đŸŸ„ [Extrait] Une publicitĂ© faisant la promotion Ă  des fins commerciales des rencontres extra-conjugales est licite au nom du droit Ă  la libertĂ© d’expression

Faits :

Selon l’arrĂȘt attaquĂ© (Paris, 17 mai 2019), la sociĂ©tĂ© Blackdivine, sociĂ©tĂ© de droit amĂ©ricain, Ă©ditrice du site de rencontres en ligne http: // www. gleeden .com, a procĂ©dĂ© en 2015 Ă  la publicitĂ© de son site par une campagne d’affichage sur les autobus, Ă  Paris et en Ile-de-France. Sur ces affiches figurait une pomme croquĂ©e accompagnĂ©e du slogan : « Le premier site de rencontres extra-conjugales ».

Le 22 janvier 2015, la ConfĂ©dĂ©ration nationale des associations familiales catholiques (CNAFC) a assignĂ© la sociĂ©tĂ© Blackdivine devant le tribunal de grande instance de Paris afin de faire juger nuls les contrats conclus entre celle-ci et les utilisateurs du site Gleeden.com, au motif qu’ils Ă©taient fondĂ©s sur une cause illicite, interdire, sous astreinte, les publicitĂ©s faisant rĂ©fĂ©rence Ă  l’infidĂ©litĂ©, ordonner Ă  la sociĂ©tĂ© Blackdivine de diffuser ses conditions commerciales et ses conditions de protection des donnĂ©es, et la faire condamner au paiement de dommages-intĂ©rĂȘts. Un jugement du 9 fĂ©vrier 2017 a dĂ©clarĂ© la CNAFC pour partie irrecevable et pour partie non fondĂ©e en ses demandes.

En cause d’appel, celle-ci a renoncĂ© Ă  certaines demandes et n’a maintenu que celle relative Ă  la publicitĂ© litigieuse, sollicitant, outre des dommages-intĂ©rĂȘts, qu’il soit ordonnĂ© Ă  la sociĂ©tĂ© Blackdivine, sous astreinte, de cesser de faire rĂ©fĂ©rence, de quelque maniĂšre que ce soit, Ă  l’infidĂ©litĂ© ou au caractĂšre extra-conjugal de son activitĂ©, Ă  l’occasion de ses campagnes de publicitĂ©.

Textes applicables :

L’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertĂ©s fondamentales dispose que :

« 1. Toute personne a droit Ă  la libertĂ© d’expression. Ce droit comprend la libertĂ© d’opinion et la libertĂ© de recevoir ou de communiquer des informations ou des idĂ©es sans qu’il puisse y avoir ingĂ©rence d’autoritĂ©s publiques et sans considĂ©ration de frontiĂšre. Le prĂ©sent article n’empĂȘche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinĂ©ma ou de tĂ©lĂ©vision Ă  un rĂ©gime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertĂ©s comportant des devoirs et des responsabilitĂ©s peut ĂȘtre soumis Ă  certaines formalitĂ©s, conditions, restrictions ou sanctions prĂ©vues par la loi, qui constituent des mesures nĂ©cessaires, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, Ă  l’intĂ©gritĂ© territoriale ou Ă  la sĂ»retĂ© publique, Ă  la dĂ©fense de l’ordre et Ă  la prĂ©vention du crime, Ă  la protection de la santĂ© ou de la morale, Ă  la protection de la rĂ©putation ou des droits d’autrui, pour empĂȘcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autoritĂ© et l’impartialitĂ© du pouvoir judiciaire ».

Aux termes de l’article 212 du code civil, les Ă©poux se doivent mutuellement respect, fidĂ©litĂ©, secours, assistance.

Les principes Ă©thiques et d’autodiscipline professionnelle Ă©dictĂ©s par le code consolidĂ© de la chambre de commerce internationale sur les pratiques de publicitĂ© et de communication commerciale, notamment en ses articles 1 et 4, dont la violation peut ĂȘtre contestĂ©e devant le jury de dĂ©ontologie publicitaire, n’ont pas de valeur juridique contraignante. En effet, si, selon l’article 3 de ce code, les autoritĂ©s judiciaires peuvent l’utiliser Ă  titre de rĂ©fĂ©rence, ce n’est que dans le cadre de la lĂ©gislation applicable.

Raisonnement de la cour d’appel :

L’arrĂȘt Ă©nonce, d’abord, Ă  bon droit, que si les Ă©poux se doivent mutuellement fidĂ©litĂ© et si l’adultĂšre constitue une faute civile, celle-ci ne peut ĂȘtre utilement invoquĂ©e que par un Ă©poux contre l’autre Ă  l’occasion d’une procĂ©dure de divorce.

Il constate, ensuite, en faisant rĂ©fĂ©rence Ă  la dĂ©cision du jury de dĂ©ontologie du 6 dĂ©cembre 2013, que les publicitĂ©s ne proposent en elles-mĂȘmes aucune photo qui pourrait ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme indĂ©cente, ni ne contiennent d’incitation au mensonge ou Ă  la duplicitĂ© mais utilisent des Ă©vocations, des jeux de mots ou des phrases Ă  double sens et la possibilitĂ© d’utiliser le service offert par le site Gleeden, tout un chacun Ă©tant libre de se sentir concernĂ© ou pas par cette proposition commerciale, les slogans Ă©tant de surcroĂźt libellĂ©s avec suffisamment d’ambiguĂŻtĂ© pour ne pouvoir ĂȘtre compris avant un certain Ăąge de maturitĂ© enfantine et n’utilisant aucun vocabulaire qui pourrait, par lui-mĂȘme, choquer les enfants.

Il retient, enfin, que, si la publicitĂ© litigieuse vante l’ « amanturiĂšre  », « la femme mariĂ©e s’accordant le droit de vivre sa vie avec passion » ou se termine par le message « Gleeden, la rencontre extra-conjugale pensĂ©e par des femmes », ce qui pourrait choquer les convictions religieuses de certains spectateurs en faisant la promotion de l’adultĂšre au sein de couples mariĂ©s, l’interdire porterait une atteinte disproportionnĂ©e au droit Ă  la libertĂ© d’expression, qui occupe une place Ă©minente dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique.

Solution de la Cour de cassation [rejet du pourvoi] :

Ayant ainsi fait ressortir l’absence de sanction civile de l’adultĂšre en dehors de la sphĂšre des relations entre Ă©poux, partant, l’absence d’interdiction lĂ©gale de la promotion Ă  des fins commerciales des rencontres extra-conjugales, et, en tout Ă©tat de cause, le caractĂšre disproportionnĂ© de l’ingĂ©rence dans l’exercice du droit Ă  la libertĂ© d’expression que constituerait l’interdiction de la campagne publicitaire litigieuse, la cour d’appel a, par ces seuls motifs, sans confĂ©rer Ă  la dĂ©cision du jury de dĂ©ontologie une portĂ©e qu’elle n’a pas, lĂ©galement justifiĂ© sa dĂ©cision.


Cass. 1civ., 16 décembre 2020, n°19-19.387