Au sommaire :
Décision
LâAutoritĂ© de rĂ©gulation de la communication audiovisuelle et numĂ©rique,
Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment ses articles 1er, 3-1, 28 et 42 ;
Vu la dĂ©cision n° 2003-309 du 10 juin 2003 modifiĂ©e et prorogĂ©e autorisant la sociĂ©tĂ© BollorĂ© Media, devenue Direct 8 puis C8, Ă utiliser une ressource radioĂ©lectrique pour l’exploitation d’un service de tĂ©lĂ©vision Ă caractĂšre national diffusĂ© en clair par voie hertzienne terrestre en
mode numérique dénommé C8 et la décision n° 2019-214 du 29 mai 2019 portant reconduction de cette autorisation ;
Vu la convention conclue entre le Conseil supĂ©rieur de lâaudiovisuel et la sociĂ©tĂ© C8, le 29 mai 2019, concernant le service de tĂ©lĂ©vision C8, notamment ses articles 2 3-8 et 4-2-1 ;
Vu la dĂ©libĂ©ration n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supĂ©rieur de lâaudiovisuel relative Ă lâhonnĂȘtetĂ© et Ă lâindĂ©pendance de lâinformation et des programmes qui y concourent, notamment ses articles 1 er et 3 ;
Vu le compte rendu de visionnage des émissions « Touche pas à mon poste » diffusées sur le service « C8 » les 18, 19 et 24 octobre 2022 ;
Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
1. En premier lieu, en vertu des dispositions de lâarticle 42 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 et des stipulations de lâarticle 4-2-1 de la convention du 29 mai 2019, lâAutoritĂ© de rĂ©gulation de la communication audiovisuelle et numĂ©rique peut mettre en demeure la sociĂ©tĂ© C8 de respecter les obligations qui lui sont imposĂ©es.
2. En deuxiĂšme lieu, aux termes de lâarticle 2-3-8 de la convention du 29 mai 2019, « lâĂ©diteur respecte la dĂ©libĂ©ration du Conseil supĂ©rieur de lâaudiovisuel relative Ă lâhonnĂȘtetĂ© et Ă lâindĂ©pendance de lâinformation et des programmes qui y concourent ». Cette dĂ©libĂ©ration a Ă©tĂ© prise sur le fondement du troisiĂšme alinĂ©a de lâarticle 3-1 de la loi du 30 septembre 1986, qui dispose que « l’AutoritĂ© de rĂ©gulation de la communication audiovisuelle et numĂ©rique garantit lâhonnĂȘtetĂ©, lâindĂ©pendance et le pluralisme de lâinformation et des programmes qui y concourent, sous rĂ©serve de lâarticle 1er de [cette] loi », lequel affirme le principe de la libertĂ© de la communication au public par voie Ă©lectronique.
3. En dernier lieu, lâarticle 1er de la dĂ©libĂ©ration du 18 avril 2018 dispose que lâĂ©diteur « veille au respect dâune prĂ©sentation honnĂȘte des questions prĂȘtant Ă controverse, en particulier en assurant lâexpression des diffĂ©rents points de vue par les journalistes, prĂ©sentateurs, animateurs ou collaborateurs dâantenne ». Par ailleurs, lâarticle 3 de cette mĂȘme dĂ©libĂ©ration dispose que « dans le respect du droit Ă l’information, la diffusion d’Ă©missions, d’images, de propos ou de documents relatifs Ă des procĂ©dures judiciaires ou Ă des faits susceptibles de donner lieu Ă une information judiciaire nĂ©cessite qu’une attention particuliĂšre soit portĂ©e [âŠ] au respect de la prĂ©somption d’innocence [âŠ] » et que « lorsqu’une procĂ©dure judiciaire en cours est Ă©voquĂ©e Ă l’antenne, l’Ă©diteur doit veiller Ă ce que : – l’affaire soit traitĂ©e avec mesure [âŠ] ».
