Au sommaire :
Références
NOR : ARTT2325713V
Source : JORF n°0224 du 27 septembre 2023, texte n° 101
En-tĂȘte
L’AutoritĂ© de rĂ©gulation des communications Ă©lectroniques, des postes et de la distribution de la presse (ci-aprĂšs « l’AutoritĂ© » ou « l’ARCEP »),
Vu le code des postes et des communications électroniques (ci-aprÚs « CPCE »), notamment ses articles L. 32-1 et L. 36-5 ;
Vu la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’Ă©conomie numĂ©rique (ci-aprĂšs « LCEN »), notamment ses articles 6, 6-1 et 6-3 ;
Vu la loi n° 2021-1109 du 14 août 2021 confortant le respect des principes de la République, notamment son article 39 ;
Vu le dĂ©cret n° 2015-125 en date du 5 fĂ©vrier 2015 relatif au blocage des sites provoquant Ă des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et des sites diffusant des images et reprĂ©sentations de mineurs Ă caractĂšre pornographique ;
Vu l’avis n° 2015-0001 de l’ARCEP en date du 20 janvier 2015 sur le dĂ©cret relatif Ă la protection des internautes contre les sites provoquant Ă des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et les sites diffusant des images et reprĂ©sentations de mineurs Ă caractĂšre pornographique, pris pour l’application de l’article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 modifiĂ©e pour la confiance dans l’Ă©conomie numĂ©rique ;
Vu le courrier en date du 16 janvier 2023, enregistrĂ© par l’AutoritĂ© le 20 janvier 2023, par lequel la directrice des libertĂ©s publiques et des affaires juridiques du ministĂšre de l’intĂ©rieur et des outre-mer a saisi l’ARCEP, pour avis, d’un projet de dĂ©cret relatif au blocage et au dĂ©rĂ©fĂ©rencement « des sites miroirs », pris en application de l’article 6-3 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’Ă©conomie numĂ©rique ;
Avis
AprÚs en avoir délibéré le 16 février 2023,
1. Contexte de la saisine
L’article L. 36-5 du code des postes et des communications Ă©lectroniques prĂ©voit que l’ARCEP est consultĂ©e sur les projets de loi, de dĂ©cret ou de rĂšglement relatifs au secteur des communications Ă©lectroniques, et participe Ă leur mise en Ćuvre.
Par courrier en date du 16 janvier 2023, enregistrĂ© par l’AutoritĂ© le 20 janvier 2023, la directrice des libertĂ©s publiques et des affaires juridiques du ministĂšre de l’intĂ©rieur et des outre-mer a sollicitĂ© l’avis de l’AutoritĂ© sur un projet de dĂ©cret relatif au blocage et dĂ©rĂ©fĂ©rencement des « sites miroirs » en application de l’article 6-3 de la loi n° 2004-575 en date du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’Ă©conomie numĂ©rique (LCEN) tel que crĂ©Ă© par la loi n° 2021-1109 du 24 aoĂ»t 2021 confortant le respect des principes de la RĂ©publique.
L’analyse de l’ARCEP sur les dispositions qui lui ont Ă©tĂ© soumises se concentre exclusivement sur ce qui pourrait avoir un impact, d’une part, sur le bon fonctionnement des rĂ©seaux et des services de communications Ă©lectroniques et sur les acteurs qu’elle rĂ©gule et, d’autre part, sur la sĂ©curitĂ© juridique dont doivent bĂ©nĂ©ficier les opĂ©rateurs dans la mise en Ćuvre des dispositifs envisagĂ©s.
