Au sommaire :
 I- Préambule historique
La présence des appareils d’enregistrement lors des audiences a connu une certaine évolution. Durant la première moitié du vingtième siècle, les journalistes pouvaient librement enregistrer les audiences sauf si, dans de rares cas, le président du tribunal s’y opposait.
L’un des éléments de motivation qui sous-tendait la présence d’un tel dispositif était de caractère dissuasif, croyait-on, des comportements criminels ou délictueux.
Cependant, des voix ont dénoncé les excès d’une telle présence comme portant atteinte à la sérénité des débats. Jean Minjoz, rapporteur à l’Assemblée national, disait à cette époque :
« La présence des appareils photographiques et les prises de vues troublent également l’ordre de l’audience et font d’un procès un spectacle nuisible à la sérénité et à la dignité des débats de la justice. La reproduction de ces photographies dans la presse alimente une curiosité malsaine et donne à des criminels et des délinquants une publicité de mauvais aloi. Si l’on objecte que la présence des photographes, et bientôt peut-être d’appareils de télévision et de radiodiffusion, est une conséquence du principe de la publicité de l’audience et des débats, il importe de remarquer que cette publicité est suffisamment assurée par la présence du public dans la salle d’audience, dans tous les cas où un huis clos n’a pas été ordonné conformément à la loi ».
Rapport n° 7728 (Assemblée nationale – IIème législature) de Jean Minjoz, fait au nom de la commission de la justice et de législation, 11 février 1954.
En conséquence, le 6 décembre 1954, une loi a été votée prévoyant une interdiction de « l’emploi de tout appareil d’enregistrement sonore, caméra de télévision ou de cinéma (…). Sauf autorisation donnée, à titre exceptionnel par le garde des Sceaux, ministre de la Justice, la même interdiction est applicable à l’emploi des appareils photographiques ».
Les lois postérieures ont assoupli l’interdiction en donnant pouvoir au président de la formation du jugement, et non plus au ministre, la possibilité d’autoriser les prises de vues. Cependant, le champ de l’interdiction s’est trouvé élargi puisque la loi englobe « tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image ».
II- Contexte de la décision
Un journal a publié les photographies d’un accusé avec ses avocats, d’un co-accusé et d’un témoin prises au cours d’audiences de la cour d’assises de Paris. La directrice de publication du journal se voit alors poursuivie et condamnée à 4000euros d’amende, ramenée à 2000euros en appel. C’est dans le cadre d’un pourvoi en cassation que la requérante décide de soulever la QPC suivante :
Les dispositions de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881, qui interdisent dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image, portent-elles atteinte au principe de nécessité des délits et des peines garanti aux articles 5 et 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et limitent-elles la liberté de communication garantie à l’article 11 de ce texte de manière nécessaire, adaptée et proportionnée, alors qu’elles érigent en infraction pénale la captation de sons et d’images effectuée par des journalistes au cours d’un procès, qui est pourtant susceptible d’être effectuée sans troubler la sérénité des débats, sans porter une atteinte excessive aux droits des parties, ni menacer l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ? ».
III- Analyse de la décision
Dans une QPC en date du 6 décembre 2019 (1), le Conseil Constitutionnel a eu l’occasion d’apprécier la validité de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881.
Cet article est rédigé en ces termes :
Dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image est interdit. Le président fait procéder à la saisie de tout appareil et du support de la parole ou de l’image utilisés en violation de cette interdiction.
Toutefois, sur demande présentée avant l’audience, le président peut autoriser des prises de vues quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent.
Toute infraction aux dispositions du présent article sera punie de 4 500 euros d’amende. Le tribunal pourra en outre prononcer la confiscation du matériel ayant servi à commettre l’infraction et du support de la parole ou de l’image utilisé.
Est interdite, sous les mêmes peines, la cession ou la publication, de quelque manière et par quelque moyen que ce soit, de tout enregistrement ou document obtenu en violation des dispositions du présent article.
Les requérantes reprochent à l’article le caractère général de l’interdiction en ce qu’il n’est pas tenu compte :
- De l’évolution des techniques de captation et d’enregistrement qui, couplées au pouvoir de police de l’audience du président de la juridiction, suffiraient à assurer la sérénité des débats, la protection des droits des personnes et l’impartialité des magistrats.
- Des exceptions liées à la liberté d’expression des journalistes et du « droit du public de recevoir des informations d’intérêt général ».
Pour répondre, les juges constitutionnels procèdent, tout d’abord, à une interprétation téléologique du texte.
Le législateur a, d’une part, entendu garantir la sérénité des débats vis-à -vis des risques de perturbations liés à l’utilisation de ces appareils. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice. D’autre part, il a également entendu prévenir les atteintes que la diffusion des images ou des enregistrements issus des audiences pourrait porter au droit au respect de la vie privée des parties au procès et des personnes participant aux débats, à la sécurité des acteurs judiciaires et, en matière pénale, à la présomption d’innocence de la personne poursuivie.
Ensuite, constatant que les appareils peuvent ne pas perturber « en eux-mêmes » le déroulement des débats, les juges constitutionnels relèvent que l’évolution des moyens de communication « est susceptible de conférer à cette diffusion un retentissement important (ndlr : sous-entendez le « buzz » ou « ramdam ») qui amplifie le risque d’une atteinte portée aux intérêts précités ».
Enfin, s’agissant de l’absence d’exception prévue par le texte, le Conseil constitutionnel considère que la disposition ne prive pas le public (y compris les journalistes) qui assiste aux audiences de rendre compte des débats par tout autre moyen, y compris pendant leur déroulement, sous réserve du pouvoir de police du président de la formation de jugement.
En conséquence, les juges considèrent que la disposition est conforme à la Constitution.
L’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 :
- Respecte l’article 11 de la DDHC de 1789 puisque l’atteinte à la liberté d’expression et de communication est nécessaire, adaptée et proportionnée aux objectifs poursuivis.
- Ne méconnait pas le principe de nécessité des délits et des peines ni aucun autres droit ou liberté que la Constitution garantit.
1: Décision n° 2019-817 QPC du 6 décembre 2019