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Références
Publication : PUBLIĂ AU BULLETIN
Identifiant : ECLI:FR:CCASS:2022:CR01558
DĂ©cision : Cejet
ArrĂȘt : n° Z 22-80.610 F-B
Mot clé : Extradition
Source : Cour de cassation, chambre criminelle, 13 décembre 2022, n°22-80.610
Faits et procédure
1. Il rĂ©sulte de l’arrĂȘt attaquĂ© et des piĂšces de la procĂ©dure ce qui suit.
2. Le 25 novembre 2020, les autoritĂ©s de la FĂ©dĂ©ration de Russie ont formĂ©, sur le fondement d’un mandat d’arrĂȘt dĂ©livrĂ© le 28 juin 2018 par le tribunal du district de Moscou Presnensky, une demande d’extradition de M. [D] [N], ressortissant russe, aux fins de poursuites pĂ©nales des chefs d’enlĂšvement, sĂ©questration et extorsion, faits commis le 19 aoĂ»t 2014 dans la rĂ©gion de [LocalitĂ© 1].
3. L’intĂ©ressĂ© a dĂ©clarĂ© ne pas consentir Ă sa remise.
4. Par trois arrĂȘts avant dire droit, la chambre de l’instruction a sursis Ă statuer, d’abord dans l’attente de la dĂ©cision de la Cour nationale du droit d’asile sur le recours de M. [N], puis aux fins de complĂ©ment d’information sur les conditions de dĂ©tention susceptibles d’ĂȘtre appliquĂ©es Ă la personne rĂ©clamĂ©e.
Examen du moyen
5. Le moyen critique l’arrĂȘt attaquĂ© en ce qu’il a Ă©mis un avis favorable Ă l’extradition de M. [N] vers la FĂ©dĂ©ration de Russie, alors :
« 1°/ que l’Etat français doit refuser l’extradition de toute personne Ă qui il ne peut ĂȘtre garanti que ses droits et libertĂ©s fondamentaux seront respectĂ©s ; que la FĂ©dĂ©ration de Russie cessant d’ĂȘtre une Haute Partie contractante Ă la Convention europĂ©enne des droits de l’homme Ă compter du 16 septembre 2022 ; qu’en ce qu’il est fondĂ© sur l’engagement solennel des autoritĂ©s russes de respecter les droits et libertĂ©s fondamentaux garantis par la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, l’arrĂȘt, qui se trouve privĂ© de fondement juridique, ne satisfait pas aux conditions essentielles de son existence lĂ©gale, au regard des articles 1er de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme et 696-15 du code de procĂ©dure pĂ©nale ;
2°/ que constitue une atteinte disproportionnĂ©e Ă son droit au respect de sa vie privĂ©e et familiale l’incarcĂ©ration d’une personne Ă une distance qui ne lui permet pas de bĂ©nĂ©ficier des visites autorisĂ©es des membres de sa famille ; qu’en se bornant Ă relever que M. [N] ne justifie pas de la situation actuelle de sa famille sur le territoire de la FĂ©dĂ©ration de Russie, quand il lui appartenait, au besoin, d’interroger l’intĂ©ressĂ©, prĂ©sent Ă l’audience, ou de solliciter un complĂ©ment d’information, la chambre de l’instruction n’a pas justifiĂ© son arrĂȘt au regard des articles 8 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme et 593 du code de procĂ©dure pĂ©nale ;
3°/ que constitue une atteinte disproportionnĂ©e Ă la libertĂ© religieuse de la personne dĂ©tenue le fait de subordonner le respect de l’alimentation spĂ©cifique Ă l’exercice de sa religion Ă l’achat ou Ă la livraison des produits nĂ©cessaires ; qu’en jugeant le contraire, la chambre de l’instruction a violĂ© l’article 9 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme et 593 du code de procĂ©dure pĂ©nale. »
RĂ©ponse de la Cour de cassation
6. Pour donner un avis favorable Ă l’extradition du demandeur, l’arrĂȘt attaquĂ© commence par Ă©noncer que, s’agissant des risques de violation des articles 8 et 9 de la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, les autoritĂ©s russes se sont solennellement engagĂ©es, dans la lettre jointe Ă la demande d’extradition, au respect des droits et libertĂ©s fondamentaux garantis par la Convention europĂ©enne des droits de l’homme.
7. Les juges poursuivent en retenant que, s’agissant du risque d’atteinte Ă la vie privĂ©e et familiale causĂ©e par les conditions d’incarcĂ©ration provisoire en Russie de M. [N], les autoritĂ©s russes ont rappelĂ© que les faits pour lesquels le mandat d’arrĂȘt a Ă©tĂ© Ă©mis ont Ă©tĂ© commis dans la rĂ©gion de [LocalitĂ© 1] et sont poursuivis dans cette ville, que l’intĂ©ressĂ© sera provisoirement dĂ©tenu Ă la maison d’arrĂȘt SIZO-1 oĂč les visites sont autorisĂ©es et qu’il argue, sans en justifier, de la distance entre cet Ă©tablissement et le lieu de rĂ©sidence de sa famille restĂ©e sur le territoire de la FĂ©dĂ©ration de Russie.