2. Cadre juridique
L’article 6-3 de la LCEN prĂ©voit notamment que : « [l]orsqu’une dĂ©cision judiciaire exĂ©cutoire a ordonnĂ© toute mesure propre Ă empĂȘcher l’accĂšs Ă un service de communication au public en ligne dont le contenu relĂšve des infractions prĂ©vues au 7 du I de l’article 6 (1), l’autoritĂ© administrative, saisie le cas Ă©chĂ©ant par toute personne intĂ©ressĂ©e, peut demander aux personnes mentionnĂ©es aux 1 ou 2 du mĂȘme I (2) ou Ă toute personne ou catĂ©gorie de personnes visĂ©e par cette dĂ©cision judiciaire, pour une durĂ©e ne pouvant excĂ©der celle restant Ă courir pour les mesures ordonnĂ©es par cette dĂ©cision judiciaire, d’empĂȘcher l’accĂšs Ă tout service de communication au public en ligne qu’elle aura prĂ©alablement identifiĂ© comme reprenant le contenu du service mentionnĂ© par ladite dĂ©cision, en totalitĂ© ou de maniĂšre substantielle. [âŠ] »
3. Présentation du projet de décret
Le projet de dĂ©cret dĂ©finit les modalitĂ©s de blocage et de dĂ©rĂ©ferencement des « sites miroirs » que les fournisseurs d’accĂšs Ă internet, hĂ©bergeurs ou toute personne ou catĂ©gorie de personnes visĂ©e par une dĂ©cision judiciaire exĂ©cutoire, ainsi que tout exploitant d’un service reposant sur le classement ou le rĂ©fĂ©rencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus proposĂ©s ou mis en ligne par des tiers, doivent mettre en Ćuvre afin d’empĂȘcher l’accĂšs Ă un service de communication au public en ligne identifiĂ© comme reprenant le contenu du service mentionnĂ© par ladite dĂ©cision, en totalitĂ© ou de maniĂšre substantielle.
Le projet de dĂ©cret dĂ©signe l’office central de lutte contre la criminalitĂ© liĂ©e aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) comme autoritĂ© administrative mentionnĂ©e Ă l’article 6-3 de la LCEN.
L’article 2 du projet de dĂ©cret prĂ©voit les modalitĂ©s de transmission des copies de dĂ©cisions judiciaires executoires prises en application du 8 du I de l’article 6 de la LCEN Ă l’OCLTIC.
L’article 3 du projet de dĂ©cret prĂ©cise les modalitĂ©s de saisine de l’OCLCTIC par « toute personne intĂ©ressĂ©e ».
L’article 4 du projet de dĂ©cret prĂ©voit que l’OCLCTIC « identifie le service de communication au public en ligne qui reprend le contenu du service dĂ©signĂ© par la dĂ©cision judiciaire exĂ©cutoire, en totalitĂ© ou de maniĂšre substantielle, et transmet ces donnĂ©es d’identification, par un moyen sĂ©curisĂ© qui en garantit la confidentialitĂ© et l’intĂ©gritĂ©, aux personnes mentionnĂ©es au 1 et 2 du I de l’article 6 de la mĂȘme loi, et le cas Ă©chĂ©ant Ă toute personne ou catĂ©gorie de personnes visĂ©es par la dĂ©cision judiciaire ou Ă tout exploitant d’un service reposant sur le classement ou le rĂ©fĂ©rencement, au moyen d’algorithmes informatiques, de contenus proposĂ©s ou mis en ligne par des tiers ».
L’article 5 du projet de dĂ©cret prĂ©voit que ces personnes « empĂȘchent par tout moyen appropriĂ© l’accĂšs au contenu identifiĂ© [âŠ] et le transfert vers ce contenu ou prennent toute mesure utile destinĂ©e Ă faire cesser le rĂ©fĂ©rencement de ce service pour une durĂ©e ne pouvant excĂ©der celle restant Ă courir en application de la dĂ©cision judiciaire ». Les fournisseurs d’accĂšs Ă internet (ci-aprĂšs « FAI ») « [âŠ] dirigent les utilisateurs des services de communication au public en ligne auxquels l’accĂšs est empĂȘchĂ© vers une page d’information du ministĂšre de l’intĂ©rieur, indiquant la mesure de blocage ou de dĂ©rĂ©fĂ©rencement ».
