đŸŸ„ [ProxĂ©nĂ©tisme] Les « camgirls » ou « camboys » qui se livrent Ă  des agissements sexuels moyennant rĂ©munĂ©ration ne sont pas assimilĂ©s Ă  des prostituĂ©s de sorte que les responsables des sites web ne peuvent ĂȘtre poursuivis pour proxĂ©nĂ©tisme

Références

Publication : PUBLIÉ AU BULLETIN
Identifiant : ECLI:FR:CCASS:2022:CR00273

Décision : Rejet
ArrĂȘt : ArrĂȘt n° X 21-82.283 FS-B
Mot clé : proxenetisme
Texte appliqué : Articles 225-5 et 225-6 du code pénal.
Source : Cour de cassation, chambre criminelle, 18 mai 2022, n° 21-82.283

Faits et procédure

1. Il rĂ©sulte de l’arrĂȘt attaquĂ© et des piĂšces de la procĂ©dure ce qui suit.

2. Le 9 décembre 2010, une information judiciaire a été ouverte des chefs susvisés sur plainte avec constitution de partie civile de la [1], en raison de faits constatés sur quatre sites français à caractÚre pornographique.

3. Cette plainte visait, notamment, des comportements consistant, pour des jeunes femmes, à se livrer, devant une caméra, à des agissements à caractÚre sexuel, retransmis en direct par un moyen de communication audiovisuelle à des clients qui les sollicitaient et les rémunéraient par un moyen de paiement à distance.

4. Le 8 juillet 2019, le juge d’instruction a rendu une ordonnance de non-lieu.

5. La partie civile a relevé appel de cette ordonnance.

Moyens

6. Le moyen est pris de la violation des articles 80-1, 186, 207, 591 et 593 du code de procĂ©dure pĂ©nale, dĂ©faut de motifs, manque de base lĂ©gale, dĂ©faut de rĂ©ponse Ă  un chef pĂ©remptoire de conclusions, violation des droits de la dĂ©fense, des articles 225-5, 225-6 et 225-7 du code pĂ©nal, ensemble l’article 6 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, principe du respect des droits de la dĂ©fense et de l’Ă©galitĂ© des armes.

7. Le moyen fait grief Ă  l’arrĂȘt attaquĂ© d’avoir confirmĂ© partiellement l’ordonnance de non-lieu entreprise en ce qu’il y est dit n’y avoir lieu Ă  suivre des chefs de proxĂ©nĂ©tisme aggravĂ© et dĂ©faut de mise en garde quant au contenu pornographique, alors « que la prostitution consiste dans le fait d’employer son corps, moyennant rĂ©munĂ©ration, Ă  la satisfaction des plaisirs du public, quelle que soit la nature des actes accomplis quand bien mĂȘme il n’y a pas de contact physique entre la personne prostituĂ©e et son client ; qu’est qualifiable de proxĂ©nĂ©tisme le fait de tirer profit de la prostitution d’autrui, d’en partager les produits ou de recevoir des subsides d’une personne se livrant habituellement Ă  la prostitution, ou de servir d’intermĂ©diaire dans un tel but ; qu’il y a proxĂ©nĂ©tisme aggravĂ© lorsque le proxĂ©nĂ©tisme est rĂ©alisĂ© grĂące Ă  l’utilisation, pour la diffusion de messages Ă  destination d’un public non dĂ©terminĂ©, d’un rĂ©seau de communication Ă©lectronique ; qu’en l’espĂšce il Ă©tait fait valoir, pour justifier de la demande de poursuite de l’information, que les faits relatifs au site eurolive.com devaient ĂȘtre qualifiĂ©s de prostitution en ce que « les « modĂšles » du site eurolive se livrent, devant une camĂ©ra, Ă  des actes sexuels (y compris de pĂ©nĂ©tration) sur eux-mĂȘmes et/ou sur d’autres « modĂšles », Ă  la demande d’un client qui les rĂ©munĂšre pour assouvir ainsi ses dĂ©sirs sexuels », ce qui laisserait supposer des actes qualifiables de proxĂ©nĂ©tisme aggravĂ© commis ou permis par le responsable lĂ©gal de la structure exploitant ce site, rendant nĂ©cessaire la poursuite de l’information ; qu’en rejetant cette demande, sans analyser en quoi consistait l’exploitation du site litigieux, au seul motif que « la cour qui doit garantir le respect du principe d’interprĂ©tation stricte de la loi pĂ©nale ne s’Ă©cartera pas de la dĂ©finition jurisprudentielle de la prostitution Ă  savoir le contact physique onĂ©reux avec le client pour la satisfaction des besoins sexuels de celui-ci » quand la prostitution ne fait l’objet d’aucune dĂ©finition lĂ©gislative, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris s’est dĂ©terminĂ©e selon un motif inopĂ©rant et a violĂ© les articles prĂ©citĂ©s. »

Réponse de la Cour de cassation

8. Les articles 225-5 et 225-6 du code pĂ©nal incriminent le proxĂ©nĂ©tisme, qui consiste pour quiconque, de quelque maniĂšre que ce soit, Ă  aider ou assister la prostitution d’autrui, protĂ©ger cette activitĂ©, convaincre une personne de s’y livrer, en tirer profit ou en faciliter l’exercice.