Sur les émissions « Touche pas à mon poste » diffusées les 18, 19 et 24 octobre 2022 :
4. Il ressort du compte rendu de visionnage des Ă©missions « Touche pas Ă mon poste » des 18, 19 et 24 octobre 2022 quâune partie de ces programmes a Ă©tĂ© consacrĂ©e au meurtre dâune jeune fille, commis quelques jours plus tĂŽt le 14 octobre 2022, et Ă la rĂ©ponse pĂ©nale Ă apporter dans de telles affaires.
5. Lors de lâĂ©mission « Touche pas Ă mon poste » du 18 octobre 2022, lâanimateur de lâĂ©mission a exprimĂ© Ă plusieurs reprises son opinion quant aux rĂ©ponses pĂ©nales Ă apporter aux meurtres dâenfants. Il a notamment dĂ©clarĂ© : « Si on a toutes les preuves, pour moi [âŠ], mais pour moi câest, je vais te dire, perpĂ©tuitĂ© directe. [âŠ] Il nây a pas dâaltĂ©ration ni de, ni de non discernement [âŠ] Je suis dĂ©solĂ© pour moi câest le genre de cas oĂč, fou ou pas fou, elle doit ĂȘtre en prison. [âŠ] Pour moi il nây a mĂȘme pas de dĂ©bat câest, câest, je suis dĂ©solĂ©, câest perpĂ©tuitĂ©. » Lors de cette Ă©mission, la question de lâirresponsabilitĂ© pĂ©nale des personnes atteintes de maladies mentales a Ă©galement Ă©tĂ© abordĂ©e, notamment de la maniĂšre suivante : « Quand on dit elle nâest pas bien, moi je vais vous dire, je peux plus entendre ça, il nâest pas bien, il est dĂ©sĂ©quilibrĂ©, câest devenu la principale dĂ©fense des avocats, dans ce genre de drame, et je vous le dis câest un deuxiĂšme drame pour la famille. »
6. Le lendemain, lors de lâĂ©mission « Touche pas Ă mon poste » du 19 octobre 2022, il a Ă©tĂ© indiquĂ© : « Moi jâavais dit et je le redis ce soir, je nâai pas peur de le redire : pour ce genre de personnes pour moi le procĂšs doit se faire immĂ©diatement. Câest procĂšs immĂ©diat, câest en quelques heures et terminĂ© câest perpĂ©tuitĂ© direct », « Pour moi câest un procĂšs immĂ©diat et direct câest perpĂ©tuitĂ© », « Il peut y avoir un procĂšs pour la peine, voilĂ , immĂ©diat, et ensuite, aprĂšs, oui, donner des Ă©lĂ©ments aux parents et aux familles pour dire ce qui sâest passĂ© [âŠ] on nâen peut plus de cette, de ce laxisme juridique, et de ce qui se passe actuellement, ça va encore durer des mois et des mois, elle va avoir un avocat, elle va pouvoir se dĂ©fendre, ils vont plaider lâirresponsabilitĂ©, ça marche ou pas, et ça va recommencer [âŠ] les lois ne sont pas adaptĂ©es Ă la sociĂ©tĂ© actuelle » et Ă©galement « il y a un problĂšme avec la loi aujourdâhui, câest que les avocats de la dĂ©fense ont trĂšs bien lu la loi, [âŠ] lâavocat [âŠ] peut se servir de tout ça, de tous ces Ă©lĂ©ments, dâune personnalitĂ© Ă©ventuellement dĂ©rangĂ©e, pour aller vers lâirresponsabilitĂ©, et beaucoup dâavocats misent lĂ -dessus aujourdâhui ».