4. Observations de l’ARCEP
A titre liminaire, l’ARCEP rappelle que plusieurs dispositions prĂ©voient des obligations de blocage de sites par les fournisseurs d’accĂšs Ă internet, notamment pour bloquer l’accĂšs Ă une activitĂ© d’offre de paris ou de jeux d’argent et de hasard en ligne non autorisĂ©e (3) ou encore en cas de non-retrait d’un contenu relatif Ă la provocation Ă des actes terroristes ou Ă la diffusion des images ou des reprĂ©sentations de mineurs par les Ă©diteurs ou hĂ©bergeurs, dont les modalitĂ©s sont fixĂ©es par l’article 6-1 de la LCEN et le dĂ©cret n° 2015-125 en date du 5 fĂ©vrier 2015, pour lequel l’AutoritĂ© avait rendu un avis (4).
L’AutoritĂ© relĂšve que le prĂ©sent projet de dĂ©cret, pris en application de l’article 6-3 de la LCEN, vise, dans la pratique, Ă Ă©tendre l’obligation de blocage et de dĂ©rĂ©fĂ©rencement existante pour certains contenus, ayant fait l’objet d’une dĂ©cision judiciaire (5), Ă des « sites miroirs » sur demande d’une autoritĂ© administrative, lorsque celle-ci est saisie par toute personne intĂ©ressĂ©e.
L’ARCEP souhaite rappeler l’importance d’harmoniser les modalitĂ©s de mise en Ćuvre de ces diffĂ©rentes dispositions de blocage de sites par les FAI. En effet, la technique de blocage « DNS » est dĂ©jĂ employĂ©e par les FAI pour procĂ©der aux blocages de sites dans le cadre d’injonctions de l’autoritĂ© judiciaire dans plusieurs contextes et constitue donc le moyen technique appropriĂ© pour la mise en oeuvre de cette obligation.
A cet Ă©gard, l’AutoritĂ© note que la mĂ©thode d’identification des « sites miroirs » Ă bloquer n’est pas prĂ©cisĂ©e et souhaite rappeler, comme indiquĂ© dans son avis n° 2015-0001, que le fait d’imposer aux FAI d’empĂȘcher l’accĂšs « par tout moyen appropriĂ© » ne devrait cependant pas conduire Ă faire peser sur ces acteurs une obligation qui leur impose de mettre en Ćuvre des dispositifs autres que les moyens de blocage usuels. En particulier, il ne serait ni raisonnable ni proportionnĂ© que ce nouveau dispositif revienne Ă exiger des FAI qu’ils garantissent l’impossibilitĂ© pour les internautes de recourir Ă des mĂ©thodes de contournement pour accĂ©der aux services fournis par les adresses Ă©lectroniques concernĂ©es, ou qu’ils soient soumis, en contradiction avec les dispositions du 7° de l’article 6 de la LCEN, Ă une « obligation gĂ©nĂ©rale de surveiller les informations qu'[ils] transmettent ou stockent [ou] Ă une obligation gĂ©nĂ©rale de rechercher des faits ou des circonstances rĂ©vĂ©lant des activitĂ©s illicites ».
L’AutoritĂ© invite Ă©galement le Gouvernement Ă remplacer la terminologie « donnĂ©es d’identification » des « sites miroirs » Ă bloquer par celle utilisĂ©e Ă l’article 6-3 de la LCEN qui traite des « adresses Ă©lectroniques des services de communication au public en ligne » ainsi que prĂ©ciser, Ă l’instar de ce qui est prĂ©vu dans le dispositif en vigueur dans le cadre du dĂ©cret n° 2015-125 pris en application de l’article 6-1 de la LCEN, que les « adresses Ă©lectroniques des services de communication au public en ligne [âŠ] comportent soit un nom de domaine (DNS), soit un nom d’hĂŽte caractĂ©rise par un nom de domaine prĂ©cĂ©dĂ© d’un nom de serveur ».
Par ailleurs, l’AutoritĂ© relĂšve que le texte ne prĂ©voit pas le dĂ©lai dans lequel les FAI doivent mettre en Ćuvre le blocage aprĂšs transmission des « donnĂ©es d’identification » par l’OCLCTIC et estime qu’il convient de le prĂ©ciser, comme cela est Ă©galement prĂ©vu par dans le dĂ©cret de 2015, en prĂ©voyant un dĂ©lai raisonnable afin que les FAI puissent procĂ©der Ă l’intĂ©gration de ces nouvelles dispositions Ă leur processus actuel .
