đŸŸ„ Une personne peut refuser le prĂ©lĂšvement de ses empreintes gĂ©nĂ©tiques dĂšs lors que le texte contrevient Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’homme sans que la cour d’appel ne puisse invoquer un texte ultĂ©rieur

Références

Publication : PUBLIÉ AU BULLETIN
Identifiant : ECLI:FR:CCASS:2021:CR01512
DĂ©cision : Cassation sans renvoi
ArrĂȘt : ArrĂȘt n° M 20-84.201 F-B
Mot clé : fichier national automatise des empreintes génétiques, refus de se soumettre à un prélÚvement biologique
Texte appliquĂ© : Articles 8 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, 112-1 du code pĂ©nal, 706-54 Ă  706-56 et R. 53-14 du code de procĂ©dure pĂ©nale.
Source : Cour de cassation, chambre criminelle, 8 décembre 2021, n° 20-84.201

Faits et procédure

1. Il rĂ©sulte de l’arrĂȘt attaquĂ© et des piĂšces de procĂ©dure ce qui suit.

2. Par jugement devenu dĂ©finitif du 25 juin 2014, le tribunal correctionnel a dĂ©clarĂ© M. [S] [V] coupable de vol de six bouteilles de champagne dans un supermarchĂ© le 30 dĂ©cembre 2013, lesquelles auraient Ă©tĂ© restituĂ©es en caisse, et l’a condamnĂ© Ă  500 euros d’amende. Il l’a par ailleurs condamnĂ© Ă  quinze jours d’emprisonnement avec sursis pour refus de se soumettre au prĂ©lĂšvement biologique destinĂ© Ă  l’identification de son empreinte gĂ©nĂ©tique par une personne soupçonnĂ©e d’infraction entraĂźnant l’inscription au fichier national automatisĂ© des empreintes gĂ©nĂ©tiques (FNAEG).

3. Ayant Ă©tĂ© convoquĂ© aux fins de prĂ©lĂšvement par les services de police, Ă  deux reprises, sur instructions du procureur de la RĂ©publique, il a Ă©tĂ© convoquĂ© devant le tribunal correctionnel, pour avoir refusĂ© de se soumettre, Ă  nouveau le 27 dĂ©cembre 2017, Ă  un prĂ©lĂšvement biologique destinĂ© Ă  permettre l’analyse et l’identification de l’empreinte gĂ©nĂ©tique, qui l’a dĂ©clarĂ© coupable des faits qui lui Ă©taient reprochĂ©s et, en rĂ©pression, l’a condamnĂ© Ă  une peine de quatre-vingt-dix jours-amende Ă  4 euros, par jugement du 6 juillet 2018.

4. M. [V] a interjeté appel, à titre principal, et le ministÚre public, à titre incident.

Moyens

5. Le moyen du mĂ©moire personnel critique l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’il a dĂ©clarĂ© M. [V] coupable de refus de se soumettre Ă  un prĂ©lĂšvement biologique alors que la rĂ©forme introduisant la possibilitĂ© d’un effacement de l’inscription de donnĂ©es dans le fichier FNAEG Ă©tant intervenue postĂ©rieurement aux faits reprochĂ©s Ă  M. [V], la cour d’appel ne pouvait pas, sans violer l’article 112-1 du code pĂ©nal, retenir cette circonstance pour Ă©carter les conclusions d’inconventionnalitĂ© de ce fichier et de la procĂ©dure visant Ă  recueillir et conserver ses donnĂ©es gĂ©nĂ©tiques.

6. Le moyen du mĂ©moire ampliatif critique l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’il a dĂ©clarĂ© M. [V] coupable de refus de se soumettre Ă  un prĂ©lĂšvement biologique destinĂ© Ă  permettre l’analyse et l’identification de l’empreinte gĂ©nĂ©tique alors qu’il a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© coupable d’un dĂ©lit entraĂźnant l’inscription au fichier national automatisĂ© des empreintes gĂ©nĂ©tiques et l’a condamnĂ© de ce chef Ă  une peine de quatre-vingt-dix jours-amende Ă  4 euros, alors :