9. Afin de dĂ©terminer si un comportement peut ĂȘtre poursuivi au titre du proxĂ©nĂ©tisme, il convient, au prĂ©alable, de dĂ©finir ce qui relĂšve de la prostitution, les dispositions prĂ©citĂ©es ne la dĂ©finissant pas.

10. La Cour de cassation juge que la prostitution consiste Ă  se prĂȘter, moyennant une rĂ©munĂ©ration, Ă  des contacts physiques de quelque nature qu’ils soient, afin de satisfaire les besoins sexuels d’autrui (Crim., 27 mars 1996, pourvoi n° 95-82.016, Bull. crim. 1996 n° 138).

11. Le dĂ©veloppement d’internet a favorisĂ© un phĂ©nomĂšne connu sous le nom de « caming », consistant pour des « camgirls » ou « camboys » Ă  proposer, moyennant rĂ©munĂ©ration, une diffusion d’images ou de vidĂ©os Ă  contenu sexuel, le client pouvant donner Ă  distance des instructions spĂ©cifiques sur la nature du comportement ou de l’acte sexuel Ă  accomplir.

12. Ces comportements n’entrent pas dans le cadre de la dĂ©finition prĂ©citĂ©e, dĂšs lors qu’ils n’impliquent aucun contact physique entre la personne qui s’y livre et celle qui les sollicite, de sorte que l’assimilation de ces comportements Ă  des actes de prostitution suppose une extension de cette dĂ©finition.

13. Or, il apparaĂźt que le lĂ©gislateur n’a pas entendu Ă©tendre cette dĂ©finition, y compris Ă  l’occasion de lois rĂ©centes pĂ©nalisant certains comportements de nature sexuelle.

14. Ainsi, l’article 611-1 du code pĂ©nal, créé par la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016, visant Ă  renforcer la lutte contre le systĂšme prostitutionnel et Ă  accompagner les personnes prostituĂ©es, incrimine le fait de solliciter une personne qui se livre Ă  la prostitution, en prĂ©cisant que ce fait consiste, en Ă©change d’une rĂ©munĂ©ration, Ă  solliciter, accepter ou obtenir des relations de nature sexuelle, ce qui exclut l’incrimination en l’absence de telles relations.

15. Par ailleurs, l’article 227-23-1 du code pĂ©nal, créé par la loi n° 2021-478 du 21 avril 2021, visant Ă  protĂ©ger les mineurs des crimes et dĂ©lits sexuels et de l’inceste, rĂ©prime le fait, pour un majeur, de solliciter auprĂšs d’un mineur la diffusion ou transmission d’images, vidĂ©os ou reprĂ©sentations Ă  caractĂšre pornographique de ce mineur. MĂȘme si la condition d’une rĂ©munĂ©ration n’est pas exigĂ©e pour caractĂ©riser cette infraction, il convient de souligner que le lĂ©gislateur n’a pas employĂ© le terme de prostitution pour qualifier ce comportement, pourtant comparable Ă  celui visĂ© dans la prĂ©sente affaire.

16. En l’Ă©tat de cette Ă©volution lĂ©gislative, dont il rĂ©sulte que la notion de prostitution n’excĂšde pas les limites de la dĂ©finition jurisprudentielle prĂ©citĂ©e, qui n’a pas Ă©tĂ© remise en cause depuis 1996, il n’appartient pas au juge de modifier son apprĂ©ciation dans un sens qui aurait pour effet d’Ă©largir cette dĂ©finition au-delĂ  de ce que le lĂ©gislateur a expressĂ©ment prĂ©vu.

17. Par l’arrĂȘt attaquĂ©, pour dire n’y avoir lieu Ă  suivre du chef de proxĂ©nĂ©tisme aggravĂ©, la chambre de l’instruction retient qu’il lui incombe de garantir le respect du principe d’interprĂ©tation stricte de la loi pĂ©nale et de ne pas s’Ă©carter de la dĂ©finition jurisprudentielle de la prostitution qui implique le contact physique onĂ©reux avec le client pour la satisfaction des besoins sexuels de celui-ci.

18. Les juges ajoutent qu’en l’absence de contact physique avec le client lui-mĂȘme, l’activitĂ© visĂ©e par la plainte se distingue de la prostitution.

19. En l’Ă©tat de ces motifs, la chambre de l’instruction, qui a rĂ©pondu comme elle le devait aux articulations essentielles du mĂ©moire de la partie civile, a justifiĂ© sa dĂ©cision sans encourir les griefs allĂ©guĂ©s.

20. DĂšs lors, le moyen doit ĂȘtre Ă©cartĂ©.

21. Par ailleurs l’arrĂȘt est rĂ©gulier en la forme.

Dispositif 

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-huit mai deux mille vingt-deux.