🟥 [Extrait] Une demande fondée sur les articles 166, 167 ou 168 CPC doit respecter le principe du contradictoire et ne peut être rétabli à l’occasion d’une audience statuant sur ladite demande

Faits :

Selon l’arrêt attaqué (Rennes, 17 avril 2018), la société AB Yachting, suspectant un détournement de clientèle commis par un ancien salarié, M. X… et la société X… Nautic, dont M. X… est le gérant, a saisi le président d’un tribunal de grande instance d’une requête, accueillie le 17 avril 2017, à fin de voir ordonner une mesure d’instruction sur le fondement de l’article 145 du code de procédure civile.

Par une ordonnance du 20 juillet 2017, le même président a autorisé l’huissier de justice, sur requête de ce dernier agissant en qualité de mandataire de la société AB Yachting, à conserver un disque dur saisi au domicile de M. X….

M. X… et la société X… Nautic ont assigné la société AB Yachting en rétractation des deux ordonnances. Leur demande a été rejetée par une ordonnance d’un juge des référés en date du 19 septembre 2017, dont ils ont interjeté appel.

La société AB Yachting a été placée en liquidation judiciaire le 26 avril 2019, la SELARL Y… étant désignée en qualité de liquidateur.

Argument du requérant :

M. X… fait grief à l’arrêt ayant confirmé l’ordonnance de référé de dire n’y avoir lieu à rétracter l’ordonnance sur requête en date du 20 juillet 2017, alors « que lorsque survient une difficulté au cours de l’exécution d’une mesure d’instruction, le juge saisi sans forme fixe la date pour laquelle les parties et, s’il y a lieu, le technicien commis seront convoqués par le greffier de la juridiction ; qu’aucun texte ne prévoit qu’en la matière le juge soit dispensé de respecter le principe de la contradiction ; qu’en l’espèce, le président du tribunal s’est abstenu de convoquer les parties pour étendre la mission confiée à maître Delaunay ; qu’en retenant néanmoins que le principe de la contradiction avait été rétabli lors de l’audience statuant sur la demande rétractation tout en refusant de rétracter une ordonnance rendue non contradictoirement dans un cas où la loi imposait la convocation des parties, la cour d’appel a violé les articles 16 et 168 du code de procédure civile. »

Textes appliqués :

Vu les articles 14, 16, 166, 167 et 168 du code de procédure civile :

Lorsque le juge chargé du contrôle d’une mesure d’instruction exerce les pouvoirs prévus par les trois derniers de ces textes, il doit respecter le principe de la contradiction et statuer, les parties entendues ou appelées.

Raisonnement de la cour d’appel :

Pour confirmer l’ordonnance de référé du 19 septembre 2017, en ce qu’elle a rejeté la demande de rétractation de l’ordonnance sur requête du 20 juillet 2017, l’arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que s’il est exact que l’ordonnance a été rendue sans convocation des parties, le principe du contradictoire a été respecté dès lors que ces parties, et tout particulièrement M. X…, ont été convoquées et entendues à l’audience statuant sur la demande de rétractation.

Solution de la Cour de cassation :

En statuant ainsi, alors que le juge chargé du contrôle d’une mesure d’instruction avait statué par ordonnance sur requête, la cour d’appel a violé les textes susvisés.

Portée (1) :

Saisi d’une demande fondée sur les articles 166, 167 ou 168 du code de procédure civile, le juge chargé du contrôle ne peut pas statuer par ordonnance sur requête, par nature non contradictoire, le fait que le contradictoire puisse être rétabli par un recours en rétractation étant, à cet égard, indifférent. L’ordonnance qu’il rend en application de l’alinéa 2 de l’article 170 du code de procédure civile, ne pourra être prise qu’à l’issue d’une procédure contradictoire.

C’est la première fois que la Cour de cassation énonce ce principe. En effet, si dans plusieurs arrêts, elle avait déjà marqué une réticence à admettre, dans cette hypothèse, le recours à l’ordonnance sur requête, par nature non contradictoire, elle ne l’avait pas condamné, pour autant, jugeant qu’en cette occurrence, seul le recours en rétractation était possible, conformément droit commun de l’ordonnance sur requête (2e Civ., 24 avril 1989, pourvoi no 88-10.941, Bulletin 1989 II No 98 ; Civ. 2ème 4 juillet 2007, no 05-20.075).

Par un arrêt du 27 juin 2019 (2e Civ., 27 juin 2019, pourvoi no 18-12.194 publié), la deuxième chambre civile avait franchi un pas supplémentaire en jugeant que « La décision d’extension de la mission de l’expert désigné par un juge des référés, rendue à la demande d’une partie sollicitant le respect du principe de la contradiction par le juge du contrôle des expertises ne constitue pas, du seul fait que les parties n’ont été ni entendues ni appelées à l’instance, une ordonnance sur requête rendant l’appel immédiat de la décision irrecevable ».

L’arrêt du 10 décembre 2020 parachève cette évolution en fermant définitivement la voie de l’ordonnance sur requête au juge du contrôle de la mesure d’instruction, saisi dans la phase d’exécution de la décision ordonnant une telle mesure.


Cass. 2civ., 10 décembre 2020, n°18-18.504
(1) Extrait de la note explicative relative à l’arrêt