🟥 [Chasse traditionnelle] Le juge des référés du Conseil d’Etat suspend les autorisations de la chasse à l’alouette des champs à l’aide de filets (pantes) ou de cages (matoles)

Références

Décision : Conseil d’Etat statuant au contentieux
Nature : Ordonnance
Date : 21 octobre 2022
Numéro : 468151, 468152, 468153, 468154, 468170, 468172
Requérants : ASSOCIATION ONE VOICE & LIGUE POUR LA PROTECTION DES OISEAUX

(…)

Sur l’existence d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés :

Cadre juridique

7. Aux termes du paragraphe 1 de l’article 8 de la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite directive oiseaux : « 1. En ce qui concerne la chasse, la capture ou la mise à mort d’oiseaux dans le cadre de la présente directive, les États membres interdisent le recours à tous moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective ou pouvant entraîner localement la disparition d’une espèce, et en particulier à ceux énumérés à l’annexe IV, point a). / (…) » Parmi les moyens, installations ou méthode de capture ou de mise à mort prohibés par le a) de l’annexe IV de la directive figure notamment les « collet (…), gluaux, hameçons, oiseaux vivants utilisés comme appelants aveuglés ou mutilés, enregistreurs, appareils électrocutants » ou encore les « filets, pièges-trappes, appâts empoisonnés ou tranquillisants (…) » Toutefois, l’article 9 de la directive prévoit en son paragraphe 1 que « Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci- après : / (…) c) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités. » Par ailleurs, son paragraphe 2 prévoit que les dérogations doivent mentionner les espèces concernées, les moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés, les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises, l’autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en oeuvre, dans quelles limites et par quelles personnes, enfin les contrôles qui seront opérés.

8. Selon l’article L. 424-2 du code de l’environnement : « (…) Les oiseaux ne peuvent être chassés ni pendant la période nidicole ni pendant les différents stades de reproduction et de dépendance. Les oiseaux migrateurs ne peuvent en outre être chassés pendant leur trajet de retour vers leur lieu de nidification. / Des dérogations peuvent être accordées, s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante et à la condition de maintenir dans un bon état de conservation les populations migratrices concernées : / (…) 2° Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités ; / (…) ». En vertu de l’article L. 424-4 du même code : « Dans le temps où la chasse est ouverte, le permis donne à celui qui l’a obtenu le droit de chasser de jour, soit à tir, soit à courre, à cor et à cri, soit au vol, suivant les distinctions établies par des arrêtés du ministre chargé de la chasse. (…) / (…) / Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la chasse de certains oiseaux de passage en petites quantités, le ministre chargé de la chasse autorise, dans les conditions qu’il détermine, l’utilisation des modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels, dérogatoires à ceux autorisés par le premier alinéa. / Tous les moyens d’assistance électronique à l’exercice de la chasse, autres que ceux autorisés par arrêté ministériel, sont prohibés. / Les gluaux sont posés une heure avant le lever du soleil et enlevés avant onze heures. / Tous les autres moyens de chasse, y compris l’avion et l’automobile, même comme moyens de rabat, sont prohibés. / (…) ». L’article R. 424-15-1 du code de l’environnement, créé par le décret du 19 mai 2020 précisant les modalités de mise en oeuvre des dérogations prévues aux articles L. 424-2 et L. 424-4 du code de l’environnement pour la chasse de certains oiseaux de passage, dispose que : « Pour l’application des dispositions du troisième alinéa des articles L. 424-2 et L. 424-4, l’utilisation de modes et moyens de chasse consacrés par les usages traditionnels est autorisée dès lors qu’elle correspond à une exploitation judicieuse de certains oiseaux. / (…) ».

Le litige 

9. Sur le fondement des dispositions citées aux points précédents, les articles 1er des arrêtés du 4 octobre 2022 relatifs à la capture de l’alouette des champs aux moyens respectivement de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, de Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques et de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne, prévoient que la capture de l’alouette des champs (Alauda arvensis) à l’aide de paires de filets horizontaux (« pantes ») et de cages pièges (« matoles ») « constitue une exploitation judicieuse de petites quantités d’oiseaux qui, en l’absence d’autre solution satisfaisante, a pour objectif la capture sélective d’alouettes des champs destinées à la consommation locale, à l’exception de quelques spécimens capturés en vue de servir d’appelants » et qu’elle est autorisée entre le 1er octobre et le 20 novembre dans les lieux où elle était encore pratiquée en 1986. Il ressort également des motifs de ces arrêtés que ces méthodes de capture « intègrent un ensemble de cultures et de traditions locales qui dépassent la simple conservation d’un usage cynégétique » et que « l’intérêt de cette pratique réside, pour les chasseurs, non pas dans la détention, l’élevage et/ou la reproduction d’oiseaux en captivité, ni même dans leur simple prélèvement, mais dans l’art qui entoure leur capture et la préparation de leur consommation (…) ».