« 1°/ que sauf application immĂ©diate d’une loi pĂ©nale plus douce, l’Ă©lĂ©ment lĂ©gal de l’infraction s’apprĂ©cie au jour oĂč les faits ont Ă©tĂ© commis ; qu’au cas d’espĂšce, M. [V], poursuivi pour un refus de prĂ©lĂšvement biologique intervenu le 27 dĂ©cembre 2017, faisait valoir qu’Ă  cette date, les rĂšgles rĂ©gissant ces prĂ©lĂšvements Ă©taient insuffisamment protectrices du droit Ă  la vie privĂ©e garanti par l’article 8 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme compte tenu notamment de la durĂ©e de conservation et des conditions d’effacement des empreintes recueillies ; qu’en se fondant, pour dĂ©clarer M. [V] coupable, sur les possibilitĂ©s d’effacement ouvertes par l’article 706-54-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale, issu de l’article 85 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, postĂ©rieures aux faits qui lui Ă©taient reprochĂ©s, la cour d’appel a violĂ© les articles 8 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, 112-1, 706-54, 706-54-1, 706-55, 706-56 du code pĂ©nal, 591 et 593 du code de procĂ©dure pĂ©nale.

2°/ qu’une loi ne peut entrer en vigueur en dĂ©pit de l’absence d’Ă©diction des dĂ©crets d’application qu’elle prĂ©voit que lorsqu’elle est suffisamment prĂ©cise par elle-mĂȘme ; qu’au cas d’espĂšce, l’article 85 de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 qui a introduit dans le code de procĂ©dure pĂ©nale l’article 706-54-1 prĂ©voyant la possibilitĂ© d’un effacement des empreintes gĂ©nĂ©tiques renvoie Ă  un dĂ©cret en Conseil d’Etat pris aprĂšs avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertĂ©s la fixation du dĂ©lai Ă  compter duquel l’effacement peut ĂȘtre demandĂ© par la personne concernĂ©e ; qu’en affirmant, pour entrer en voie de condamnation Ă  l’encontre de M. [V], qu’ « il ne saurait s’induire de ce que le dĂ©cret d’application n’est pas encore intervenu que ces nouvelles dispositions lĂ©gislatives n’ouvriraient pas une possibilitĂ© concrĂšte de demande d’effacement, cette possibilitĂ© pouvant s’exercer par la suite », quand l’absence de fixation du dĂ©lai au terme duquel l’effacement peut ĂȘtre sollicitĂ© rend inapplicable la disposition prĂ©voyant le principe de l’effacement, la cour d’appel a de ce chef violĂ© les articles 8 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, 706-54, 706-54-1, 706-55, 706-56 du Code pĂ©nal, 591 et 593 du code de procĂ©dure pĂ©nale.»

RĂ©ponse de la Cour de cassation

7. Les moyens sont réunis.

8. Vu les articles 8 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, 112-1 du code pĂ©nal, 706-54 Ă  706-56 et R. 53-14 du code de procĂ©dure pĂ©nale :

9. Selon l’article 8 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, toute personne a droit au respect de sa vie privĂ©e et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir d’ingĂ©rence d’une autoritĂ© publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingĂ©rence est prĂ©vue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, est nĂ©cessaire Ă  la sĂ©curitĂ© nationale, Ă  la sĂ»retĂ© publique, au bien-ĂȘtre Ă©conomique du pays, Ă  la dĂ©fense de l’ordre et Ă  la prĂ©vention des infractions pĂ©nales, Ă  la protection de la santĂ© ou de la morale, ou Ă  la protection des droits et libertĂ©s d’autrui.

10. La Cour europĂ©enne des droits de l’homme a jugĂ© (CEDH, arrĂȘt du 22 septembre 2017, Aycaguer c. France, n° 8806/12) que la conservation des empreintes gĂ©nĂ©tiques d’une personne condamnĂ©e ou soupçonnĂ©e constitue une ingĂ©rence dans sa vie privĂ©e, qui est lĂ©gitime pour assurer la prĂ©vention et la rĂ©pression des infractions, Ă  condition d’ĂȘtre prĂ©vue par la loi et assortie de garanties au profit des personnes dont les donnĂ©es sont ainsi conservĂ©es, qui doivent pouvoir, en particulier, mĂȘme si elles sont condamnĂ©es, bĂ©nĂ©ficier d’une possibilitĂ© concrĂšte d’obtenir l’effacement du fichier des donnĂ©es les concernant.