Enfin, l’AutoritĂ© invite le Gouvernement Ă prĂ©voir un dispositif de mesures de compensation prĂ©voyant notamment une juste rĂ©munĂ©ration des Ă©ventuels surcoĂ»ts qui pourraient rĂ©sulter des obligations issues du prĂ©sent dĂ©cret mises Ă la charge des FAI.
5. Conclusion
L’AutoritĂ© partage pleinement l’objectif du Gouvernement de lutter contre les infractions prĂ©vues au 7 du I de l’article 6 de la LCEN. Elle invite nĂ©anmoins le Gouvernement Ă :
– veiller, dans un souci de cohĂ©rence, Ă l’harmonisation des modalitĂ©s de mise en Ćuvre des diffĂ©rentes dispositions de blocage de sites par les FAI ;
– veiller Ă ce que le fait d’imposer aux FAI d’empĂȘcher l’accĂšs « par tout moyen appropriĂ© » ne fasse pas peser sur ces derniers une obligation qui leur imposerait de mettre en Ćuvre des dispositifs autres que les moyens de blocage usuels ;
– remplacer la terminologie « donnĂ©es d’identification » par celle utilisĂ©e Ă l’article 6-3 de la LCEN qui traite des « adresses Ă©lectroniques des services de communication au public en ligne » ;
– prĂ©ciser le dĂ©lai dans lequel les acteurs doivent mettre en Ćuvre le blocage aprĂšs transmission des « donnĂ©es d’identification » par l’OCLCTIC ;
– prĂ©voir un dĂ©lai raisonnable de mise en Ćuvre du dispositif par les FAI ;
– prĂ©voir un dispositif de mesures de compensation prĂ©voyant notamment une juste rĂ©munĂ©ration des Ă©ventuels surcoĂ»ts qui pourraient rĂ©sulter des obligations issues du prĂ©sent dĂ©cret mises Ă la charge des FAI.
Le prĂ©sent avis sera transmis Ă la directrice des libertĂ©s publiques et des affaires juridiques du ministĂšre de l’intĂ©rieur et des outre-mer et sera publiĂ© au Journal officiel de la RĂ©publique française.
Date et signature(s)
Fait à Paris, le 16 février 2023.
La présidente,
L. de La RaudiĂšre
(1) Le 3e alinĂ©a du 7 du I de l’article 6 de la LCEN vise les « infractions visĂ©es aux cinquiĂšme, septiĂšme et huitiĂšme alinĂ©as de l’article 24 et Ă l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse et aux articles 222-33, 222-33-2-3, 225-4-1, 225-4-13, 225-5, 225-6, 227-23 et 227-24 et 421-2-5 du code pĂ©nal. »
(2) Fournisseurs d’accĂšs Ă internet et hĂ©bergeurs.
(3) DĂ©cret n° 2011-2122 du 30 dĂ©cembre 2011 relatif aux modalitĂ©s d’arrĂȘt de l’accĂšs Ă une activitĂ© d’offre de paris ou de jeux d’argent et de hasard en ligne non autorisĂ©e.
(4) DĂ©cret n° 2015-125 du 5 fĂ©vrier 2015 relatif au blocage des sites provoquant Ă des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie et des sites diffusant des images et reprĂ©sentations de mineurs Ă caractĂšre pornographique et avis n° 2015-0001 de l’ARCEP en date du 20 janvier 2015.
(5) Relatives aux « infractions visĂ©es aux cinquiĂšme, septiĂšme et huitiĂšme alinĂ©as de l’article 24 et Ă l’article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la libertĂ© de la presse et aux articles 222-33, 222-33-2-3, 225-4-1, 225-4-13, 225-5, 225-6, 227-23 et 227-24 et 421-2-5 du code pĂ©nal ».