouvernement sont effectués par la commission d’instruction.

50. Cette dernière règle, relative à la composition de la juridiction, est d’ordre public. Sa méconnaissance peut être invoquée par toute partie à la procédure sans qu’il lui incombe d’établir un grief.

51. Pour rejeter la demande d’annulation des auditions de M. [M], Mme [N], Mme [V] et Mme [J], membres du Gouvernement en exercice, effectuées par un ou par deux des trois juges de la commission d’instruction, l’arrêt attaqué énonce que les dispositions de l’article 21 de la loi organique du 23 novembre 1993 ne sont ni édictées dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, ni prescrites à peine de nullité, ni revêtues d’un caractère d’ordre public.

52. Il ajoute que les conditions dans lesquelles ont été conduites ces auditions n’ont eu ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à un droit ou un intérêt propre à Mme [P] et qu’aucun grief n’est articulé au soutien de la demande d’annulation de ces actes.

53. En statuant ainsi, la commission d’instruction a méconnu les textes susvisés et le principe ci- dessus énoncé.

54. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

55. L’assemblée plénière de la Cour de cassation étant en mesure d’appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l’article L. 411-3, alinéa 3, du code de l’organisation judiciaire, la cassation aura lieu sans renvoi.

56. Elle prononcera donc la nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] du chef de mise en danger d’autrui dans les conditions précisées au dispositif.

57. Elle prononcera également la nullité des auditions de M. [M] (CJR D 9829), Mme [N] (CJR D 3044), Mme [V] (CJR D 3054) et Mme [J] (CJR D 5693).

Dispositif 

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE l’arrêt susvisé de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République en date du 15 avril 2022, mais en ses seules dispositions rejetant la requête en nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] et des auditions de M. [M], Mme [N], Mme [V] et Mme [J], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n’y avoir lieu à renvoi ;

PRONONCE la nullité de la mise en examen de Mme [L] [P] du chef de mise en danger d’autrui ;

DIT que, par l’effet de cette annulation, Mme [P] est considérée comme témoin assisté relativement à l’infraction de mise en danger d’autrui, à compter de son interrogatoire de première comparution, pour l’ensemble de ses interrogatoires ultérieurs et jusqu’à l’issue de l’information, sous réserve des dispositions des articles 113-6 et 113-8 du code de procédure pénale ;

DIT que cette annulation n’entraîne aucune cancellation ni retrait de pièces ;

PRONONCE la nullité des auditions de M. [M] (CJR D 9829), Mme [N] (CJR D 3044), Mme [V] (CJR D 3054) et Mme [J] (CJR D 5693) ;

DIT que ces actes annulés seront retirés du dossier d’information et classés au greffe de la Cour de justice de la République et qu’il sera interdit d’y puiser aucun renseignement contre les parties ;

ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la Cour de justice de la République et sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé le vingt janvier deux mille vingt-trois.