11. Selon l’article 706-54 du code de procĂ©dure pĂ©nale, les empreintes gĂ©nĂ©tiques des personnes condamnĂ©es pour l’une des infractions visĂ©es Ă  l’article 706-55 du mĂȘme code, parmi lesquelles figure le vol, sont conservĂ©es dans un fichier national automatisĂ© des empreintes gĂ©nĂ©tiques.

12. Selon l’article 706-54-1 du mĂȘme code, issu de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, les empreintes gĂ©nĂ©tiques des personnes condamnĂ©es peuvent ĂȘtre retirĂ©es du fichier, sur instruction du procureur de la RĂ©publique, agissant Ă  la demande de la personne intĂ©ressĂ©e. A peine d’irrecevabilitĂ©, celle-ci ne peut former une demande d’effacement qu’Ă  l’issue d’un dĂ©lai dĂ©terminĂ© par un dĂ©cret en Conseil d’Etat pris aprĂšs avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertĂ©s.

13. Pour dĂ©clarer le demandeur coupable de refus de se soumettre Ă  un prĂ©lĂšvement destinĂ© Ă  identifier son empreinte gĂ©nĂ©tique, la cour d’appel Ă©nonce qu’aprĂšs avoir Ă©tĂ© condamnĂ© pour vol, par jugement du 25 juin 2014, il a refusĂ©, le 27 dĂ©cembre 2017, de se soumettre au prĂ©lĂšvement biologique destinĂ© Ă  identifier son empreinte gĂ©nĂ©tique.

14. Pour rĂ©pondre au demandeur qui soutenait qu’il avait refusĂ© de se soumettre au prĂ©lĂšvement demandĂ© car les dispositions internes rĂ©gissant la conservation des empreintes gĂ©nĂ©tiques lui paraissaient mĂ©connaĂźtre les exigences de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, les juges Ă©noncent que les dispositions internes satisfont dĂ©sormais aux exigences de ladite Convention, l’article 706-54-1 du code de procĂ©dure pĂ©nale, issu de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, offrant aux personnes condamnĂ©es la facultĂ© de demander au procureur de la RĂ©publique l’effacement de leurs empreintes gĂ©nĂ©tiques du fichier national automatisĂ© oĂč elles sont inscrites.

15. En prononçant ainsi, la cour d’appel a mĂ©connu les textes susvisĂ©s.

16. En effet, la conformitĂ© Ă  la Convention europĂ©enne des droits de l’homme du dispositif interne de conservation des empreintes gĂ©nĂ©tiques Ă  la date du 27 dĂ©cembre 2017, Ă  laquelle l’intĂ©ressĂ© a refusĂ© de se soumettre au prĂ©lĂšvement biologique, ne pouvait ĂȘtre apprĂ©ciĂ©e en prenant en considĂ©ration un texte ultĂ©rieur.

17. Au surplus, le dispositif interne de prĂ©lĂšvement et de conservation des empreintes gĂ©nĂ©tiques n’est devenu conforme Ă  cette Convention qu’avec l’entrĂ©e en vigueur du dĂ©cret n° 2021-1402 du 29 octobre 2021, qui fixe le dĂ©lai Ă  l’expiration duquel les personnes condamnĂ©es peuvent solliciter l’effacement de leurs empreintes gĂ©nĂ©tiques.

18.La cassation est par conséquent encourue.

Dispositif 

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrĂȘt susvisĂ© de la cour d’appel de Paris, en date du 1er juillet 2020 ;

DIT n’y avoir lieu Ă  RENVOI ;

RAPPELLE que, du fait de la présente décision, le jugement de premiÚre instance perd toute force exécutoire ;

ORDONNE l’impression du prĂ©sent arrĂȘt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Paris et sa mention en marge ou Ă  la suite de l’arrĂȘt annulĂ© ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit décembre deux mille vingt et un.