6. Quelques jours aprĂšs, lors de lâĂ©mission « Touche pas Ă mon poste » du 24 octobre 2022, lâanimateur, lors dâune longue intervention, a notamment dĂ©clarĂ© : « On n’a plus envie d’attendre que la justice fasse son travail. Il faut qu’elle le fasse. Il faut qu’elle le fasse au plus vite. Et il faut, je pense, et je vais en parler avec des spĂ©cialistes, qu’il y ait une justice au cas par cas. Pour un cas comme celui-ci, il faut accĂ©lĂ©rer les choses. Je dis pas qu’il faut… j’ai pas dit qu’il fallait pas de procĂšs. Puisqu’il y en a beaucoup qui ont mal compris, ou qui regardent pas l’Ă©mission ou qui ont vu des choses traĂźner ici ou lĂ . Il faut bien sĂ»r un procĂšs, mais il faut un procĂšs rapide. Et il faut une perpĂ©tuitĂ© rapide. Je ne vois pas pourquoi on se pose la question dans un cas comme celui-lĂ . Je suis dĂ©solĂ©. Excusez-moi de dire ça. Pourquoi on se pose la question ? Alors bien sĂ»r il y aura un procĂšs. Mais il faut que le procĂšs soit rapide et que cette personne soit vite jugĂ©e pour que la famille de [la victime] pour que la France entiĂšre se dise, au moins, ça a Ă©tĂ© vite, au moins, il y a une justice exemplaire. »
7. Enfin, il ressort Ă©galement du compte rendu de visionnage de lâĂ©mission du 19 octobre 2022 quâun bandeau dĂ©roulant de lâĂ©mission Ă©nonçait « Elle avait perdu la boule : affaire Lola, nouveaux Ă©lĂ©ments sur le profil psychologique de la prĂ©sumĂ©e coupable » et quâa Ă©tĂ© affichĂ©e Ă lâĂ©cran Ă 20h48 lâannonce suivante : « Nouveaux Ă©lĂ©ments sur le profil psychologique de la prĂ©sumĂ©e coupable ». De plus, la voix hors champ a indiquĂ© : « Alors faut-il juger les dĂ©sĂ©quilibrĂ©s ? Nouveaux Ă©lĂ©ments sur le profil psychologique de la prĂ©sumĂ©e coupable ce soir dans TPMP », lâanimateur prĂ©cisant Ă lâadresse de lâinvitĂ© : « Vous allez nous dire un petit peu le profil psychologique, de la, de la prĂ©sumĂ©e coupable. » Par ailleurs, lors de lâĂ©mission du 24 octobre 2022, lâanimateur a dĂ©clarĂ© « et la semaine derniĂšre, on Ă©tait avec Georges Fenech, ancien magistrat et jâai dit, jâai dit que pour, euh voilĂ , la prĂ©sumĂ©e coupable, prĂ©sumĂ©e innocente, heu prĂ©sumĂ©e coupable on va dire », avant dâaffirmer plus tard au cours de la mĂȘme Ă©mission, « aujourdâhui la prĂ©sumĂ©e coupable, il y a trĂšs peu de chance, on sait que câest une prĂ©sumĂ©e coupable, on dit, on utilise le mot prĂ©sumĂ©e mais pour tout le monde câest la coupable. Elle a fait des aveux en plus ».
En ce qui concerne lâobligation de traiter avec mesure une affaire judiciaire en cours et le respect de la prĂ©somption dâinnocence :
8. Il ressort du compte rendu de visionnage que de longues sĂ©quences de lâĂ©mission « Touche pas Ă mon poste » des 18, 19 et 24 octobre 2022 ont Ă©tĂ© consacrĂ©es au meurtre dâune jeune fille, commis quelques jours plus tĂŽt et ayant suscitĂ© une trĂšs vive Ă©motion dans lâopinion publique. Lors de ces diffĂ©rentes sĂ©quences, le sujet a Ă©tĂ© abordĂ© de maniĂšre largement univoque et sans prudence. Des propos dĂ©pourvus de toute mesure concernant, entre autres, les conditions dans lesquelles le procĂšs devait se tenir, la peine Ă infliger et le profil psychologique de la personne mise en examen ont Ă©tĂ© assĂ©nĂ©s Ă de nombreuses reprises, alors mĂȘme que lâinstruction judiciaire est en cours. DĂšs lors, et compte tenu du caractĂšre rĂ©pĂ©tĂ© et insistant des propos en cause, ces trois Ă©missions traduisent un dĂ©faut de mesure dans lâĂ©vocation dâune procĂ©dure judiciaire criminelle en cours, dans le cadre, au surplus, dâun programme bĂ©nĂ©ficiant de larges audiences.