10. En premier lieu, il résulte des dispositions citées aux point 5, telles qu’interprétées par la Cour de justice, que les motifs de dérogation prévus à l’article 9 de la directive sont d’interprétation stricte et, à cet égard, que si les méthodes traditionnelles de chasse sont susceptibles de constituer une exploitation judicieuse de certains oiseaux au sens de la directive, l’objectif de préserver ces méthodes ne constitue pas un motif autonome de dérogation au sens de cet article. Par suite, comme l’a jugé la Cour de justice ainsi que le Conseil d’Etat dans des décisions du 6 août 2021, le caractère traditionnel d’une méthode de chasse ne suffit pas, en soi, à établir qu’une autre solution satisfaisante, au sens des dispositions du paragraphe 1 de cet article 9, ne peut être substituée à cette méthode, de même que le simple fait qu’une autre méthode requerrait une adaptation et, par conséquent, exigerait de s’écarter de certaines caractéristiques d’une tradition, ne saurait suffire pour considérer qu’il n’existe pas une telle autre solution satisfaisante. Si le ministre de la transition écologique soutient qu’il n’existe aucune solution alternative satisfaisante au recours à l’emploi de matoles ou de pantes pour la chasse à l’alouette des champs dans ces départements, il ressort tant des motifs des arrêtés du 4 octobre 2022 que des écritures des parties et des débats à l’audience qu’au-delà de l’objectif de capture en vue de la consommation humaine, à laquelle il peut être pourvu par la chasse au tir ou par l’élevage, le motif de la dérogation prévue par le dispositif réglementaire réside principalement dans l’objectif de préserver l’utilisation d’un mode de chasse constituant une pratique traditionnelle. Le moyen tiré de ce que les arrêtés litigieux auraient été pris sur le fondement de dispositions réglementaires qui méconnaîtraient les objectifs de l’article 9 de la directive du 30 novembre 2009 ainsi que les dispositions de l’article L. 424-4 du code de l’environnement paraît donc de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur leur légalité.

11. En second lieu, la Cour de justice de l’Union Européenne a précisé, dans l’arrêt susvisé du 17 mars 2021, que la condition de sélectivité posée par l’article 9 § 1 de la directive pouvait, s’agissant d’une méthode de capture non létale, être considérée comme satisfaite « en présence de prises accessoires, pourvu néanmoins que les espèces non ciblées par cette méthode soient capturées dans de faibles quantités, pour une durée déterminée et qu’elles puissent être relâchées sans dommage autre que négligeable ». D’une part, il est constant que les prises accessoires induites par l’emploi de matoles, qui n’ont à être relevées, aux termes de l’arrêté, que deux fois par jour, s’élèvent au moins à un taux de 15 à 20 %, qui ne saurait être regardé comme caractérisant un faible volume. D’autre part, le ministre chargé de la chasse n’apporte aucun chiffre sur le volume des prises accessoires par l’emploi de pantes, se bornant à indiquer que le fait que le piège soit actionné par le chasseur suffit à éviter les prises accessoires. Il résulte toutefois des écritures produites et des débats à l’audience que les filets pouvant mesurer jusqu’à 50 m² et les oiseaux volant souvent en groupes, les prises accessoires ne peuvent être toujours évitées, d’autant que les mailles des filets, plus petites que les alouettes, ne permettent pas aux autres prises de s’échapper. Il n’est par ailleurs pas contesté que ces prises accessoires sont susceptibles de porter sur des espèces d’oiseaux protégées dont la chasse est interdite, ni établi que leur capture involontaire ne leur causerait que des dommages négligeables. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que les arrêtés litigieux auraient été pris sur le fondement de dispositions réglementaires qui méconnaîtraient l’interdiction des méthodes de prélèvement non sélectives résultant de l’article 9 de la directive du 30 novembre 2009 ainsi que des dispositions de l’article L. 424-4 du code de l’environnement paraît donc également de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur leur légalité.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des requêtes, que les requérantes sont fondées à demander la suspension de l’exécution des arrêtés du 4 octobre 2022 relatifs au nombre maximum d’alouettes des champs capturées à l’aide de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques et à l’aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne, pour la campagne 2022-2023.

(…)

O R D O N N E 

Article 1er : L’intervention de la Fédération nationale des chasseurs et autres est admise.

Article 2 : L’exécution des arrêtés du ministre de la transition écologique du 4 octobre 2022 relatifs au nombre maximum d’alouettes des champs capturées à l’aide de pantes dans les départements de la Gironde, des Landes, du Lot-et-Garonne et des Pyrénées-Atlantiques et à l’aide de matoles dans les départements des Landes et du Lot-et-Garonne pour la campagne 2022-2023 est suspendue.

Article 3 : L’Etat versera une somme de 3 000 euros à l’association One Voice et une somme de 3 000 euros à la Ligue pour la protection des oiseaux.

Article 4 : Les requêtes n° 468151 et n° 468153 de l’association One Voice sont rejetées.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l’association One Voice, à l’association Ligue pour la protection des oiseaux et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la Fédération nationale des chasseurs, la Fédération départementale des chasseurs des Pyrénées-Atlantiques, la Fédération départementale des chasseurs du Lot-et-Garonne, la Fédération départementale des chasseurs des Landes et la Fédération départementale des chasseurs de la Gironde.