8. Ils considĂšrent encore que, s’agissant du risque d’atteinte Ă la libertĂ© de pensĂ©e, de conscience et de religion du fait que l’intĂ©ressĂ© ne pourra pas bĂ©nĂ©ficier en dĂ©tention d’une alimentation conforme aux prĂ©ceptes de sa religion, celui-ci pourra acheter les produits nĂ©cessaires ou les recevoir par colis.
9. Depuis que la chambre de l’instruction a statuĂ©, la FĂ©dĂ©ration de Russie a Ă©tĂ© exclue du Conseil de l’Europe et, selon rĂ©solution en date du 22 mars 2022, la Cour europĂ©enne des droits de l’homme a dĂ©clarĂ© que, d’une part, cet Etat cesse d’ĂȘtre une Haute Partie contractante Ă la Convention europĂ©enne des droits de l’homme Ă compter du 16 septembre 2022, d’autre part, elle demeure compĂ©tente pour traiter les requĂȘtes dirigĂ©es contre lui concernant les actions et omissions susceptibles de constituer une violation de la Convention qui surviendraient jusqu’au 22 septembre 2022.
10. Il en rĂ©sulte que les engagements pris par les autoritĂ©s russes concernant M. [N], s’il Ă©tait extradĂ©, au regard des droits et libertĂ©s fondamentaux garantis par la Convention europĂ©enne des droits de l’homme, sont caducs.
11. Nonobstant ces circonstances nouvelles, il n’y a pas lieu Ă un nouvel examen de la demande d’extradition, pour les motifs qui suivent.
12. La Convention europĂ©enne des droits de l’homme ne rĂ©git pas les actes d’un Etat tiers, ni ne prĂ©tend exiger des Parties contractantes Ă la Convention qu’elles imposent ses normes Ă pareil Etat. L’article 1 de la Convention ne saurait s’interprĂ©ter comme consacrant un principe gĂ©nĂ©ral selon lequel un Etat contractant, nonobstant ses obligations en matiĂšre d’extradition, ne peut livrer une personne rĂ©clamĂ©e sans se convaincre que les conditions escomptĂ©es dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention (CEDH, arrĂȘt du 7 juillet 1989, [S] c. [LocalitĂ© 2], n° 14038/88, § 86).
13. La dĂ©cision d’un Etat partie Ă la Convention europĂ©enne des droits de l’homme d’extrader une personne peut engager la responsabilitĂ© de cet Etat au regard des articles 2 et 3 de la Convention lorsqu’il existe des motifs sĂ©rieux et avĂ©rĂ©s de croire que la personne, si elle est livrĂ©e Ă l’Etat requĂ©rant, y courra un risque rĂ©el d’ĂȘtre soumise Ă la peine de mort (CEDH, arrĂȘt du 2 mars 2010, [Z] et [J] c. [LocalitĂ© 2], n° 61498/08, §§ 123 et 140-143), ou Ă la torture ou Ă des peines ou traitements inhumains ou dĂ©gradants (CEDH, arrĂȘt du 7 juillet 1989, prĂ©citĂ©, § 91).
14. Il en va de mĂȘme au regard de l’article 6 de la Convention lorsqu’il existe des motifs de croire que la personne sera exposĂ©e Ă un risque de dĂ©ni de justice flagrant (CEDH, arrĂȘt du 7 juillet 1989, prĂ©citĂ©, § 113).
15. Or, le demandeur ne fait Ă©tat que d’un risque d’atteinte, sur le territoire de la FĂ©dĂ©ration de Russie, Ă son droit au respect de la vie privĂ©e et familiale et Ă sa libertĂ© religieuse, lesquels ne sont respectivement garantis, par les articles 8 et 9 de ladite convention, hors l’hypothĂšse, non allĂ©guĂ©e en l’espĂšce, d’une persĂ©cution religieuse susceptible de s’apparenter Ă un traitement contraire Ă l’article 3, qu’aux personnes relevant de la juridiction des Etats parties Ă la Convention.
16. DÚs lors, le moyen, en ses trois branches, est inopérant.
17. Il s’ensuit que l’arrĂȘt satisfait, en la forme, aux conditions essentielles de son existence lĂ©gale.
18. Par ailleurs, l’arrĂȘt a Ă©tĂ© rendu par une chambre de l’instruction compĂ©tente et composĂ©e conformĂ©ment Ă la loi et la procĂ©dure est rĂ©guliĂšre.
DispositifÂ
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le treize décembre deux mille vingt-deux.