9. En outre, il ressort du compte rendu de visionnage des Ă©missions « Touche pas Ă mon poste » du 19 octobre et du 24 octobre 2022 que la principale suspecte dans cette affaire a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e comme « prĂ©sumĂ©e coupable » Ă de multiples reprises et mĂȘme comme « coupable » « pour tout le monde », lors de lâĂ©mission du 24 octobre 2022, alors quâelle demeure, jusquâĂ lâintervention dâune dĂ©cision de justice, prĂ©sumĂ©e innocente.
10. Cette situation caractĂ©rise un manquement de lâĂ©diteur aux stipulations prĂ©citĂ©es de lâarticle 2-3-8 de sa convention et aux dispositions prĂ©citĂ©es de lâarticle 3 de la dĂ©libĂ©ration du 18 avril 2018, auxquelles il renvoie.
En ce qui concerne lâobligation dâexpression des diffĂ©rents points de vue sur une question prĂȘtant Ă controverse :
11. Il ressort du compte rendu de visionnage de lâĂ©mission « Touche pas Ă mon poste » du 24 octobre 2022 que lâanimateur sâest exprimĂ© longuement, sans interruption, sur la question de la rĂ©ponse pĂ©nale Ă apporter aux meurtres dâenfants, appelant Ă des procĂšs expĂ©ditifs et Ă des condamnations Ă perpĂ©tuitĂ© automatiques dans ce type dâaffaires.
12. Or la rĂ©ponse pĂ©nale Ă apporter aux meurtres dâenfants relĂšve des questions prĂȘtant Ă controverse nĂ©cessitant que lâĂ©diteur assure lâexpression de diffĂ©rents points de vue.
13. En lâespĂšce, lâanimateur a ainsi pu exprimer longuement son point de vue sur cette question prĂȘtant Ă controverse sans quâune contradiction rapide et efficace ne lui soit opposĂ©e, seule une brĂšve nuance y ayant Ă©tĂ© apportĂ©e, par un seul invitĂ©, et plus tard dans la sĂ©quence.
14. DĂšs lors, une opinion a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e dans des conditions conduisant Ă un dĂ©sĂ©quilibre marquĂ© dans lâanalyse dâun sujet dont lâextrĂȘme sensibilitĂ© et le caractĂšre controversĂ© imposaient quâil donne lieu Ă la prĂ©sentation de diffĂ©rents points de vue. Cette situation caractĂ©rise un manquement de lâĂ©diteur aux stipulations de lâarticle 2-3-8 de sa convention et aux dispositions de lâarticle 1er de la dĂ©libĂ©ration du 18 avril 2018, auxquelles il renvoie.
15. Il rĂ©sulte de ce qui prĂ©cĂšde quâil y a lieu de mettre en demeure la sociĂ©tĂ© C8 de se conformer, Ă lâavenir, aux stipulations prĂ©citĂ©es de lâarticle 2-3-8 de la convention du 29 mai 2019 ainsi quâaux dispositions prĂ©citĂ©es des articles 1er et 3 de la dĂ©libĂ©ration n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supĂ©rieur de lâaudiovisuel relative Ă lâhonnĂȘtetĂ© et Ă lâindĂ©pendance de lâinformation et des programmes qui y concourent.
AprÚs en avoir délibéré,
Décide :
Art. 1er. â La sociĂ©tĂ© C8 est mise en demeure de se conformer Ă lâavenir, en ce qui concerne le service de tĂ©lĂ©vision « C8 », aux stipulations prĂ©citĂ©es de lâarticle 2-3-8 de la convention du 29 mai 2019 ainsi quâaux dispositions prĂ©citĂ©es des articles 1er et 3 de la dĂ©libĂ©ration n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supĂ©rieur de lâaudiovisuel relative Ă lâhonnĂȘtetĂ© et Ă lâindĂ©pendance de lâinformation et des programmes qui y concourent.
Art. 2. â La prĂ©sente dĂ©cision sera notifiĂ©e Ă la sociĂ©tĂ© C8 et publiĂ©e au Journal officiel de la RĂ©publique française.
Date et signature
Fait Ă Paris, le 16 novembre 2022.
Pour lâAutoritĂ© de rĂ©gulation de la
communication audiovisuelle et numérique :
Le président,
R.-O. MAISTRE
Source (PDF) : Décision ARCOM du 16 novembre 2022, n° 2022-704